Un chirurgien-dentiste, également maître de conférences à l’université, a poursuivi en contrefaçon de droit d’auteur, aux côtés de leur éditeur, d’autres médecins et professeurs d’universités, auteurs d’un ouvrage sur les scellements en matière dentaire. Il leur reprochait d’avoir reproduit sans son autorisation, des extraits de sa thèse et d’un document de travail, du plan d’une conférence et de plusieurs photographies illustrant certaines parties du corps humain et dont il était auteur, sur un thème identique.
Pour rappel, le délit de contrefaçon de droit d’auteur tend à condamner notamment la reproduction d’œuvres sans autorisation. Il concerne tout type d’œuvres sans distinction de genre, de formes d’expression, de mérite ou de destination [1] et peut donc autant porter sur un écrit scientifique [2], une photographie que sur un plan de conférence ou encore le contenu d’un cours universitaire.
Il peut toutefois être délicat de prouver que le contenu d’un ouvrage scientifique, aux fins d’information du plus grand nombre, est original et peut alors être protégé par le droit d’auteur. L’originalité, condition indispensable pour bénéficier de cette protection, renvoie aux choix créatifs de l’auteur, ce qui peut paraître assez éloigné des démonstrations techniques propres à ce type d’ouvrages. Ce sera ici la méthode, l’approche, la mise en forme qui seront protégeables.
L’appréciation de l’originalité de travaux universitaires, dans le domaine de la recherche médicale au cas d’espèce, est la question centrale posée à la cour d’appel de Bordeaux qui va confirmer le jugement du tribunal et débouté le chirurgien-dentiste de ses demandes en contrefaçon.
I. Rejet de l’originalité des photographies illustratives des travaux de recherche.
Après avoir dû démontrer qu’il était bien l’auteur des photographies pour lesquelles il demandait la protection (ce qu’il avait échoué à faire devant le tribunal mais réussi devant la cour), le chirurgien-dentiste a dû rapporter la preuve de l’originalité de celles-ci.
Les photographies sont en effet considérées comme des œuvres protégeables par le droit d’auteur [3]. La jurisprudence analyse leur originalité selon la technique de cadrage, la mise en scène, l’angle, le jeu de lumière, les retouches, etc… Il est parfois si délicat d’apprécier l’originalité d’une photographie, c’est-à-dire les choix créatifs de l’auteur, que les juges prennent compte de facteurs extérieurs telle la qualité de ce dernier (auteur-photographe ou amateur), sa notoriété ou encore le but de sa démarche (artistique, scientifique…) ce qui revient d’une certaine manière à faire une sélection au mérite.
En tout état de cause, il revient à l’auteur de démontrer des choix à la fois libres et non imposés par la technique mais également des choix créatifs portant l’empreinte de sa personnalité.
En l’espèce, les photographies litigieuses représentaient l’intérieur de la bouche d’un patient et alors qu’il invoquait des « choix techniques et esthétiques de cadrage, de mise en scène, d’angle de vue, de contraste et d’éclairage, adoptés dans un but pédagogique marquant sa créativité », le chirurgien-dentiste a échoué à faire la démonstration d’une quelconque originalité. La cour a en effet retenu que ses choix avaient été dictés par la finalité des photographies qui représentaient selon elle « des vues illustratives et génériques de techniques dentaires banales, les choix de présentation opérés (…) étant liés aux contraintes techniques des prises de vues réalisées dans la bouche d’un patient, espace très limité et humide ».
Ces photographies ne peuvent donc logiquement être protégées par le droit d’auteur.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante comme il ressort notamment de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy [4] portant sur des photographies jugées banales en raison d’une « représentation objective de phénomènes biologiques » au microscope et dénuée de tout choix créatif.
La représentation strictement fidèle du réel dans un but notamment scientifique peut rendre très difficile l’appréciation de choix créatifs dès lors que l’auteur recherche précisément le réalisme sans nécessairement exprimer sa propre personnalité.
II. Rejet de l’originalité d’extraits de thèse.
Le chirurgien-dentiste invoquait également la reproduction non autorisée de deux passages de sa thèse portant sur les modes de scellement dentaire mais également d’un document de travail antérieur.
La demande portant sur ce deuxième texte a été écartée par la cour d’appel, le demandeur ne l’ayant pas évoquée devant le tribunal. Seuls les extraits de la thèse ont donc été soumis à l’analyse des juges d’appel.
Là encore, la cour a rejeté l’originalité de ces passages (et non de la thèse en intégralité qu’elle n’a pas eu à appréhender) pour deux raisons. D’une part, ces passages faisaient eux-mêmes référence à des travaux plus anciens d’autres spécialistes (également cités par les auteurs poursuivis dans d’autres publications antérieures à la thèse) et dont le chirurgien-dentiste ne pouvait solliciter l’appropriation. D’autre part, le contenu des passages reproduits se bornait à relater des informations de manière objective et consistait à « un rappel historique et une présentation neutre de données techniques et médicales » lequel ne peut donc être protégé par le droit d’auteur.
La cour rappelle ainsi de manière très claire qu’il ne faut pas confondre les données de la recherche, libres et exploitables par tous notamment pour permettre l’évolution de l’état des connaissances, de leur mise en forme qui peut, dans certains cas, donner prise au droit d’auteur : « s’agissant de texte scientifique, la protection par le droit d’auteur suppose que soit démontrée une mise en forme du texte marquant l’œuvre de l’empreinte de la personnalité de son auteur, les ouvrages scientifiques n’étant pas protégés au titre du droit d’auteur pour leur contenu scientifique dans la mesure où ils énoncent sous une forme banale ou nécessaire des procédés ou des conclusions techniques ou scientifiques eux-mêmes non protégés. »
En tout état de cause, l’originalité n’aurait pas suffi à faire prospérer la protection du droit d’auteur compte tenu de l’exception de courte citation [5]. Cette exception, qui permet d’écarter le monopole de l’auteur, doit réunir les conditions suivantes : indication du nom de l’auteur et source de la citation, caractère court de celle-ci par rapport à l’ouvrage cité et finalité polémique, pédagogique, scientifique ou d’information.
La cour précise que les passages reproduits représentaient seulement quelques lignes de la thèse du chirurgien-dentiste lequel était par ailleurs cité dans le corps de l’ouvrage poursuivi ainsi que dans sa bibliographie. Le caractère scientifique de l’ouvrage mis en cause ne faisait quant à lui aucun doute eu égard au sujet (thèse universitaire portant sur les scellements en matière dentaire).
L’exception aurait pu en revanche être écartée si l’une de ces conditions avait fait défaut, même si cela n’aurait pas eu incidence sur le fond au regard de l’absence d’originalité des passages relevés. [6]
Le chirurgien-dentiste a donc été débouté sur ce point là.
III. Rejet de l’originalité du plan de conférence.
Ce dernier alléguait enfin que l’ouvrage poursuivi reproduisait le plan d’une conférence qu’il avait tenu quelques années auparavant et que les auteurs s’appropriaient « son approche personnelle de la matière et son esprit de synthèse » en raison de son analyse comparative du sujet (ciment de scellement et colles).
Les discours [7], cours et conférences tout comme les plans d’ouvrages, de cours, de colloques etc… peuvent être protégés au titre du droit d’auteur sous réserve une fois encore qu’ils soient originaux. [8]
En l’espèce, les auteurs poursuivis affirmaient que l’un d’eux avait publié deux thèses antérieures à celle du chirurgien-dentiste avec la même approche comparative du sujet, de sorte que ce dernier ne pouvait invoquer une quelconque paternité sur le plan revendiqué.
Ce dernier a donc été nécessairement débouté.
Cette décision semble équilibrée au regard de l’absence d’originalité des travaux reproduits sans autorisation. Il ne faudrait toutefois pas déduire trop rapidement de cet arrêt que tout travail de recherche scientifique, ayant pour principal objectif de mettre en lumière des informations et des idées, ne peut jamais constituer une œuvre protégeable par le droit d’auteur. Ce n’est bien entendu pas le cas. Il est cependant impératif que tout auteur d’écrits scientifiques vérifie avant d’engager une quelconque action, sa qualité d’auteur ainsi que la présence d’une véritable empreinte de sa personnalité ce qui n’est pas le cas de la restitution neutre de données appartenant au fonds commun de la connaissance. Cette précaution permettant d’éviter une condamnation aux frais procédure et dépens, en l’espèce plus de 15 000 euros entre la première instance et l’appel. A voir si la concurrence déloyale n’aurait pas pu prospérer au bénéfice du chirurgien-dentiste mais cela ne semble pas avoir été évoqué dans ce litige.