Rappel des faits
M. X a été victime d’une escroquerie orchestrée par un individu prétendant représenter la société AE, une filiale d’ALTAREA COGEDIM. En novembre et décembre 2021, M. X a initié deux virements, l’un de 90.000 € et l’autre de 15.070 €, à destination de bénéficiaires en Espagne, dans le cadre d’un supposé investissement immobilier dans un EHPAD.
Il est à noter que ces virements ont été effectués au bénéfice de deux sociétés dénommées Colisée et Auris, étrangères aux documents contractuels du projet immobilier et aux factures transmises à M. X.
Après avoir porté plainte pour escroquerie, M. X souhaite engager la responsabilité de sa banque.
La banque LCL affirmant n’avoir identifié aucun manquement de la part de ses services, M. X l’a assigné par-devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à indemniser son préjudice financier. Pour M.X, LCL a manqué à son devoir de vigilance et de surveillance en exécutant les virements litigieux.
Quant à elle, la banque considère notamment qu’elle était tenue par un strict devoir de non-immixtion dans les affaires de son client qui lui interdit de se substituer à lui en procédant à des investigations sur l’origine, le motif ou l’opportunité des mouvements sur le compte de dépôt de son client.
Le devoir de vigilance du banquier.
Le banquier est tenu de divers devoirs et obligations à l’égard de son client, imposés par la loi ou la jurisprudence selon les cas.
Dans ce cadre, le banquier est tenu d’une obligation générale de vigilance à l’égard de son client en matière de virement, en vertu de laquelle il est tenu de s’assurer que ce dernier émane bien du titulaire du compte à débiter ou de son représentant, qu’il ne présente aucune anomalie apparente, formelle ou intellectuelle, et que l’opération n’est pas manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale de son client.
Cette obligation de vigilance a récemment été réaffirmée par la Haute Juridiction [1].
Selon la jurisprudence récente précitée, ce contrôle suppose que le banquier opère au bénéfice de son client des vérifications légitimes et suffisantes au regard du principe de non-immixtion.
En particulier, il doit vérifier (i) si les ordres de virement émanent effectivement du titulaire du compte, (ii) si les instructions données s’inscrivent dans la logique des relations d’affaires entretenues avec des fournisseurs identifiés par le titulaire du compte et (iii) si les montants des virements ne sont pas exceptionnels.
En l’espèce, une anomalie apparente pouvait-elle être relevée ?
Pour l’opération d’un montant de 90 000 €, malgré un contre-appel du conseiller bancaire pour la valider, le Tribunal relève que le virement était « très supérieur aux opérations que M. X avait pour habitude d’effectuer » et qu’il était réalisé « au profit d’un bénéficiaire singulier, la société Colisée, société étrangère à AE et aux documents contractuels relatifs au projet ».
Pour le second virement, d’un montant de 15 070 €, le Tribunal note l’absence de contre-appel d’un préposé, malgré un montant, certes plus modeste, mais qui restait très significatif au regard des opérations habituellement réalisées par M. X. La juridiction souligne également l’existence d’« une nouvelle facture assortie […] d’une contradiction » entre « l’identité des bénéficiaires effectifs consécutifs des virements et […] l’émetteur de la facture ».
Est ici centrale l’absence de lien de droit entre la société AE, dont le papier en-tête a été utilisé pour les factures, et les sociétés bénéficiaires des virements.
L’ensemble de ces éléments étaient, pour le Tribunal de commerce de Paris, constitutifs d’une anomalie intellectuelle, qui auraient dû attirer l’attention de la banque, par l’entremise de son chargé de clientèle, en vertu de son obligation de vigilance.
Ainsi, il n’appartient pas seulement au banquier d’appeler son client pour valider l’opération litigieuse, il doit également s’assurer de l’absence d’anomalie, matérielle ou intellectuelle. Le respect de cette obligation peut lui imposer d’apprécier la documentation et les informations à sa disposition, notamment par une vérification du lien de droit entre l’entité juridique qui figure sur ladite documentation et le bénéficiaire du virement.
La perte de chance de ne pas réaliser les virements.
Pour que la responsabilité de la banque soit retenue, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, il faut caractériser une faute, un dommage et un lien de causalité. Le non-respect par le banquier de son obligation de vigilance doit être à l’origine d’un préjudice pour l’emprunteur, lequel peut consister en la perte d’une chance. La perte de chance serait, dans notre cas, de n’avoir pu renoncer aux virements litigieux.
La faute est ici caractérisée, par les manquements à son obligation de vigilance au titre des deux virements. Le préjudice est certain pour M. X compte tenu de son incapacité à récupérer les sommes versées.
Dans notre espèce, la perte de chance s’apprécie par rapport à la probabilité que M. X ait renoncé à l’opération litigieuse s’il avait été alerté des risques de fraude ou de perte des sommes investies.
Pour la juridiction, il n’est pas démontré que si l’attention de M. X avait été attirée par la banque sur les anomalies, il n’aurait pas procédé aux virements litigieux.
À ce titre, le Tribunal souligne « la rapidité et la légèreté de la façon dont M. X, chef d’entreprise, a contracté avec la société AE témoignant d’une témérité particulière et étrangère à celle qu’on est en droit d’attendre d’une personne raisonnable placée dans une situation analogue ». Ainsi les anomalies intellectuelles mises en exergue auraient dû attirer l’attention de la banque, mais également celle du client.
En conséquence, le Tribunal a limité la perte de chance de ne pas réaliser les virements à 50 % du montant des sommes transférées par la banque, au lieu des 75% demandés par M. X.
Le client n’est donc pas lui-même exonéré de toute vigilance quant aux opérations qu’il souhaite réaliser.
Si cette décision expose les contours du devoir de vigilance du banquier, elle rappelle également la nécessité pour le client de ne jamais se précipiter dans des investissements sans une analyse de la documentation et la réalisation nécessaire de vérifications.