Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 adopté définitivement par l’Assemblée Nationale le 22 mars 2020 autorise le gouvernement à prendre toute mesure :
« g) Permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008 1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ».
Une microentreprise est une entreprise dont l’effectif est inférieur à 10 personnes et dont le chiffre d’affaires ou le total du bilan annuel n’excède pas 2 millions d’euros.
Les autres entreprises, et en l’absence de précisions à ce stade par le gouvernement, devront quant à elles appliquer les mécanismes prévus par le droit des contrats.
1) La force majeure.
Avant toute chose, il convient de vérifier si le bail commercial ne comporte pas une clause de force majeure qui pourrait en restreindre les cas d’application (et exclure expressément le cas de l’épidémie) ou organiser les modalités de sa mise en œuvre.
a) Conditions.
Les conditions de la force majeure sont prévues à l’article 1218 alinéa 1 du code civil lequel dispose que :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Pour que l’épidémie de covid-19 soit considérée comme un cas de force majeure, plusieurs conditions doivent être remplies. Cet évènement doit être (i) imprévisible, (ii) irrésistible et (iii) échapper au contrôle du débiteur.
Le critère d’imprévisibilité s’apprécie à la date de la conclusion du contrat.
Pour les baux qui été signés largement avant l’annonce de l’épidémie, nous pouvons raisonnablement considérer que l’épidémie de covid-19 était imprévisible.
Pour les baux signés après l’annonce de l’épidémie, le critère d’imprévisibilité pourrait faire défaut. Il est toutefois difficile à ce stade de définir la date à laquelle l’épidémie de covid-19 peut être regardée comme un évènement prévisible : à compter de l’apparition du virus en Chine en décembre 2019 ou bien de la déclaration de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) du 30 janvier 2020 considérant l’épidémie de covid-19 comme une urgence de santé publique de portée internationale ou encore à compter des premières mesures restrictives prises par le gouvernement français ?
Concernant le critère d’extériorité, il ne fait pas de doute que l’épidémie de covid-19 échappe au contrôle du preneur.
Enfin, l’évènement doit être irrésistible pour le débiteur, en l’occurrence ici le preneur. L’évènement doit être pour lui « inévitable », « insurmontable ». Le débiteur doit démontrer que l’impossibilité d’exécuter son obligation ne pouvait être évitée par des mesures appropriées. Les juges se livrent à une appréciation in concreto et recherchent si un individu ordinaire placé dans les mêmes circonstances aurait pu résister ou surmonter l’obstacle.
Appliquer au bail commercial, le preneur devra ainsi démontrer qu’en raison de l’épidémie de covid-19 ou plutôt en raison des mesures restrictives prises par le gouvernement pour lutter contre cette épidémie, il était dans l’impossibilité de payer son loyer.
A notre sens, la simple fermeture des locaux ne suffit pas. Tout dépend en réalité de l’activité que le preneur exerce dans les locaux.
Ainsi par exemple, pour les entreprises dont l’activité est consubstantiellement attachée à l’exploitation du local commercial (restaurants, boutiques…), la fermeture du local va nécessairement avoir un impact négatif sur leur chiffre d’affaires. Le preneur devra toutefois dans ce cas démontrer qu’il est dans l’impossibilité de payer son loyer et non pas seulement qu’il éprouve de simples difficultés financières pour le faire.
A l’inverse, pour les entreprises dont la poursuite de l’activité est rendue possible à travers le télétravail, le preneur pourra difficilement arguer qu’en raison de l’épidémie de covid-19 il se trouve dans l’impossibilité de payer son loyer.
Il n’est donc pas possible d’admettre de façon générale que l’épidémie covid-19 constitue un cas de force dans les relations bailleur-preneur. Tout dépend du cas d’espèce, que les juges apprécieront souverainement.
b) Les effets de la force majeure.
Les effets de la force majeure différent selon que l’impossibilité d’exécuter le contrat est temporaire ou définitive.
Dans notre situation, le preneur va être dans l’impossibilité de payer son loyer aussi longtemps que dureront les mesures prises par le gouvernement. Il s’agit donc d’un cas d’impossibilité temporaire.
Dans ce cas, l’article 1218 alinéa 2 du code civil prévoit que l’exécution de l’obligation est suspendue jusqu’à ce que l’empêchement disparaisse.
Appliqué au bail commercial, le preneur pourra donc suspendre le paiement de son loyer pendant cette période. Il sera en quelque sorte « excusé » de la non-exécution de son obligation et le bailleur ne pourra pas invoquer la clause résolutoire pour demander la résiliation du bail, ni demander des dommages et intérêts à ce titre.
A notre sens, le preneur sera simplement autorisé à reporter le paiement de son loyer. La force majeure n’a pas d’effet libératoire. Le preneur devra donc payer son loyer une fois l’épidémie terminée et dès qu’il aura retrouvé meilleure fortune.
Si les conditions de la force majeure ne sont pas réunies, le preneur peut éventuellement agir sur le terrain de l’imprévision.
2) L’imprévision.
L’imprévision a été consacrée par l’ordonnance du droit des obligations du 10 février 2016 à l’article 1195 du code civil.
Cette disposition ne s’applique que pour les baux signés ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur du texte.
Par ailleurs, cette disposition n’est pas d’ordre public et il n’est pas rare que les parties aient dans leur bail écarté l’application de cet article. Ce point doit être scrupuleusement vérifié dans le bail.
a) Conditions.
Les conditions sont prévues à l’article 1195 alinéa 1 du code civil : il faut « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend[ant] l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ».
On retrouve ici le critère d’imprévisibilité exigé par l’article 1218 du code civil relatif à la force majeure.
Toutefois, contrairement à la force majeure, le débiteur doit démontrer que l’exécution de son contrat est rendue excessivement onéreuse, et non pas qu’il est dans l’impossibilité d’exécuter son obligation, ce qui est souple.
Cet article pourrait donc jouer dans le cas où le preneur éprouve des sérieuses difficultés à payer son loyer en raison d’une baisse de son chiffre d’affaires due à l’épidémie de covid-19.
b) Effets.
Si ces conditions sont satisfaites, l’article 1195 du code civil prévoit que la partie peut demander une renégociation du contrat à son contractant. Le preneur pourrait donc espérer négocier une baisse de loyer avec son bailleur, étant précisé que pendant cette phase de renégociation le preneur devra continuer à payer son loyer.
En cas d’échec des négociations, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. Là encore, tant que le juge ne s’est pas prononcé, le preneur devra payer son loyer.
Il n’est donc pas certain que cet article soit une solution adaptée pour le preneur.
Discussion en cours :
"le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure" (Cass com 16 septembre 2014 n°13-20.306)