Couple de salariés vendeurs discriminé : le "name and shame" de la Défenseure des droits.

Un employeur peut-il modifier le planning de 2 salariés « hôtes services clients » de sorte qu’ils n’ont aucun jour de repos en commun aux motifs qu’ils sont en couple ?
Retour sur la décision rendue par le défenseur des droits et publiée au Journal officiel le 12 septembre 2023.

De même, le magasin ne voulait pas faire travailler simultanément au service client 2 salariés de la même famille ou en couple.

Par ailleurs, le CDD d’un des salariés en couple n’aurait pas été renouvelé du fait de sa relation avec son conjoint lui aussi salarié de l’entreprise.

Par ailleurs, le conjoint du salarié en question a demandé de travailler en rayon ou une mutation ou encore une rupture conventionnelle.

La société a refusé et le salarié a abandonné son poste puis été licencié le 16 juillet 2021.

Le couple de salarié a saisi le défenseur des droits le 13 juin 2021.

Le 23 juin 2023, le défenseur des droits à rendu une décision qui a été publiée au Journal officiel le 12 septembre 2023.

Le défenseur des droits considère que le comportement de la société est discriminatoire et demande à la société de se rapprocher des réclamants afin de procéder à une « juste réparation ».

Le défenseur des droits a pris un rapport spécial en application de l’article 25 de la Loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011.

A cet égard, lorsqu’il n’a pas été donné suite à son injonction, le Défenseur des droits établit un rapport spécial, qui est communiqué à la personne mise en cause.

Le Défenseur des droits rend publics ce rapport et, le cas échéant, la réponse de la personne mise en cause, selon des modalités qu’il détermine.

1) Les faits.

M. X a été embauché en contrat à durée indéterminée en qualité d’« hôte service clients » le 30 avril 2018 par la société Leroy Merlin, situé à Sainte-Geneviève-des-Bois.
Il aurait été affecté au rayon « bâti » (Aménagement extérieur, cour matériaux) depuis avril 2020.

M. Y, ami de M. X, a commencé à travailler au sein de la société mise en cause en contrat à durée déterminée à compter du 1er mars 2021 également en qualité d’« hôte service client » dans le rayon « bâti ».
L’embauche en CDD était justifiée par les « activités liées à la saison Jardin ». Le terme du CDD avait été fixé au 30 juin 2021, mais il lui aurait été dit que ce contrat était renouvelable avant un éventuel CDI.

Les réclamants indiquent que l’entreprise n’était pas au courant de leur relation intime au moment de l’embauche de M. Y.

En raison de plusieurs contaminations au sein de l’entreprise, M. X a été testé positif à la Covid et a dû être placé en isolement du 12 au 21 mars 2021.

M. X soutient qu’à partir du moment où il a présenté la liste de ses cas contacts, sur laquelle figurait le nom de son compagnon, l’attitude de ses responsables aurait changé.
Les réclamants indiquent qu’à la reprise de leur poste, ils auraient constaté que leurs plannings avaient été modifiés de telle manière à ce qu’ils n’aient jamais un jour de repos en commun.

Un responsable leur aurait dit que le fait qu’ils travaillent dans le même service était « hors procédure ».

Eu égard à la situation conflictuelle au sein de l’entreprise, M. X soutient avoir été placé en arrêt maladie et avoir fait une demande écrite de mutation le 13 avril 2021. Il aurait par ailleurs demandé à bénéficier d’une rupture conventionnelle.

M. Y indique également que son CDD n’a pas été renouvelé, ce qui aurait motivé son absence à compter du 15 juin 2021.
La responsable du secteur lui aurait effectivement dit qu’elle était satisfaite de son travail mais qu’elle ne pouvait « le garder » compte tenu de sa relation avec M. X.

M. X aurait demandé un rendez-vous avec sa direction afin d’évoquer sa situation et notamment les refus de le faire passer en rayon, de le muter ou de lui accorder une rupture conventionnelle.

En l’absence de réaction de sa hiérarchie, M. X indique avoir décidé d’abandonner son poste de travail à compter du 15 juin 2021 et avoir été licencié par courrier en date du 16 juillet 2021.

2) L’enquête du Défenseur des droits.

Au vu des éléments présentés par MM. X et Y et en vertu des articles 18 et 20 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, le Défenseur des droits a décidé, par courrier en date du 20 janvier 2022, d’engager une enquête auprès de la société Leroy Merlin afin de recueillir ses explications sur les faits de discrimination allégués ainsi que la communication d’un certain nombre de pièces.

La société a communiqué les éléments demandés par courrier en date du 18 février 2022.

Elle n’a pas contesté avoir pris en compte la situation de famille de MM. X et Y, expliquant s’être fondée sur un usage interne consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client des salariés ayant un lien de parenté ou en couple.

Une note récapitulant en fait et en droit la situation de MM. X et Y a été adressée à la société Leroy Merlin par courrier du 11 juillet 2022.

La société mise en cause a répondu par courrier en date du 8 août 2022 en communiquant des éléments complémentaires aux services du Défenseur des droits.

Dans ce courrier, la société Leroy Merlin a notamment apporté des éléments objectifs concernant le non-renouvellement du CDD de M. Y ainsi que sur le refus de la demande de rupture conventionnelle et l’absence d’informations quant à la demande de mutation de M. X.

Le Défenseur des droits a décidé de retenir les explications données par l’employeur sur ces points.

A l’issue de l’instruction, la Défenseure des droits a adressé, le 2 novembre 2022, à la société Leroy Merlin la décision n° 2022-170 énonçant les recommandations suivantes :

  • de se rapprocher des réclamants afin de procéder à une juste réparation de leur préjudice ;
  • de modifier ses pratiques en matière de planification des horaires de travail de ses salariés afin de respecter le principe de non-discrimination ;
  • de sensibiliser l’ensemble des responsables à la non-discrimination ;
  • de rendre compte des suites données à cette recommandation dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la présente.

Par courrier en date du 5 janvier 2023, la société Leroy Merlin n’a pas souhaité donner suite à ces recommandations et a considéré que : « loin d’être une mesure discriminatoire, le fait d’éviter de ne pas planifier simultanément deux collaborateurs entretenant une relation sur le même poste s’inscrit dans une démarche à deux niveaux :

  • une gestion humaine des effectifs afin de préserver de bonnes relations entre chaque collaborateur ;
  • un acte managérial de bon sens afin de prévenir tout conflit d’intérêt ».

Par courrier du 21 février 2023, conformément aux dispositions de l’article 14 du décret du n° 2011-904 du 29 juillet 2011 relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits, celui-ci a enjoint la société Leroy Merlin de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la décision n° 2022-170 et lui transmettre les éléments sollicités.

Par courrier en date du 24 avril 2023, la société mise en cause maintient son interprétation, elle ajoute désormais « qu’il n’existe aucune règle ou directive au sein de l’entreprise interdisant pour deux salariés entretenant une relation ou ayant un lien familial de travailler sur le lieu de travail au même moment.

En revanche, en toute transparence et en concertation avec les intéressés, voire à leur initiative, certains magasins peuvent aborder la question de la planification aux mêmes heures de deux conjoints par exemple. Tel a été le cas de MM. X et Y
 ».

Outre le fait qu’à aucun moment la société n’a soulevé cet argument précédemment, les réclamants contestent que le changement de leurs plannings ait fait l’objet d’une concertation avec eux et/ou que la question ait été abordée avec eux.

Au contraire, dans ses précédentes réponses, l’établissement Leroy Merlin situé à Sainte-Geneviève-des-Bois avait « fait application des usages et pratiques du magasin consistant à ne pas faire travailler simultanément au service client 2 personnes de la même famille ou en couple ».

3) L’ analyse juridique du Défenseur des droits.

La Défenseure des droits :

- constate que MM. X et Y, sur le fondement leur situation de famille, ont été victimes de mesures discriminatoires de la part de leur ancien employeur en méconnaissance des articles 225-1 du code pénal et L1132-1 du code du travail, l’employeur ne rapportant pas la preuve que ces décisions étaient justifiées par des éléments objectifs et licites étrangers à toute discrimination ;

- recommande à la société Leroy Merlin de se rapprocher des réclamants afin de procéder à une juste réparation de leur préjudice, de modifier ses pratiques en matière de planification des horaires de travail de ses salariés afin de respecter le principe de non-discrimination, de sensibiliser l’ensemble des responsables à la non-discrimination et de rendre compte des suites données à cette recommandation dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la présente.

A cet égard, la société Leroy Merlin ne conteste pas le fait que la situation de famille de MM. X et Y a été à l’origine de mesures qu’elle a prises concernant leurs horaires.

L’entreprise soutient que « les collaborateurs, notamment en charge de procédure d’encaissement, qui ont un lien de parenté ou qui sont en couple, ne peuvent pas travailler ensemble au service client, cela pouvant entraîner un manque de contre-pouvoir ».

L’employeur reproche également à M. X de ne pas avoir précisé son lien avec M. Y quand il a « coopté » ce dernier.

La direction confirme que, lorsqu’elle a été informée des liens personnels entre les deux salariés, « il a été fait application des usages et pratiques du magasin consistant à ne pas faire travailler simultanément au service client 2 personnes de la même famille ou en couple. A compter de cette date, les horaires de M. X et M. Y ont été planifiés en décalé et ce jusqu’à la fin du contrat de de M. Y ».

Il ressort ainsi des éléments susmentionnés que la société a bien appliqué un usage au sein de la société consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client des salariés ayant un lien de parenté ou en couple.

Or, comme mentionné supra, cet usage est discriminatoire dans la mesure où les salariés n’ont aucune obligation de préciser la teneur de leur relation, ni au moment de leur embauche, ni pendant l’exécution de leurs contrats de travail et que l’employeur ne peut pas non plus prendre en compte la situation de famille d’un salarié pour arrêter des décisions le concernant, notamment en matière de mutation ou d’horaires de travail.

Dès lors, l’employeur ne peut reprocher à M. X de ne pas avoir informé la responsable service client, ni sa cheffe des secteurs des « liens personnels qui le liaient à M. Y ».

Au demeurant, les agissements de l’employeur ont eu nécessairement un impact défavorable sur la vie personnelle des salariés, l’employeur ayant décidé de ne plus les affecter aux mêmes horaires et de ne plus leur accorder des jours de repos en commun.

A cet égard, les juges ont pu considérer qu’un changement d’horaire imposé au salarié, qui portait une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, pouvait justifier la résiliation judiciaire du son contrat de travail.

Dans son courrier de réponse en date du 8 août 2022, la société Leroy Merlin confirme la « pratique du magasin » qui « consiste à éviter de planifier sur le même secteur deux collaborateurs liés par des liens familiaux ou une situation maritale (au sens large) » et qui « vise […] à assurer à chacun un parfait équilibre professionnel, un climat de travail serein et à éviter toute suspicion de traitement de faveur pour les uns ou pour les autres », d’autant que le secteur du service clients est « un secteur “sensible” (encaissements, reprises marchandise…) ».

La société précise toutefois « veiller à ce que les collaborateurs liés par un lien de famille/en couple puissent, à leur demande, bénéficier des mêmes dates de congés ».

Il ressort de ces éléments que la société n’entend pas remettre en cause cet usage qui a pour effet d’opérer une distinction entre les salariés sur le fondement de leur situation de famille.

L’absence éventuelle de « contre-pouvoir » ou le « secteur sensible » du service client invoqués par l’employeur concernant des salariés sans lien de subordination entre eux, et dont il n’a pas été démontré que leur relation a porté atteinte au bon fonctionnement de l’établissement, ne saurait justifier les restrictions apportées à leurs droits et à leurs libertés individuelles, y compris de manière préventive.

A notre connaissance, les rapports spéciaux publiés par le Défenseur des droits sont rares.

La société aurait, probablement, dû suivre la position du Défenseur des droits qui demandait une indemnisation juste des deux salariés, plutôt qu’avoir à faire face à cette publicité.

Il faut saluer cette décision et le travail du défenseur des droits.

Il semble que les deux salariés n’ont pas saisi le conseil de prud’hommes. Peut être qu’une saisine aurait permis d’obtenir une indemnisation.

Source :

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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