« Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne vous les emprunte (…) ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-même ? ».
Bien qu’écrit au XVIème siècle, cet extrait du Discours de la servitude volontaire demeure d’une étonnante actualité. Cinq siècles plus tard, en 2016, un ouvrage rend hommage à La Boétie avec ce titre [1] : « La nouvelle servitude volontaire, enquête sur le projet politique de la Silicon Valley ».
Des voix sarcastiques s’élèvent déjà pour dire : comment ose-t-on parler de tyrannie dans le monde occidental alors que la liberté est partout et que la démocratie est la règle N’existe-t-il pas chez nous des droits inaliénables et sacrés et des institutions qui les garantissent ?
Montesquieu nous a pourtant averti « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites ».
Chaque époque court ce risque et ce serait une terrible erreur que de nous croire à l’abri d’une emprise totalisante sur l’être humain. Il ne s’agit peut-être plus de tyranniser ni de brutaliser mais d’expérimenter des solutions innovantes qui porteraient toujours en elles la marque du progrès. Pour que ce progrès puisse poursuivre sa course asymptotique, le consentement est invoqué, convoqué partout et pour tout.
Pour expérimenter des médicaments dans les hôpitaux en pleine crise sanitaire, pour surveiller que chacun porte bien un masque, pour tracer les malades dans le cadre de la lutte contre un virus meurtrier, pour expérimenter des programmes de reconnaissance faciale avec la promesse de lutter contre le terrorisme.
Notre temps n’échappe donc pas au phénomène de réification propre à toute servitude, qu’elle soit ou non volontaire, et le pouvoir, économique, politique, a une fâcheuse tendance à voir en l’Homme un objet d’expérimentations temporaires puis définitives lorsque l’essai est concluant. Inévitablement, un système juridique basé sur le consentement invite à la propagande. Plus encore que la volonté de contourner le consentement du citoyen, le pouvoir cherche pour l’obtenir à le fabriquer [2], qu’il s’agisse de voir en l’Homme un objet de recherche scientifique (I) ou un objet de surveillance (II).
I – L’Homme objet de recherche.
Lorsqu’un nouveau virus apparaît et plus encore lorsqu’il s’agit d’une pandémie mondiale, il faut d’abord autant que possible soigner les malades. Il s’agit d’un impératif médical autant qu’éthique qui s’impose aussi par le simple bon sens. Le problème est qu’au début d’une crise sanitaire, aucun traitement connu n’existe et que les médecins doivent s’en tenir, selon l’expression consacrée par la loi, aux données acquises de la science à un instant T. Pour améliorer ces données, des essais cliniques peuvent être réalisés. Ils sont soumis aux dispositions des articles L1121-1 et suivants du Code de la santé publique dès lors qu’ils entrent dans le champ de ce que l’on appelle la recherche interventionnelle.
La recherche interventionnelle implique une intervention non dénuée de risque pour les personnes qui y participent, et non justifiée par leur prise en charge habituelle. Ces essais cliniques obéissent à une procédure administrative lourde et contraignante qui semble d’ailleurs assez largement inadaptée aux situations d’urgence. Surtout, les articles L.1126-1 du code de la santé publique et 223-8 [3] du Code pénal incriminent le fait de se livrer à des essais cliniques impliquant la personne humaine pour tester des médicaments sans avoir préalablement recueilli, par écrit, le consentement libre et éclairé de l’intéressé. La sanction est sérieuse puisque l’infraction est punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende.
La méthodologie scientifique actuelle impose que les essais cliniques soient menés sous forme d’études comparatives consistant à constituer deux groupes, l’un dans lequel les malades se verront administrer, selon un tirage au sort (randomisation), des soins standards ou un placebo, et l’autre le traitement objet de l’essai. C’est ce que l’on appelle les essais cliniques randomisés en double aveugle ou en ouvert selon que l’investigateur et la personne sur laquelle l’essai clinique est réalisé connaissent ou non le traitement. Actuellement, environ 300 essais cliniques sont en cours, à travers le monde, pour prouver qu’un médicament – nouveau de préférence – permet de lutter efficacement contre le Covid-19. En France, 19 essais cliniques sont actuellement en cours de réalisation et environ 40 essais sont en cours d’instruction [4].
Pour donner un ordre de grandeur, la fameuse cohorte européenne Discovery comporte 5 modalités de traitement (5 bras), 3200 patients sont inclus dont 800 patients français [5].
Dans chacun de ces essais, l’exposition au risque pour le malade n’est pas le même selon le degré de toxicité du médicament testé, selon s’il s’agit d’une molécule nouvelle ou non, selon le moment auquel le médicament est administré : dès les premiers symptômes ou lors d’une forme sévère de la maladie.
Les essais cliniques contrôlés (ou comparatifs) posent de redoutables problèmes éthiques et juridiques, c’est la raison pour laquelle l’article L.1121-2 du code de la santé publique rappelle que « L’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche impliquant la personne humaine prime toujours les seuls intérêts de la science et de la société ».
Dans son avis n°2 du 9 octobre 1984, le Comité National Consultatif d’Ethique relève quant à lui qu’« il est essentiel en particulier, dans un essai comparatif, de voir s’il se présente en "situation d’équivalence" entre les deux traitements ; et, si ce n’est pas le cas, de voir si des conditions exceptionnelles permettent quand même de l’entreprendre. Ainsi, dans l’exemple cité ci-dessus, de l’évaluation d’efficacité d’une nouvelle molécule par comparaison avec un groupe non traité, ou traité par placebo, la situation d’équivalence n’est pas vérifiée s’il existe pour la maladie concernée un traitement reconnu actif. L’essai est donc, en règle générale, contraire à l’éthique ».
La pandémie de Covid-19 est donc pour le juriste l’occasion de questionner à nouveau ces essais comparatifs en particulier concernant les conditions dans lesquelles le consentement des malades est recueilli dès lors que des responsabilités pénales sont encourues.
Ainsi, comment une personne hospitalisée, atteinte du Covid-19, craignant la mort et donc particulièrement vulnérable, pourrait-elle donner un consentement libre et éclairé ? Pourquoi les malades appartenant au groupe placebo ne seraient-ils pas traités lorsqu’un protocole de soins semble par ailleurs fonctionner ? A partir de quelles informations le consentement est-il recueilli ? Les circonstances et les polémiques auxquelles nous assistons sont en effet peu propices à la délivrance d’informations objectives et complètes. D’autant que dans les faits, aucun contrôle effectif sur la qualité des consentements recueillis n’est réalisé, surtout si l’on tient compte de la situation d’urgence et des retards inexpliqués dans la communication des premiers résultats. Certains vont même jusqu’à insinuer que la faute viendrait des malades eux-mêmes qui, en refusant de consentir massivement, compliqueraient le bon déroulement des essais. Le recueil des consentements semble donc bien obéir à une logique industrielle destinée à optimiser les chances de brevet exposant aussi ses promoteurs à un risque pénal qu’il conviendrait de considérer avec une plus grande attention.
II – L’Homme objet de surveillance.
Au XXème siècle, ce que la science-fiction prenait pour de mauvais rêves est en train d’advenir. La société de surveillance ne relève plus du fantasme.
Le niveau de technologie actuel permet désormais très facilement, d’une part, à l’Etat d’exercer un contrôle total sur la population d’un pays et, d’autre part, aux entreprises du capitalisme de surveillance de se nourrir des données que génère chaque individu en utilisant les outils technologiques mis à sa disposition. Dans ce monde, ce sont bien évidemment les données les plus sensibles qui sont les plus convoitées. C’est le cas de l’application StopCovid. Cette application, que cherche à développer le gouvernement, utilise des données sensibles relatives à la santé des personnes. L’idée est d’informer tous les détenteurs de smartphones sur la présence, dans une zone déterminée, d’un individu indésirable car contaminé par le Covid-19. Et la réalité dépasse même la fiction car, selon les déclarations du cabinet de Cédric O, secrétaire d’Etat au numérique, aucune solution ne doit être écartée, pas même le traçage des personnes au moyen d’un bracelet électronique [6] !
Que les grincheux se rassurent, le dispositif StopCovid, s’il devient opérationnel, sera mis en place sur la base du volontariat, ce que ne manque d’ailleurs pas de relever la CNIL, saisie par le gouvernement, avant de donner son feu vert [7]. Elle rappelle dans sa délibération n°2020-046 du 24 avril 2020 que le gouvernement l’a interrogé notamment sur la possibilité de fonder l’application StopCovid sur la base légale du consentement [en italique dans le texte] des utilisateurs comme le prévoient le RGPD et la loi « Informatique et Libertés ».
Le consentement fut également l’argument mis en avant par le maire de Nice lors du carnaval organisé chaque année dans sa ville. Après l’attentat meurtrier qui a touché Nice, le maire décida en effet d’expérimenter, en 2019, sur la voie publique, un système de vidéosurveillance couplé à un dispositif de reconnaissance faciale. Bien qu’utilisant des données biométriques, l’expérience a été menée sans l’aval de la CNIL qui expliqua ne pas avoir eu le temps de répondre à la demande du maire. Selon celui-ci, l’expérience fut un véritable succès. La mairie annonça en effet fièrement que le logiciel était à ce point fiable qu’il aurait même été capable de distinguer dans la foule des jumeaux monozygotes et plus particulièrement le jumeau qui avait préalablement été ciblé pour l’expérimentation [8].
Ces exemples conduisent à penser que l’impensable fait désormais partie du champ des possibles pourvu que le consentement de cobayes humains soit recueilli.
La place centrale donnée au consentement est d’autant plus surprenante qu’en droit pénal, le consentement de la victime n’est pas un fait justificatif de la commission d’une infraction : je ne suis pas irresponsable pénalement d’un meurtre parce que j’ai tué une personne qui m’a demandé de la tuer, quels que soient les mobiles de l’auteur et de la victime.
Surtout, le consentement est le plus souvent vicié soit en raison de la propagande mise en œuvre pour l’obtenir soit parce que des intérêts légitimes ou une mission de service public au sens par exemple de l’article 6 du RGPD seront invoqués pour passer outre. Il est vrai que ce genre de pratique est rarement présenté comme la volonté d’instituer une société hygiéniste ou un Etat policier. Il s’agit toujours au contraire de défendre une noble cause comme l’explique encore le cabinet du secrétaire d’Etat au numérique dans le même article de presse : « l’objectif du Gouvernement est que tout citoyen qui souhaite contribuer à casser les chaines de transmission et de propagation du virus puisse le faire, librement, en toute sécurité et dans un cadre respectant sa vie privée ». Vous ne voulez pas casser la chaine de transmission de la maladie en toute sécurité ? Vous ne voulez pas participer à la lutte contre le terrorisme ? Vous ne voulez pas d’une société plus sûre pour vous et vos enfants ? C’est votre droit, mais quel genre de citoyen êtes-vous ?
On voit déjà fleurir dans les contrats d’assurance auto des clauses permettant à ceux qui consentent à l’utilisation des données relatives à la conduite du véhicule de bénéficier en échange de leur consentement de conditions financières avantageuses. La vérité est que le caractère vicié ou conditionné du consentement n’empêchera jamais le pire d’advenir pour la bonne et simple raison que la technologie ignore le droit [9] ou se sert de lui pour exister.
La technologie aura toujours un temps d’avance sur le droit. Elle devient même le droit en ce qu’elle crée des normes qui se substituent à lui dès lors qu’une majorité de personnes s’y soumettent. « Code is law » disait déjà en 2000 le célèbre juriste américain Lawrence Lessig.
Finalement, la seule manière de résister au tsunami technologique est d’apprendre à interdire car le consentement ne fait pas une politique. La ville de San Francisco, en interdisant, en 2019, la reconnaissance faciale, ne s’y est pas trompée.
Discussion en cours :
Bonsoir !
Gratitude pour votre excellent travail,votre pugnacité ,ainsi que la qualité de vos sources ...
« La liberté d’opinion est une farce si l’informarion sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux mêmes qui font l’objet du débat . »
(Hannah Arendt)
Agréable soirée ...
Evelyne