I. Des défis en apparence ludiques, mais parfois mortifères.
Le "challenge" est un format vidéo où un utilisateur relève un défi, souvent physique ou comportemental, avant de le publier et d’inviter d’autres internautes à faire de même. Ce mécanisme, fondé sur la répétition virale et le besoin de reconnaissance sociale, a donné naissance à des tendances aussi diverses que controversées.
Parmi les exemples récents les plus marquants, le "Blackout Challenge" incitait les adolescents à se filmer en train de s’étouffer volontairement jusqu’à la perte de conscience. Plusieurs cas de décès ont été recensés dans le monde, y compris en France. Le "Skull Breaker Challenge" a également défrayé la chronique : deux personnes poussent violemment une troisième vers l’arrière pendant un saut, provoquant chutes et traumatismes crâniens.
Le "ding dong ditch challenge", à l’origine du drame survenu dans le comté de Spotsylvania, en Virginie (États-Unis), le 3 mai 2025, consiste à sonner à la porte d’une maison puis à s’enfuir rapidement tout en filmant la réaction des habitants. Ce qui devait être une plaisanterie nocturne s’est transformé en tragédie lorsque Michael Bosworth, un lycéen de 18 ans, a été abattu par un voisin, Tyler Chase Butler, âgé de 27 ans, qui a ouvert le feu, pensant répondre à un cambriolage. Un autre adolescent a été blessé, tandis qu’une troisième personne a été retrouvée indemne. Le tireur a été inculpé pour meurtre au second degré. Michael est décédé quelques heures avant la cérémonie de remise de son diplôme de fin d’études secondaires, suscitant une vive émotion dans son établissement scolaire, qui a organisé une veillée en sa mémoire.
Si certains défis peuvent paraître anecdotiques ou inoffensifs, d’autres relèvent clairement de la mise en danger d’autrui. Leur popularité repose sur l’exposition publique des participants et le dépassement des limites sociales, ce qui brouille la frontière entre divertissement et comportement délictuel.
II. Une pluralité d’actions juridiques mobilisables.
Responsabilité des participants. Face à ces dérives, le droit ouvre plusieurs voies d’action. Les participants eux-mêmes peuvent voir leur responsabilité engagée. En droit pénal, ils peuvent être poursuivis pour violences volontaires, mise en danger de la vie d’autrui, voire homicide involontaire. En droit civil, ils peuvent être condamnés à réparer le préjudice causé à autrui. Lorsque les auteurs sont mineurs, la responsabilité des parents peut être engagée sur le fondement de l’article 1242 du Code civil.
Responsabilité des plateformes. La plateforme TikTok peut également faire l’objet d’une interpellation juridique. Si son statut d’hébergeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) limite sa responsabilité tant qu’elle n’a pas connaissance d’un contenu manifestement illicite, le Digital Services Act (DSA) renforce ses obligations. Ce texte impose désormais une vigilance accrue, notamment en matière de modération, de transparence algorithmique et de retrait rapide des contenus dangereux.
Responsabilité des complices et co-auteurs. Par ailleurs, les co-auteurs ou complices, tels que ceux qui filment ou encouragent les défis, peuvent aussi être mis en cause. Certaines incriminations comme la provocation à la commission d’un délit, ou la non-assistance à personne en danger, peuvent être juridiquement activées en fonction des faits.
III. Vers un encadrement juridique adapté à l’instantanéité du numérique.
Des outils juridiques déjà existants. Le droit positif offre déjà des outils pour réagir à ces comportements dangereux. Le Code pénal réprime les atteintes à l’intégrité physique, la mise en danger, ou encore les faits d’incitation au suicide. Le Code civil permet aux victimes de demander réparation. Mais ces mécanismes doivent être complétés par une action proactive.
Des normes en cours d’adaptation. Les réglementations européennes comme le Digital Services Act (DSA) adaptent le cadre aux réalités numériques actuelles : obligation de signalement rapide, transparence des algorithmes, modération préventive. Des initiatives nationales accompagnent cette dynamique, avec l’instauration d’une majorité numérique, un encadrement accru des influenceurs, et un renforcement du contrôle parental.
Un rôle renforcé des professionnels du droit. Les professionnels du droit ont un rôle stratégique à jouer. Les avocats, en particulier, peuvent intervenir pour conseiller, défendre et prévenir : que ce soit en accompagnant les familles touchées, en sensibilisant les jeunes et les écoles, ou en participant à l’élaboration de chartes de bon usage à l’échelle locale ou sectorielle.
Conclusion.
Les challenges TikTok illustrent les paradoxes du numérique : à la fois source de créativité collective et de risques tragiques. Alors que certains adolescents y voient un simple jeu, le droit doit rétablir les limites entre expression ludique et danger réel. La multiplication des drames impose une réflexion globale : juridique, sociétale et éducative.
Pour agir concrètement, plusieurs mesures peuvent être envisagées. Il est nécessaire d’accélérer l’application des textes européens, notamment le DSA, en renforçant les obligations des plateformes en matière de détection précoce et de retrait des contenus dangereux. Une coopération étroite entre les autorités administratives, les réseaux sociaux et les établissements scolaires doit également être institutionnalisée pour permettre une prévention plus efficace.
Les avocats, les juristes, les enseignants et les institutions ont la capacité d’intervenir ensemble, en construisant des actions pédagogiques ciblées, des protocoles d’alerte et de réponse rapide, ainsi qu’un encadrement renforcé pour les mineurs.
Enfin, la responsabilisation des utilisateurs, à travers des campagnes d’information adaptées, des signalements facilités et une meilleure éducation aux usages numériques, doit devenir un pilier central de la réponse collective. L’enjeu est de taille : préserver la liberté d’expression sans sacrifier la sécurité des plus vulnérables, et faire du droit un outil de protection et d’anticipation face aux dérives numériques.