Par un communiqué en date du 22 avril 2020, le Président de la Fédération française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) a annoncé que 650 conventions d’usage de sites naturels d’escalade allaient être dénoncées.
Depuis plusieurs années, l’équipement et l’entretien de nombreux sites naturels d’escalade ont été portés par la FFME par le biais des ligues régionales et des comités territoriaux de la fédération et grâce à l’engagement de nombreux bénévoles.
Pour ce faire, la FFME a signé des conventions d’usage avec les personnes privés ou publiques propriétaires de falaises, par lesquelles la FFME s’engageait à équiper et entretenir le site et se voyait confier « la garde de la chose », au sens des dispositions de l’article 1242 du code civil.
Cependant, la décision rendue par la Cour d’appel de Toulouse le 21 janvier 2019 [1] et la lourde condamnation de la FFME et de son assureur à indemniser les victimes a sonné le glas des conventions d’usage.
Face au vide que va laisser la dénonciation de ces conventions, quelle place et quel rôle pour les collectivités territoriales propriétaires de sites naturels d’escalade ?
I.- Les conventions d’usage de SNE : avantages et inconvénients.
A/ Les conventions d’usage : un outil efficace pour la démocratisation des SNE.
Depuis de nombreuses années, la Fédération française de la Montagne et de l’Escalade proposait aux propriétaires la conclusion d’une « convention d’autorisation d’usage de terrains en vue de la pratique de l’escalade – site sportif » [2] qui comportait notamment les obligations et engagements suivants :
Ouverture au public et aux personnes pratiquant l’escalade avec une « politique sportive » librement décidée par la FFME sur les zones concernées par la convention ;
Installation et suivi technique des équipements de sécurité conformément aux normes fédérales d’équipement ;
Mise en place du balisage du site, sans préjudice du pouvoir de police du Maire ;
Entretien et maintenance du site d’escalade ;
Transfert de la garde du site et des biens visées par la convention et responsabilité de la fédération pour les « conséquences juridiques pouvant résulter de la pratique de l’escalade sur le site » ;
Garantie de la Commune par la FFME « dans le cas où sa responsabilité serait recherchée en raison de l’utilisation sportive du site », sauf dans le cas où la Commune serait intervenue sur le site en modifiant les conditions de sécurité ou aurait procédé à des travaux.
La signature de ces conventions a permis le développement considérable de l’équipement des sites naturels sur le territoire métropolitain et en outre-mer, et de contribuer à la démocratisation de la pratique de l’escalade sportive, sans compter l’attractivité touristique internationale de certains sites majeurs.
B/ Les conventions d’usage : transfert de la garde de la chose à la FFME.
L’intérêt principal de cette convention d’usage était le transfert de la garde de la chose, et donc de la responsabilité délictuelle du propriétaire du site naturel à la fédération.
On rappellera brièvement que la responsabilité du fait des choses tirée de l’article 1242 [3] du code civil (« On est responsable […] des choses que l’on a sous sa garde ») soumet le propriétaire de la chose à une présomption de responsabilité en cas de dommages, sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer sa faute. Le gardien de la chose ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en cas de force majeure, de faute de la victime ou du fait d’un tiers.
Etant précisé que la Cour de cassation a récemment considéré, à propos d’un accident entre deux motocyclettes lors d’un entrainement sportif dans un circuit fermé, que l’acceptation des risques par la victime n’était pas une cause exonératoire de responsabilité pour le gardien de la chose [4].
C’est sur ce fondement que le TGI de Toulouse et la Cour d’appel de Toulouse ont condamné la FFME et son assureur à indemniser les victimes de l’accident de Vingrau.
Les faits étaient les suivants : un guide et sa compagne ont été grièvement blessés par la chute d’un bloc de pierre lors d’une ascension sur un site d’escalade sportif géré par la fédération par le biais d’une convention d’usage conclue avec la Commune de Vingrau « 5 mètres de hauteur il a posé sa main sur un rocher et s’est hissé en tirant sur sa prise, que le rocher s’est désolidarisé entraînant sa chute et blessant gravement sa compagne au bras droit. »
Dans cette espèce, la Cour d’appel de Toulouse, confirmant le jugement de première instance, a retenu la responsabilité de la FFME en sa qualité de gardien de la chose, transférée par la convention d’usage :
« L’article 1384 alinéa 1 du code civil institue une responsabilité de plein droit, objective, en dehors de toute notion de faute qui pèse sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage, sauf à prouver qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère, le fait d’un tiers ou la faute de la victime présentant les caractères de la force majeure. »
La Cour a considéré que « le rocher de la voie d’escalade a été l’instrument du dommage » et que la responsabilité de la FFME, qui « au moment de l’accident, disposait sur cette chose des pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la garde », était engagée.
La fédération et son assureur ont alors été condamnés à indemniser les victimes des préjudices subis à hauteur de 1.620.000 d’euros [5].
Le recours indemnitaire de la fédération à l’encontre de la Commune de Vingrau devant la juridiction administrative afin de reconnaître la responsabilité de la Commune dans la réalisation du dommage du fait de travaux effectués à proximité du site, a par ailleurs été rejeté. Aucune faute de la Commune n’a été retenue [6].
II.- Dénonciation des conventions d’usage : quel rôle pour les collectivités territoriales ?
A/ Quel régime de responsabilité pour les collectivités propriétaires ?
La dénonciation des conventions d’usage mettra fin aux engagements et obligations de la FFME, à savoir, l’entretien, la maintenance du site et en particulier le transfert de la garde de la chose, au sens des dispositions de l’article 1242 du code civil.
La première conséquence pour les collectivités territoriales va donc être de reprendre à leur charge l’entretien et la maintenance des sites naturels, dont elles sont propriétaires et la responsabilité des dommages pouvant résulter la pratique sportive.
Se pose alors la question du régime de responsabilité applicable en cas d’accident sur le site.
Si la jurisprudence est fournie concernant « l’escalade » de monument public, de muret ou de fontaine publique [7], il existe peu de décisions portant sur la responsabilité d’une personne publique du fait de la pratique de l’escalade en site naturel.
A titre d’exemple, une décision du 4 juillet 2002 rendue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux retient la responsabilité de la commune, non pas en raison de la chute d’un rocher sur une « partie du secteur non spécialement aménagé par la Commune pour pratiquer l’initiation à l’escalade », mais en raison d’un manquement à ses obligations en matière de police municipale pour n’avoir pas signalé « les dangers présentés par la falaise située à proximité immédiate de l’école d’escalade » [8].
Si dans cette espèce, la Cour parait, en creux, avoir reconnu la domanialité publique du site par la présence d’un aménagement spécial, une telle qualification serait-elle retenue pour l’ensemble des sites d’escalades propriétés de personnes publiques ?
L’analyse se fera au cas par cas, mais la localisation de nombreuses falaises et la préservation de leur caractéristique naturelle pourrait écarter cette qualification.
L’équipement d’un site naturel pourrait-il conduire à retenir la qualification d’ouvrage public, ouvrant la voie à une responsabilité pour dommages de travaux publics ?
A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a considéré qu’une piste de ski ne constituait pas un « ouvrage public » [9], mais a notamment pu reconnaitre cette qualité à un ouvrage ou équipement sur la piste [10].
Si le juge administratif venait à raisonner par analogie avec le régime de responsabilité sur le domaine skiable, il ne fait pas de doute que de nombreuses problématiques sur la qualification d’ouvrage public d’un site d’escalade, de la domanialité publique ou privée du site en fonction de son affectation à un service public ou à l’usage du public, ou encore sur le régime de responsabilité applicable ne manqueront de se poser.
Sans compter les régimes spécifiques applicables aux espaces naturels classés, visés à l’article L.365-1 du code de l’environnement , pour lesquels la responsabilité administrative ou civile des propriétaires doit être appréciée en tenant compte des « risques inhérents à la circulation dans ces espaces » [11].
B/ Quelles perspectives pour les SNE ?
La première tentation pourrait être d’interdire l’accès aux sites naturels et d’en supprimer l’équipement, voire d’interdire la pratique de l’escalade sur son territoire.
Outre le fait que cela priverait de nombreux territoires d’une partie de leur attractivité touristique et sportive, sans compter le nombre croissant d’associations sportives et de salles privées qui assurent la promotion de l’escalade, cette décision n’empêcherait, à notre sens, ni la pratique « illégale » ni le rééquipement « sauvage » de ces sites.
Par ailleurs, l’interdiction générale de la pratique de l’escalade sur le territoire d’une commune est susceptible d’être considérée comme irrégulière [12].
La deuxième tentation serait de faire évoluer le régime de responsabilité en matière de pratiques sportives en site naturel, afin que le propriétaire et/ou gardien ne supporte pas seul la responsabilité d’un accident du fait de la pratique de l’escalade.
Sur ce point, il faut préciser qu’un amendement au projet de loi n°2750 portant accélération et simplification de l’action publique, adopté par le Sénat le 5 mars 2020, avait notamment pour objet de limiter la responsabilité du gardien pour les dommages causés à l’occasion d’un sport de nature, et d’abroger le régime spécifique de responsabilité dans les sites naturels protégés [13] :
Amendement 37 ter « Après l’article L. 311-1 du code du sport, il est inséré un article L. 311-1-1 ainsi rédigé :
Art. L. 311-1-1. – Les dommages causés à l’occasion d’un sport de nature ou d’une activité de loisirs ne peuvent engager la responsabilité du gardien de l’espace, du site ou de l’itinéraire dans lequel s’exerce cette pratique pour le fait d’une chose qu’il a sous sa garde, au sens du premier alinéa de l’article 1242 du code civil.
Le chapitre V du titre VI du livre III du code de l’environnement est abrogé ».
Le projet de loi de loi a été transmis à l’Assemblée Nationale.
En attendant une éventuelle modification législative, et c’est la troisième voie, les collectivités territoriales vont être contraintes de préparer la fin des conventions d’usage.
Il conviendra au préalable de disposer d’un inventaire à jour des falaises équipées et de l’état des équipements et aménagements réalisés (vétusté, conformité réglementaire, etc.) et de connaitre le coût estimé d’entretien de ces sites.
Cette démarche supposera de se rapprocher des ligues et des comités techniques départementaux, ainsi que des acteurs locaux, pour organiser la reprise des sites naturels d’escalade, voire des propriétaires privés qui disposent de falaises et dont la collectivité souhaiterait assurer la gestion.
Elle pourra également se combiner avec l’action du Département qui dispose d’une compétence de « développement maitrisé des sports de nature » aux termes de l’article L.311-3 du code du sport, et peut élaborer un plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature (PDESI) et créer une Commission départementale des espaces, sites et itinéraires (CDESI) chargé de mettre en œuvre le plan [14].
Cette collaboration entre les communes propriétaires et les départements parait encouragée par le gouvernement qui indique que les communes peuvent s’appuyer, dans le cadre des démarches de sécurisation des sites naturels, sur l’expertise des services du département, compétent en matière de sports de nature en application de l’article L.311-3 du code du sport [15].
Il reviendra donc aux collectivités territoriales de définir une politique pour ces sites naturels d’escalade qui se trouvent à la frontière de plusieurs compétences locales et notamment en matière sportive, touristique et économique.
Discussions en cours :
Bonjour,
Merci pour votre article qui résume bien la situation.
J’avoue que j’ai du mal à accepter l’application de l’article 1242 du code civil aux "lois de la nature".
Il serait intéressant de faire une comparaison avec la situation juridique d’autres pays.
Les Etats-Unis par exemple sont connus pour "une judiciarisation de la société" et pourtant il est possible de grimper en site naturel.
Une autre question : qu’en est-il de la haute montagne ou de l’espace public ? Qui est le gardien de la chose ? Par exemple si une pierre blesse un randonneur dans les calanques ?
Bien à vous,
Jean-Marc
Bonjour,
Le régime de responsabilité du fait des choses est protecteur de la victime. En matière de sports et d’activités de nature, il peut ne pas paraître adapté. C’est la raison pour laquelle il a été demandé par certains élus de modifier la loi en la matière (cf. récent projet de loi).
La responsabilité est appréhendée au cas par cas (type d’accident, lieu de l’accident, domaine public/propriété privée, l’accident résulte-t-il d’une faute ? etc.) et ne permet pas une réponse courte et tranchée. Elle peut effectivement différer selon que l’accident a lieu en haute montagne ou sur le domaine public.
Enfin, il semblerait que ce régime de responsabilité objective ne soit pas retenu dans d’autres pays, mais cela reste à vérifier.
Cordialement,
M.CANO