Ainsi, par définition, le droit de travail est l’ensemble des règles qui régissent les rapports entre employeurs et salarié ; ce rapport d’employeur à salarié se concrétise à travers une convention de travail. Qu’entendons-nous par contrat de travail ?
Dans le silence des textes, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé « qu’il y a contrat de travail quand une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne, moyennant rémunération » [1]. Avant d’éluder notre sujet, il convient d’emblée d’appréhender les différents concepts clés qui fondent notre définition.
A cet effet, la cour de cassation a ressorti 3 critères clés de cette définition pour qualifier un contrat de convention de travail à savoir :
• La fourniture d’une prestation de travail
• Moyennant rémunération
• Sous la direction d’une personne(employeur)
Les deux premiers critères ne sont pas vraiment nécessaires pour parler de contrat de travail mais le critère déterminant est le lien de subordination.
En effet, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.
Ceci étant, il incarne en effet l’idée d’un pouvoir de direction et de contrôle exercé par le commanditaire de la prestation de travail (l’employeur) sur le travailleur dans l’exécution de sa prestation. Dès lors que cette subordination juridique est constatée, il y a forcément contrat de travail, et ce quel que soit la condition sociale et économique du salarié.
Bien que le contrat s’exécute conformément à la loi en vigueur, il est souvent en proie à des circonstances conduisant soit à la résiliation soit à la suspension des obligations des parties lors de la survenance d’un événement ; on parle de ce fait de cas de force majeure. Un tel sujet relatif à la COVID-19 et le sort du salarié nous amène à nous poser la question suivante : quel est le sort du salarié dans une entreprise en cas de force majeure ? Pour élucider une telle problématique il sied d’entrée en jeu d’aborder en premier lieu la question de force majeure ensuite le traitement qui est réservé au salarié en cette période de COVID-19.
I. Appréhension du cas de force majeure.
L’article 269 du dahir formant code des obligations et contrats nous donne une définition concise de la force majeure comme suit : La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresse, orages, sauterelles). Invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation.
Cette définition semble être claire pour les personnes aguerries et non pour les profanes et pour apporter plus de précision à cette définition, la jurisprudence a rendu une décision allant dans ce sens en élargissant cette dernière. Pour se faire, les juges ont considéré que pour que la force majeure soit effective, elle doit réunir 3 conditions à savoir :
L’imprévisibilité : elle suppose que l’événement ne peut être prédit, si tel est le cas, l’on aurait pris les mesures appropriées pour éviter le préjudice ou encore limiter les dégâts
L’extériorité dans ses effets, suppose que l’événement est hors de la volonté de la personne mise en cause.
L’irrésistibilité : elle indique en effet que l’événement est insurmontable, et que la personne mise en cause aurait tout fait pour arrêter l’événement mais il était d’une force accrue voire d’une difficulté insurmontable.
II. La COVID-19 assimilée à la force majeure.
Après avoir éludé les éléments clés de la force majeure ; il faut s’interroger sur la question de savoir si la COVID-19 ne peut-elle pas être assimilée à un cas de force majeure ? y répondre directement serait de mettre la charrue avant les bœufs sachant que la règle de droit doit faire office pour en découdre.
Ainsi, il existe des décisions allant dans ce sens sur lesquelles il serait intéressant de se pencher pour essayer d’assimiler la COVID-19 à la force majeure bien que ces décisions portent sur des affaires différentes mais leurs conclusions pourraient mettre en lumière la situation qui prévaut en matière de droit de travail.
Une entreprise au Maroc a décidé d’arrêter la production des sacs en plastique en 2015, conformément à la loi 17/15 portant interdiction de la fabrication, de l’importation, de l’exportation, de la commercialisation et de l’utilisation de sacs en matières plastiques, l’adoption de cette loi a contraint les entreprises de production des sacs en plastiques de fermer leurs portes. Ainsi, la conséquence de l’exercice de cette activité, les employés ont été licenciés. Ceci étant, les Juges ont qualifié cette décision de fait du prince tel que défini à l’article 269.
En l’espèce, cette décision de l’entreprise n’émane pas de sa propre volonté bien au contraire c’est l’intervention d’un tiers qui est l’administration qui s’impose aux employés et employeurs.
Corrélativement à ce qui a été dit au préalable en ce qui concerne le fait du prince ; à titre d’exemple : suite à l’expansion de la pandémie du coronavirus, les autorités marocaines se sont rendues dans les locaux de la société Wright et Dar Moul Atay leader dans la distribution du thé au Maroc et un peu partout dans le monde et deux filiales appartenant au groupe T-Mandis au Maroc, leur ont exigés de fermer leurs points de vente et ce sous décision de l’Administration.
Le coronavirus étant une pandémie jugée dangereuse, qui ne pouvait être prévue et dont les conséquences sont irrésistibles, il peut être qualifié de circonstance exceptionnelle en raison des caractéristiques qu’il réunit à l’instar de la force majeure elle-même à savoir : l’imprévisibilité, l’extériorité et enfin l’irrésistibilité.
La qualification de la COVID-19 en circonstance exceptionnelle est une fois de plus affirmée par la jurisprudence française qui à travers une affaire en question, ne portant pas sur un licenciement ou une perte d’emploi mais plutôt de statuer sur la recevabilité de la requête d’une préfète, relative à la rétention administrative d’un individu.
Ce dernier n’a pas pu être conduit à l’audience de la Cour d’appel en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l’épidémie en cours de la COVID-19 ». Le fait que la justice française considère la situation exceptionnelle due au Coronavirus comme un cas de force majeure, ne laisse pas la justice marocaine muette car de telle question se laisse apprécier par le juge marocain au cas par cas.
III. Le sort du salarié pendant la période de la COVID-19.
Dans la relation de travail, le salarié se trouve sous la subordination juridique de son employeur, de ce fait il est tenu d’exécuter les tâches qui lui sont confiées le cas échéant. Or, sachant que nous sommes en période de la COVID-19, qui est ainsi considérée comme cas de force majeure ; toutes les obligations qu’incombe à chacune des parties au contrat sont suspendues d’où l’on observe le principe de « pas de prestation, pas de rémunération », de par ce principe, on constate inéluctablement une réciprocité accrue des contractants ce qui suppose que le salarié est rémunéré une fois que la prestation qui lui a été confiée a été exécutée.
Mais étant donné qu’avec la situation qui prévaut, on remarque que les parties ne peuvent exécuter leurs engagements du fait de la COVID-19 ce qui sous-entend une fermeture des entreprises mais on se pose la question de savoir dans le cas en l’espèce, les salariés partiront ils au chômage sans rémunération ?
Avant toute amorce de la problématique soulevée, il sied de signaler que le contrat reprend son cours dès lors que l’événement qualifié de force majeure prend fin. A l’exception de de la force majeure qui peut être source de suspension de contrat, il faut également compter d’autres types de cas figures de suspension du contrat de travail à titre d’enseigne la suspension pour blâme, mise à pied (…) comme édicté par le code de travail marocain.
Entrant à présent dans le vif du sujet, le code de travail dans son article 32 dispose que : « Le contrat est provisoirement suspendu :
1°pendant la durée de service militaire obligatoire ;
2° pendant l’absence du salarié pour maladie ou accident dûment constaté par un médecin ; 3° pendant la période qui précède et suit l’accouchement dans les conditions prévues par les articles 154 et 156 ci-dessous ;
4°pendant la période d’incapacité temporaire du salarié résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ;
5° pendant les périodes d’absence du salarié prévues par les articles 274, 275 et 277 ci-dessous 6° pendant la durée de la grève ;
7°pendant la fermeture provisoire de l’entreprise intervenue légalement. Toutefois, nonobstant les dispositions prévues ci-dessus, le contrat de travail à durée déterminée prend fin à sa date d’échéance.
Le point 7° de l’article 32 nous intéresse tant, l’entreprise ne peut fermer ses porter et laisser ses employés au chômage, par conséquent, et conformément au décret d’application de la loi 25-20, un employeur peut imposer l’arrêt temporaire du travail à des salariés et les déclarer à la CNSS pour bénéficier de l’indemnité forfaitaire COVID, à condition de ne pas figurer sur la liste négative.
Une autre solution a été proposée par l’article 54 du code de travail qui énumère les différentes périodes de travail effectif : « Sont considérées comme périodes de travail effectif :
1) Les périodes de congé annuel payé ;
2) Les périodes de repos de femmes en couches prévues par les articles 153 et 154 ci-dessous et la période de suspension du contrat de travail prévue par l’article 156 ci-dessous ;
3) La durée de l’incapacité temporaire de travail lorsque le salarié a été victime d’un accident du travail ou a été atteint d’une maladie professionnelle ;
4) Les périodes où l’exécution du contrat de travail est suspendue, notamment pour cause d’absence autorisée, de maladie ne résultant pas d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, de fermeture temporaire de l’entreprise par décision administrative ou pour cas de force majeure.
La COVID étant la cause entraînant la cessation de l’exécution du contrat de travail, cette période d’inexécution du contrat de travail est considérée effective ceci étant l’employeur est tenu dans ce cas de verser une contrepartie au salarié cependant cette rémunération n’est pas équivaut à la somme perçue lorsque la prestation est dûment exécutée.
En revanche si l’employeur se trouve entre le marteau et l’enclume de pouvoir rémunérer ses salariés sachant que son cocontractant n’exécute pas le contrat, ceci dit, il peut appliquer le travail par roulement comme prévu à l’article 187 du code travail pour qu’en effet chacune des parties soit satisfaite. En d’autres termes, le salarié sera rémunéré en fonction des heures durant lesquelles il a travaillé et l’employeur obtiendra satisfaction de la prestation accomplie par son salarié.
Il dispose que "Le travail par roulement ou par relais est interdit sauf dans les entreprises où cette organisation du travail est justifiée par des raisons techniques."
On entend par « travail par roulement », l’organisation du travail qui permet à un établissement de rester ouvert tous les jours de la semaine, sans que chaque salarié qui s’y trouve occupé ne dépasse la limite maximum légale de la durée du travail.
On entend par « travail par relais », l’organisation de travail avec des équipes tournantes sur la base de la non-simultanéité des repos des salariés dans le cadre de la même journée.
Cet article permet aux entreprises pendant cette période de rester ouvert tous les jours de la semaine, pour se faire, les heures de travail vont être réduites. Bien que les deux cas de modes d’organisation évoqués par ledit article sont interdits sauf les entreprises par des raisons techniques, ils peuvent être optés par l’entreprise pour ne pas suspendre le contrat de travail.Dans ce cas, l’employeur doit au préalable consulter les délégués du personnel ou le comité d’entreprise pour les structures qui comptent au moins 50 salariés. Il doit également en aviser l’Inspection du travail. Le programme doit être clairement affiché dans les locaux du travail.
Ceci est un moyen efficace prévu par le législateur marocain pour palier à un taux de chômage accru et laisse entrevoir la volonté du législateur marocain à protéger le salarié.