Dans le cadre de cet article, il conviendra tout d’abord de se pencher sur ce dispositif public qui est un tremplin pour l’insertion des jeunes pris en charge par l’ASE (I) mais qui est surtout un pacte d’intégration examiné attentivement par l’administration préfectorale et Par le juge administratif (II).
I) Un tremplin pour l’insertion des jeunes pris en charge par l’ASE.
Au préalable, précisons que l’article 28 de la Convention Internationale des Droits de l’enfant (CIDE) énonce très clairement ce à quoi s’engagent les États parties à cette Convention :
« a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ;
b) Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de besoin ;
c) Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés ;
d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles ;
e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire ».
Ces préconisations sont parfaitement transcrites en droit français par la Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants (dite loi Taquet).
Le principe énoncé dans cette loi est que les majeurs âgés de moins de 21 ans et les mineurs émancipés sont pris en charge par l’ASE sur décision du Président du Conseil départemental si les conditions cumulatives sont réunies.
Selon l’article L 221-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), l’objectif du contrat jeune majeur est : « D’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (…) aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (…) » ou, d’après l’article L222-5 dudit code, « qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale, faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant ».
C’est donc un dispositif d’accompagnement pour leur permettre de trouver du travail (ou une formation) tout en ayant la possibilité de se loger et de subvenir à leurs besoins, si leur famille n’a pas la capacité de le faire pour eux.
Ce droit pour les jeunes majeurs de pouvoir bénéficier de cette ultime prise en charge a été réaffirmé par le Conseil d’état :
« Il résulte de ces dispositions de l’article L222-5 du Code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été effectivement pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département auquel ils ont été confiés avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge par ce service jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de vingt et un ans, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants » [2].
Ce dispositif est donc utilisé par les Départements comme passerelle entre les mesures de protection des mineurs et leur insertion socio-professionnelle à leur majorité.
À ce titre, la loi impose un Bilan pour informer des droits et aide à l’autonomie un an avant la majorité pour les mineurs confiés à l’ASE (Article L222-5-1 CASF) « Il doit notamment être informé qu’il bénéficie d’un accompagnement par le service de la zone dans ces démarches en vue d’obtenir une carte de séjour à sa majorité ou le cas échéant en vue de déposer une demande d’asile article L222-5-1 du Code de l’action sociale et des familles ».
Toutefois, dans ce cadre réglementaire, la nouvelle loi immigration du 26 mai 2024 (Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration) vient poser un obstacle dans la possibilité pour les conseils généraux d’offrir un cadre d’insertion au jeune majeur étranger
En effet, l’article L222 5 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par l’article 44 de la loi 26 janvier 2024 précise :
5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité, y compris lorsqu’ils ne bénéficient plus d’aucune prise en charge par l’aide sociale à l’enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article et à l’exclusion de ceux faisant l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l’article L611-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
La formulation retenue interroge puisque le risque est que le jeune non accompagné, sous le coup d’une OQTF, ne pourra plus bénéficier d’une aide jeune majeur quand bien même il aurait formé un recours contre la décision de la préfecture.
Toutefois, il existe une forte disparité entre les départements, entre ceux estimant que l’aide apportée à ces jeunes est inutile, car ceux-ci ne seront jamais régularisés, et ceux qui pensent qu’il s’agit de mineurs en danger et qu’il faut leur venir en aide et donc leur faire signer un « contrat jeune majeur ».
En outre, comme le rappel l’avis 2018-6 du Conseil National de la protection de l’enfance « La pratique de la poursuite de leur accueil par les départements, dans le cadre de mesures jeunes majeurs devient de plus en plus aléatoire selon les moyens des départements et les choix politiques faits. Il en résulte une inégalité territoriale ainsi qu’une augmentation des situations de pauvreté et d’exclusion de ces jeunes. ».
II) Un pacte d’intégration examiné sévèrement par l’administration et le juge administratif.
En matière contentieuse, le Conseil d’État un récemment considéré, que le juge administratif qui juge en matière de plein contentieux [3], la décision prise par le Président du Conseil départemental de maintenir ou non la prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un jeune majeur de moins de vingt-et-un an éprouvant des difficultés d’insertion sociale.
Il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d’appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d’un défaut de prise en charge, et qu’à ce titre il doit prendre en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris le comportement de l’intéressé et non pas des seules difficultés d’insertion auxquelles étaient confrontées le jeune majeur [4].
Pour ce qui concerne le contentieux des refus de titre de séjour, jadis, pour le juge administratif, la signature de ce type de contrat était un gage d’insertion et qu’il s’agit d’un élément permettant d’annuler des arrêtés de reconduite à la frontière pour erreur manifeste d’appréciation [5].
Néanmoins, si à la majorité du jeune rien n’a été mis en place, la reconduite à la frontière, n’est pas une erreur manifeste d’appréciation [6].
Il est aussi important de préciser que ce contrat est seulement proposé aux mineurs les plus méritants, car il n’est accordé que de façon discrétionnaire par le Président du Conseil Général [7] ; il s’agit donc d’une simple possibilité pour les départements et le conseil général comme l’a reconnu le Conseil d’état : Le président du conseil général n’est pas tenu d’accorder ou de maintenir le bénéfice de la prise en charge par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance, mais dispose d’un pouvoir d’appréciation ; qu’il peut fonder sa décision, sous le contrôle du juge administratif, sur d’autres critères que ceux indiqués dans les dispositions précitées [8].
Récemment, une ordonnance du Conseil d’État vient encore fragiliser ce dispositif en établissant un lien entre la procédure de détermination de la minorité et l’octroi d’un contrat jeune majeur.
Selon l’adage latin fraus omnia corrumpit lorsqu’un acte ou une prestation a été obtenu par fraude, il peut être abrogé ou retiré par l’administration et donc ainsi insusceptible de conférer des droits à son destinataire. Comme l’a affirmé le Conseil d’État :
« (….) Considérant que, si un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits et, par suite, peut être retiré ou abrogé par l’autorité compétente pour le prendre, alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré, il incombe à l’ensemble des autorités administratives de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu’il n’y a pas été mis fin (…) » [9].
Il peut donc être mis fin à la prise en charge d’un jeune majeur sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) lorsqu’il apparaît que lors de la prise en charge initiale, l’intéressé n’était pas mineur.
Ainsi, le juge des référés du Conseil d’État s’est prononcé, dans une ordonnance du 13 mars 2025 sur la légalité de la fin de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) d’un jeune majeur ressortissant étranger qui avait été confié provisoirement au département en tant que mineur non accompagné (MNA).
Tout ceci aux motifs que si l’intéressé n’était en réalité pas mineur lors de sa prise en charge en tant que MNA, il peut être mis fin au « contrat jeune majeur » dont il bénéficie [10].
En définitive, ce dispositif d’accompagnement est une opportunité pour l’insertion des jeunes majeurs. Il est à craindre qu’il pâtisse non seulement des coupes budgétaires au sein des départements, mais aussi et surtout des conditions juridiques drastiques pour en bénéficier et s’y maintenir.


