I. Les faits.
Dans cette affaire, un salarié, engagé comme directeur de site en 2008 puis promu cadre dirigeant selon un avenant signé le 4 janvier 2010, a été licencié le 28 septembre 2018.
Il a saisi la juridiction prud’homale en juin 2019 en contestation de son statut de cadre dirigeant, son licenciement et réclamant diverses sommes liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.
La société arguait que le délai de prescription applicable était celui prévu pour contester la qualification du statut, soit deux ans. Par ailleurs, elle défendait que le statut de cadre dirigeant, confirmé dans le contrat de travail, excluait toute revendication relative aux heures supplémentaires.
La Cour d’appel de Dijon a alors suivi ce raisonnement en considérant que l’action, en tant qu’elle portait sur l’exécution du contrat de travail, relevait de la prescription biennale prévue par l’article L1471-1 du Code du travail.
Selon cette analyse, le délai avait expiré depuis longtemps, la prescription ayant commencé à courir dès la modification de son statut en 2010.
II. Les moyens des parties.
Le demandeur se pourvoit donc en cassation.
Il conteste l’interprétation de la Cour d’appel de Dijon en soutenant que son action en rappel de salaire devait être examinée sous l’angle de la prescription triennale prévue par l’article L3245-1 du Code du travail, selon lequel les créances salariales peuvent être réclamées dans un délai de trois ans.
Au final, dans cette affaire la difficulté résidait dans l’application de deux prescriptions prévues par le Code du travail : l’article L1471-1, qui prévoit une prescription biennale pour les actions relatives à l’exécution du contrat de travail, et l’article L3245-1, qui fixe une prescription triennale pour les actions en paiement ou répétition de salaire.
III. La solution retenue par la Cour de cassation.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon, en réaffirmant une règle jurisprudentielle constante :
« La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée ».
La haute juridiction a ainsi considéré que la demande du salarié relevait de la prescription triennale de l’article L3245-1 du Code du travail, applicable aux créances salariales, et que son point de départ n’était pas la signature du contrat, mais la naissance de la créance.
En l’espèce, elle a jugé que, bien que la contestation du statut de cadre dirigeant constitue le fondement de l’action, l’objet véritable de la demande résidait principalement dans le paiement d’heures supplémentaires, une créance salariale par nature.
En conséquence, la nature salariale de cette demande imposait l’application de la prescription triennale prévue par l’article L3245-1 du Code du travail. En outre, la cour a précisé que le délai triennal ne courait pas à partir de la date de passage au statut contesté, mais à compter de la rupture du contrat de travail, intervenue le 28 septembre 2018.
Elle critique sur ce fondement l’analyse de la cour d’appel, qui avait appliqué la prescription biennale de l’article L1471-1, en confondant les actions relatives à l’exécution du contrat de travail et celles portant sur des créances salariales.
En conséquence, elle renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Besançon pour un nouvel examen.
IV. Analyse de l’arrêt.
La qualification de cadre dirigeant repose sur des critères strictement définis par l’article L3111-2 du Code du travail. Lorsqu’un salarié est qualifié à tort de cadre dirigeant, il peut contester ce statut pour réclamer les créances salariales correspondantes à une relation de travail de droit commun. Toutefois, la question de la prescription de cette action se pose fréquemment.
Selon l’article L1471-1 du Code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail est soumise à une prescription de deux ans, tandis que l’article L3245-1 fixe la prescription des actions en paiement de salaires à trois ans. La difficulté réside donc dans le choix de la prescription applicable aux demandes en requalification.
La nature de la demande - un rappel de salaire fondé sur la contestation du statut de cadre dirigeant - a conduit la Cour de cassation à appliquer la prescription triennale de l’article L3245-1. Ce choix découle de la qualification de la créance invoquée : les rappels de salaire liés à une erreur de statut contractuel sont soumis à la prescription spécifique des actions salariales.
Cet arrêt illustre l’importance de la distinction entre les différentes prescriptions prévues par le Code du travail.
Il s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence selon laquelle la prescription triennale s’applique aux rappels de salaire résultant de la contestation de dispositions contractuelles irrégulières, comme les conventions de forfait en jours ou les contrats de travail à temps partiel.
Notamment, dans un arrêt du 30 juin 2021 (n° 19-10.161), la Cour de cassation avait jugé que des demandes de rappel de salaire fondées sur la requalification d’un contrat de travail à temps partiel ou sur une contestation de la classification professionnelle étaient également soumises à la prescription triennale.
La cour a rappelé dans son arrêt du 4 décembre que les créances salariales peuvent être réclamées pour les trois années précédant la rupture du contrat de travail, conformément à l’article L3245-1. Ainsi, même si la signature du contrat remonte à plusieurs années, le salarié conserve un droit d’action limité dans le temps à la période triennale antérieure à la rupture.
Cette décision souligne l’importance de distinguer le fondement juridique d’une action de la nature des sommes réclamées, car c’est cette dernière qui détermine le délai applicable.
En retenant la prescription triennale, la cour a permis au salarié d’obtenir gain de cause, ses demandes ayant été introduites dans les délais.
La cour a donc censuré la cour d’appel, qui avait jugé que l’action en requalification était prescrite en se basant sur la date de signature du contrat initial, le 4 janvier 2010, et son avenant du 2 juillet 2012.
En effet, selon la cour d’appel, l’article L3111-2 du Code du travail, qui exclut les cadres dirigeants des dispositions relatives à la durée du travail, ne permettait pas d’accueillir les demandes relatives aux heures supplémentaires et repos compensateurs. Une fois le statut de cadre dirigeant contesté et potentiellement invalidé, ces créances n’avaient donc plus de fondement légal, justifiant ainsi leur rejet par la cour d’appel.
Cette solution favorise un équilibre entre les droits des salariés et la sécurité juridique des employeurs et illustre l’importance de la nature juridique des demandes dans la détermination des délais de prescription.
En retenant une prescription triennale pour les créances salariales, la Cour de cassation permet aux salariés, notamment ceux injustement qualifiés de cadre dirigeant, de contester leur statut et de faire valoir leurs droits à des rappels de salaire sans être entravés par une prescription trop stricte.
Ce cadre jurisprudentiel renforce la cohérence du droit du travail en matière de prescription, tout en offrant des garanties adaptées aux réalités des relations contractuelles.
Source.
Cass. soc., 4 décembre 2024, n° 23-12.436
Faux cadre dirigeant : une DRH obtient la nullité de son statut de cadre dirigeant
Licenciement d’un cadre dirigeant pour fautes graves pour l’envoi de messages privés à caractères sexuels = licenciement nul pour violation de la vie privée (cass. soc. 25 sept. 2024, 23-11.860) [1].