La répartition du contentieux relatif au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), dans le droit positif français, a pour fondement la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. A compter de cette réforme, le juge administratif dispose d’une compétence de principe. Si l’on simplifie, c’est à lui qu’il revient de trancher des litiges intervenus jusqu’à la décision de l’administration (la « DIRECCTE ») relative à l’adoption du PSE, que celui-ci soit mis en place par décision unilatérale de l’employeur ou par accord collectif. [1]
Le juge judiciaire, pour sa part, retrouve sa compétence à l’issue de la décision de l’administration, lors de la mise en œuvre de la procédure individuelle de licenciement. C’est à ce juge qu’il incombe, par exemple, d’apprécier le bien-fondé du motif économique du licenciement, la régularité de la procédure de licenciement individuelle, le respect des critères d’ordre et de l’obligation de reclassement. De même, la Cour de cassation a récemment rappelé que le juge judiciaire est compétent en matière de demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre d’un projet de restructuration (Cass. Soc., 14 novembre 2019, n°18-13.887).
Cette dichotomie nette dans l’attribution juridictionnelle du contentieux du PSE n’est pas sans susciter quelques difficultés pratiques lorsqu’intervient l’annulation de la décision d’homologation de l’administration. C’est ce qu’illustre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 septembre dernier (Cass. 11 septembre 2019, n°18-18.414.). Pour bien saisir sa portée, il convient de se pencher sur le mécanisme d’indemnisation spécifique prévu par le législateur en la matière.
"Cette action en indemnisation peut s’avérer d’autant plus délicate si l’on considère le temps restreint imparti au salarié puisqu’il puisse saisir le juge judiciaire."
En pareilles circonstances, le salarié licencié pour motif économique peut saisir le juge judiciaire afin qu’il lui alloue une indemnité qui ne peut être inférieure à ses six derniers mois de salaire. Notons que seul ce juge est habilité à prononcer cette sanction, à la condition que le juge administratif ait, au préalable, lui-même prononcé l’annulation de la décision de l’administration validant ou homologuant le PSE. Cette action en indemnisation peut s’avérer d’autant plus délicate si l’on considère le temps restreint imparti au salarié pour qu’il puisse saisir le juge judiciaire.
Dans les faits d’espèce, un salarié de la société Pages jaunes avait été licencié pour motif économique le 30 avril 2014 dans le cadre d’un PSE contenu dans un accord collectif majoritaire, signé le 20 novembre 2013, puis validé par l’administration le 2 janvier 2014. Par un arrêt du 22 octobre 2014, un autre salarié de la société avait obtenu d’une Cour administrative d’appel qu’elle annule cette décision de validation au motif que l’accord du 20 novembre 2013 était signé par un syndicat qui ne remplissait par les conditions de majorité. Cette annulation était devenue définitive le 22 juillet 2015, date à laquelle le Conseil d’État avait finalement rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.
C’est n’est que le 16 février 2016, à l’issue de cette procédure administrative, que le salarié avait finalement saisi le Conseil de prud’hommes, soit bien au-delà des douze mois consécutifs à son licenciement. Il a néanmoins su convaincre les juges du fond que son action était recevable en arguant du fait que le point de départ de la prescription, pour saisir le juge judiciaire, n’aurait couru qu’à compter de l’arrêt du Conseil d’État qui avait prononcé l’annulation définitive de la décision de l’administration. [2] La Cour de cassation a cependant refusé de faire droit à une telle construction juridique en cassant, sans renvoi, l’arrêt rendu par la Cour d’appel. Selon la Haute juridiction ce délai de prescription courrait nécessairement à compter de la notification du licenciement, peu importe que le juge administratif n’eut pas encore statué de manière irrévocable. L’action était donc irrecevable comme prescrite. [3]
"Une telle jurisprudence ne favorisera-t-elle pas l’essor de contentieux préventifs portés devant la juridiction prudhommale ?"
Cette solution, juridiquement fondée, est objectivement rude pour le salarié qui doit impérativement agir dans les douze mois consécutifs à la notification de son licenciement s’il souhaite obtenir une indemnisation. Le salarié doit saisir une juridiction alors que la nullité la décision de l’administration, et celle des actes subséquents, n’est pas encore certaine. On peut souligner à ce titre la complexité procédurale, accentuée par le dualisme de juridiction, pour la mise en œuvre d’une telle action indemnitaire.
Dès lors, une telle jurisprudence ne favorisera-t-elle pas l’essor de contentieux préventifs portés devant la juridiction prud’homale ? On peut l’envisager puisque la prudence devrait inciter les conseils des salariés, licenciés consécutivement à un PSE, à saisir la juridiction prud’homale sans attendre. Ceci même s’ils n’ont alors que des soupçons quant à la nullité de décision de l’administration. Une fois saisi, le juge judiciaire sera alors contraint de surseoir à statuer dans l’attente de la décision définitive du juge administratif… Il n’est pas certains que l’image du contentieux du travail, déjà atteinte par son manque de célérité, en sorte grandie.