Défense pénale aux assises : accepte-t-on encore l’idée d’un droit à se défendre ?

Par Lee Takhedmit, Avocat.

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Explorer : # défense pénale # droit de la défense # viol # procédure pénale

La place des victimes dans le procès en Cour d’assises est devenue telle, leur parole sacralisée à tel point qu’on est en droit de s’interroger ; existe-t-il encore un espace admis à l’accusé pour se défendre ?

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Il y a quelques mois, je défendais en Cours d’assises, aux côtés de mon ami Lucas Hervé, avocat au barreau de Rennes, un accusé de viol simple.

Mais comment peut-on écrire qu’un viol serait simple ? me dira une partie des éventuels lecteurs de ce billet qui signe mon retour à la rédaction d’articles d’humeur judiciaire.

C’est que depuis ma retraite littéraire, la situation en termes de liberté de penser, de s’exprimer et même d’avoir des idées en matière de défense judiciaire, en matière de moeurs en particulier, s’est trouvée encore considérablement réduite, dans la société civile comme dans le monde judiciaire, au point de m’inspirer ces quelques lignes.

Un viol est qualifié de simple lorsqu’il n’est pas aggravé par quelque circonstance qui le ferait qualifier de viol aggravé. Faisant encourir à son auteur non plus 15 années de réclusion criminelle au maximum, mais 20. Ou plus.

Dans notre affaire, le client, un soir de sortie en boite de nuit, fait la rencontre d’une jeune femme, le tout sur fond d’alcool, comme toujours ou presque, et la soirée finit péniblement, à demi endormis, dans la chambre du jeune homme.

Lui dit que l’embryon de séduction éclos dans la discothèque s’installe et abouti à une relation sexuelle, elle dit se réveiller surprise dans son lit, et subir cette relation sexuelle comme un viol, sous les cris et les menaces. Et puis vont s’enchainer de nouveau deux autres relations sexuelles, dont le dossier démontre qu’elles sont pour le compte subies, sans qu’aucune contestation ne soit possible, notamment en raison de l’enregistrement vidéo de l’une d’elles, où l’on voit la victime s’opposer, pleurer, subir, subir.

Le positionnement de notre client est donc clair : il reconnait les faits de viol, mais tient à indiquer que la première relation sexuelle était consentie, que ce n’est qu’après qu’il s’est vu refuser la seconde qu’il s’est imposé par la violence.

Pour ainsi dire et paraphraser Brassens, cela « ne change rien à l’affaire », ni à la qualification des faits, ni à la peine encourue. Mais on va voir que dans le cadre des débats, cela finit par avoir un impact tout à fait sensible et désagréable pour notre client.

Le point de vue de l’accusation tient en quelques mots : la victime ne ment pas, puisque le viol est reconnu. Imaginer que la première relation sexuelle pût être consentie est honteux, au regard de ce qui s’est ensuivi et surtout cela présente deux inconvénients majeurs ; à la fois aggraver les conséquences du viol pour la victime par mépris de sa parole et de son point de vue, à la fois faire craindre une réitération pour l’avenir, car un accusé qui ne reconnait pas intégralement les faits, au risque de remettre en question la parole de la victime, voire de la traiter de menteuse, est une personne fourbe et retorse qui n’hésitera pas à commettre de nouveau ce type de faut si l’occasion se présente.

On pourrait en rire. On ne le fit pas. Notamment au regard de l’accueil assez favorable que semblait recueillir ce prêchi prêcha chez le président et ses acolytes.

Sacralisation de la victime, de sa parole, diabolisation de la défense, restriction de son champ de manœuvre, tels sont les germes portés par ce mode de fonctionnement dont malheureusement, je constate qu’il a tendance à se généraliser ces dernières années.

Mais surtout, lorsque l’on pousse le raisonnement et l’analyse jusqu’au bout, on finit par comprendre qu’en matière de mœurs en particulier, le moindre argument de défense est désormais pris comme une gifle en plein visage des parties civiles ou des victimes.

La moindre opposition à la version donnée par la victime est une remise en cause de son statut, un couteau remué dans la plaie, qui devient ipso facto circonstance aggravante, y compris dans un dossier ou aucune circonstance de la sorte n’a été retenue.

Et le Procureur Général de requérir en toute transparence en indiquant que pour lui, c’est ce comportement de l’accusé, non pas lors des faits, mais dans le cadre de sa défense judiciaire, qui justifie pour lui de prendre des réquisitions d’une sévérité accrue, réclamant une peine de réclusion de 11 années.

Si le moindre argument de défense, la moindre contestation de la parole de la victime doit aboutir à une aggravation de la peine, quelle latitude est laissée à la défense ?

Lui est-il encore permis de se défendre si l’on veut circonscrire ses moyens de défense à des excuses, des répétitions de ce que la victime lui reproche et à regarder ses pompes maladroitement ?

De mon point de vue, non. Et il reste en réalité à occuper le terrain sur le front de la liberté de se défendre et à rappeler qu’il est inadmissible que l’accusateur public puisse retenir contre la défense les moyens qu’elle a choisis pour se présenter devant ses juges.

Ce que nous fîmes. Avec manifestement une écoute moins attentive que celle que la cour semblait avoir réservée aux élucubrations du Parquet sur le risque de réitération lié à l’outrecuidance de l’accusé qui n’acquiesce pas aux accusations de la victime.

10 ans de réclusion. Pas si simple, ce viol.

Lee Takhedmit
Avocat au Barreau de Paris
Spécialiste en droit pénal

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