La loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19 [1] a habilité le gouvernement, pour une durée de 3 mois, à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi « adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ».
C’est dans ce contexte qu’une ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n°2020-290 a été rendue publique à l’issue du conseil des ministres qui s’est tenu ce mercredi 25 mars (ci-après « l’Ordonnance ») [2]. Cette Ordonnance prévoit une série de mesures visant à adapter la procédure pénale à la crise sanitaire actuelle et aux mesures de prévention nécessaires à la limitation de la propagation du coronavirus. Si le report de toutes les audiences pénales à l’exception des contentieux d’urgence (détention provisoire, comparutions immédiates…) avait déjà été annoncé, l’Ordonnance prévoit de nombreuses modalités d’aménagement des actes et audiences afin de les adapter aux nécessités du confinement d’une part, et à l’absence du personnel judiciaire et des auxiliaires de justice d’autre part. Elle contient également des dispositions de fond relatives à l’aménagement des délais de procédure.
La présente communication expose de façon synthétique les principales dispositions susceptibles d’intéresser les entreprises et leurs dirigeants qui sont confrontés à des problématiques de droit pénal et de procédure pénale.
1. Aménagement des délais applicables en matière pénale.
Les délais de prescription sont suspendus à compter du 12 mars 2020 [3]. Ils ne recommenceront à courir qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juin 2020 (sous réserve de prolongation de l’état d’urgence). Pour mémoire, cet état d’urgence sanitaire est entré en vigueur le 24 mars pour une durée initiale de deux mois.
Les délais prévus par la loi pour l’exercice d’une voie de recours – comme l’appel d’un jugement correctionnel, ou encore le pourvoi formé devant la Cour de cassation – sont doublés sans pouvoir être inférieurs à dix jours [4]. Cela signifie en pratique que le délai d’appel d’un jugement rendu en matière pénale est porté à 20 jours pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire.
2. Aménagements pratiques de la tenue des audiences et des actes de procédure pénale.
Les recours et demandes formées auprès de magistrats, ainsi que les dépôts de conclusions et de mémoires, peuvent exceptionnellement être faits, selon les cas, par courrier recommandé avec accusé de réception et/ou par courrier électronique là où habituellement certaines démarches exigent un déplacement au tribunal pour faire enregistrer l’acte auprès du greffe. Il est prévu que les courriers électroniques feront systématiquement l’objet d’un accusé électronique de lecture par la juridiction [5].
L’Ordonnance généralise également la possibilité de recourir à la visioconférence devant l’ensemble des personnes concourant à la procédure pénale et des juridictions pénales, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties [6]. Pourront ainsi par exemple se faire par visioconférence des interrogatoires de première comparution ou des auditions par des juges d’instruction. Il est précisé qu’en cas d’impossibilité matérielle ou technique de recourir à la visioconférence, le juge pourra utiliser toute autre moyen de communication électronique (y compris le téléphone), dans la mesure où celui-ci permet de s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. L’Ordonnance rappelle cependant que si un tel aménagement est décidé, le juge devra s’assurer du respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.
Entorse à la règle qui veut que les audiences soient publiques, les présidents de juridiction pourront décider que les audiences correctionnelles se dérouleront avec une publicité restreinte. Dès lors qu’il serait impossible de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, les présidents pourront également décider de tenir les audiences à huis clos. Toutefois, même dans cette hypothèse, les journalistes pourront assister aux audiences dans les conditions déterminées par le président de la juridiction [7]. Les délibérés pourront également être rendus dans les mêmes conditions, le dispositif du jugement sera alors affiché sans délai dans un lieu de la juridiction accessible au public [8].
Sous réserve de l’adoption d’un décret spécifique ultérieur [9], les audiences correctionnelles (devant le tribunal statuant en première instance, la chambre des appels correctionnels ou la chambre de l’instruction) pourront se tenir à juge unique (contre trois habituellement). La faculté de décider de la formation à juge unique appartiendra, selon les cas, au président du tribunal judiciaire ou au premier président de la cour d’appel, dès lors qu’ils constateront que la réunion de la formation collégiale n’est pas possible. L’Ordonnance précise que la faculté pour les présidents de juridiction de décider d’organiser les audiences à juge unique se fait sans préjudice de la possibilité de renvoyer l’affaire à une formation collégiale habituelle (soit composée de trois juges) si les faits de l’affaire présentent une certaine gravité ou complexité [10].
En cas d’absence, de maladie ou plus généralement d’empêchement des juges d’instruction, le texte prévoit que ces derniers pourront être remplacés, sur décision du président du tribunal judiciaire, par des juges du siège [11]. A noter que cette désignation est une mesure d’administration judiciaire, non-susceptible de recours [12].
Enfin, l’Ordonnance prévoit également que, dans l’hypothèse où une juridiction de première instance est dans l’incapacité totale ou partielle de fonctionner, le premier président de la Cour d’appel dont elle relève pourra désigner, par ordonnance, après avoir consulté les représentants des services juridictionnels, une autre juridiction du même ressort pour connaître de tout ou partie de l’activité relevant de la juridiction empêchée [13].
3. Aménagements en matière de garde à vue.
L’Ordonnance prévoit que l’entretien préalable d’une demi-heure entre la personne gardée à vue et son avocat ainsi que l’assistance de l’avocat aux auditions de son client pendant toute la durée de la garde à vue pourront avoir lieu de façon dématérialisée grâce à un moyen de communication électronique (y compris téléphonique) « dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges » [14].
Si le texte ne prévoit pas que cette possibilité soit soumise à l’accord de l’avocat, une circulaire ultérieure de la garde des Sceaux est venue préciser que l’intervention dématérialisée de l’avocat ne pouvait se faire que lorsque cela apparaît matériellement possible et avec l’accord ou à la demande de l’avocat de la personne gardée à vue [15]. Cette précision est particulièrement bienvenue dans la mesure où le recours à un dispositif dématérialisé pour l’intervention de l’avocat présente un risque d’atteinte aux droits de la défense, les échanges entre l’avocat et son client étant rendus plus difficiles.
Par ailleurs, l’Ordonnance prévoit que les gardes à vue pour certains délits (notamment le délit de blanchiment) pourront être prolongées sans que la personne gardée à vue ne soit présentée devant le procureur de la République, comme la loi le prévoit habituellement [16] ; ce qui – une fois encore – apparaît comme un risque sérieux d’atteinte aux droits de la défense.
4. Application dans le temps des mesures transitoires.
Ces dispositions transitoires entreront en vigueur dès leur publication au journal officiel le 26 mars 2020. Elles seront applicables jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 24 mars pour une durée initiale de deux mois, soit jusqu’au 24 juin 2020 (sous réserve de prolongation de l’état d’urgence) [17].
Discussions en cours :
Bonjour,
... la date de fin de l’état d’urgence sanitaire pour 2020 a été votée pour le 10 juillet 2020.
Votre date est donc erronée me semble-t-il.
Celui de 2021 est - pour le moment - arrêté au 1er juin 2021 mais sans disposition pour une suspension...de l’action publique .
Ceci est important pour le décompte des prescriptions d’actions publiques ou d’exécution de peines - qui sont suspendues pendant l’état d’urgence par l’ordonnance sus-visée.
... et qui reprennent - du coup - ensuite pour le reliquat de la durée de 1 an pour les contraventions . ( infractions commises entre le 12 mars 2020 et le 10 juillet 2020 amendes forfaitaires ) .
... message du 19 mai 2021.
Bonjour,
Très intéressant sauf le mot « impact » dans le titre. Nous sommes hélas « impactés » de toutes part dans le langage des médias et... des avocats. Pourquoi avoir oublié les mots simples tels que : effets, conséquences, répercussions et j’en passe.
Michel Krassilchik
Avocat honoraire
Mes Chers Confrères
Votre article est utile.
Une réflexion sur des réformes et des pratiques liberticides aurait été judicieuse : interpellations dans nos banlieues à répétition et musclée ; placement de mineur par OPP, juge pour enfant prolongeant le placement sans entendre ni les parents ni leurs conseils.
Un état de Droit s’évalue aux droits de ceux qui sont en marge. Et là....Je vous avoue que le corona,s’il nous fait peur et exige des textes, permet des pratiques, en toute impunité, liberticides.
Mes enfants et moi avons assisté à une scène d’une autre époque : pour interpellation d’un mineur, qui était sorti acheter des Kinders, plus de 15 policiers (alors que nous manquons de patrouilles pour les violences faites aux femme), mise au sol et tabassage en règle. Je ne suis pas pénaliste mais je vis en banlieue. Nous sommes Avocats, et quelque soit le contexte, nous devons dénoncer. nous opposer !!! C’est ce qui fait l’essence même de notre profession.