Introduction.
Le sport moderne, dans sa dimension internationale, a depuis longtemps cessé d’être un simple divertissement pour devenir une industrie colossale, régie par un corpus de règles juridiques d’une technicité redoutable : la lex sportiva. Au sommet de cette pyramide réglementaire, les instances de gouvernance comme la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) agissent non seulement comme législateurs, mais aussi comme juridictions de première instance, où la passion du terrain cède le pas à l’implacable rigueur de la procédure.
C’est précisément cette confrontation entre l’émotion du jeu et le formalisme du droit qu’illustre la Décision du comité de discipline de la FIFA (FDD-16858), rendue le 25 janvier 2024 par son Membre unique, Leonardo Stagg. L’affaire trouve son origine dans un match de qualification pour la Coupe du Monde de la FIFA 2026™ opposant les équipes représentatives de la R. D. Congo et du Soudan, joué le 19 novembre 2023. À l’issue de cette rencontre, la fédération de football de la R. D. Congo a déposé une réclamation, alléguant l’inéligibilité du joueur soudanais Jusif Joose Ali.
Or, l’enjeu juridique de cette décision ne réside pas dans l’éligibilité du joueur une question que le comité n’a d’ailleurs pas eu à examiner sur le fond mais dans le respect des conditions formelles de dépôt de la réclamation. Les faits sont à la fois limpides et implacables : la fédération de football de la R. D. Congo a d’abord soumis les motifs de sa réclamation par courriel le 20 novembre 2023, puis elle a été immédiatement avertie par le secrétariat de la FIFA que toute soumission devait être initiée exclusivement via le portail juridique de la FIFA. Malgré cet avertissement, la fédération n’a régularisé sa démarche que le 7 décembre 2023, soit dix-huit jours après la fin du match.
La problématique est ainsi brutalement posée : dans quelle mesure la décision FDD-16858 de la FIFA constitue-t-elle un rappel sans appel de la primauté des exigences de formalisme et de délai sur le fond du litige dans le contentieux sportif international ?
La décision est sans ambiguïté. En vertu de l’article 8(8) du Règlement de la Compétition Préliminaire de la Coupe du Monde de la FIFA 2026 (FWCPC), le comité de discipline a déclaré la réclamation irrecevable, car elle avait été « déposée tardivement sur le portail juridique de la FIFA ». Cette affaire est un cas d’école pour tout juriste : elle démontre que la victoire dans le prétoire, comme sur le terrain, ne s’obtient qu’au prix d’une maîtrise absolue de la règle, qu’elle soit de jeu ou de procédure. C’est l’analyse détaillée de ce formalisme impitoyable, érigé en bouclier de la sécurité juridique des compétitions, que nous allons entreprendre.
L’exclusivité du portail juridique FIFA : la nouvelle frontière du formalisme.
La décision FDD-16858 est avant tout une application stricte des règles de procédure qui régissent la communication avec l’instance disciplinaire, érigeant le portail juridique comme l’unique voie légale et le délai de 24 heures comme une condition sine qua non d’accès à la justice sportive.
A. La dématérialisation comme condition sine qua non de recevabilité.
Le Code de Discipline de la FIFA (CDF), dans son édition applicable au moment des faits (2023), établit une règle de procédure limpide mais radicale. L’article 18(1) dispose que les réclamations doivent parvenir au comité de discipline « par écrit via le portail juridique de la FIFA ». Il ne s’agit pas d’une simple suggestion de facilité administrative, mais d’une condition formelle de la recevabilité de l’acte introductif d’instance.
L’affaire RDC c. Soudan met en lumière la rigueur de cette règle, notamment par l’intervention du secrétariat. Le 20 novembre 2023, la fédération de football de la R. D. Congo a transmis les motifs de sa réclamation par courriel. Le secrétariat a immédiatement rappelé la règle, avertissant expressément la fédération que « les soumissions et la correspondance envoyées par tout autre moyen (tel que le courriel ou la poste) ne sont plus recevables dans lesdites procédures, et seront par conséquent ignorées ».
Ce rejet explicite des autres voies confère au portail juridique le statut d’une plateforme exclusive et dérogatoire aux modes de communication traditionnels. Pour le juriste habitué au contentieux administratif ou civil, cette situation est comparable à l’utilisation obligatoire du RPVA dans les procédures françaises. Le comité de discipline a donc agi en parfaite conformité avec sa propre lex specialis, le courriel de la RDC étant assimilé à un « e-mail fantôme », sans effet sur le déroulement de la procédure.
B. Le délai de 24 heures : un délai de forclusion d’une rigueur absolue.
Le formalisme procédural de la FIFA se caractérise également par l’extrême brièveté de ses délais. L’article 18(1) du CDF, lu conjointement avec le FWCPC, exige que les motifs de la réclamation parviennent au comité de discipline par le portail juridique « dans les 24 heures suivant la fin du match en question ».
Le législateur sportif a pris soin d’insister sur la nature impérative de cette contrainte temporelle. L’article 18(2) précise sans appel : « Le délai de 24 heures ne peut pas être prolongé ». Cette règle témoigne de l’impératif de la compétition.
L’erreur fatale de fédération de football de la R. D. Congo est d’avoir cru que l’envoi par e-mail et l’avertissement du secrétariat suspendaient ou interrompaient ce délai.
Le comité de discipline a sèchement noté que la fédération « est restée passive » après l’avertissement et n’a soumis les motifs de la réclamation via la seule voie autorisée que le 7 décembre 2023. Le dépôt, tardif par rapport au délai de 24 heures suivant le match du 19 novembre 2023, a irrémédiablement placé la réclamation dans la catégorie des actes frappés de forclusion.
Le comité a rappelé les conditions cumulatives de recevabilité, notamment :
Elle doit être soumise au commissaire de match dans les deux heures suivant le match.
Elle doit parvenir au comité de discipline par écrit via le portail juridique de la FIFA dans les 24 heures suivant la fin du match.
Dès lors que la seconde condition a été violée, le sort du dossier était scellé, ouvrant la voie à la sanction procédurale.
L’application impitoyable de la sanction procédurale.
L’irrecevabilité de la réclamation était établie par la violation des délais et du canal de communication, le comité de discipline a ensuite appliqué de manière stricte les conséquences prévues par le règlement, confirmant ainsi la primauté absolue de la forme sur le fond dans ce type de contentieux.
L’irrecevabilité : le mur infranchissable de l’article 8(8) FWCPC.
L’analyse de la recevabilité de la réclamation est l’étape liminaire et la plus critique. L’article 8(8) du FWCPC contient une disposition de sanction d’une clarté redoutable : « Si l’une des conditions formelles d’une réclamation telles qu’énoncées dans le présent Règlement et/ou le Code de Discipline de la FIFA n’est pas remplie, cette réclamation sera ignorée par l’organe compétent ».
Cette disposition ne laisse aucune marge d’appréciation. Le terme « ignorée » signifie que la réclamation est considérée comme n’ayant jamais été valablement soumise, conduisant à la déclaration d’irrecevabilité. Dans le cas d’espèce, la condition de dépôt des motifs via le portail juridique dans les 24 heures n’ayant pas été respectée, la sanction automatique du rejet s’est appliquée.
Le comité a expressément conclu que, la réclamation étant déclarée irrecevable car déposée tardivement sur le portail juridique de la FIFA, « un examen plus approfondi du fond de la Réclamation ne serait pas nécessaire ». Ce constat est la démonstration parfaite de la primauté de la forme : la question de l’éligibilité du joueur, qui était le cœur de la contestation, n’a jamais été abordée, car l’outil procédural pour l’amener devant le juge n’a pas été manié correctement.
Le paradoxe de l’éligibilité : le tribunal du football avait tranché.
Il est crucial de noter qu’en plus de l’erreur de procédure, le comité avait connaissance d’un élément de fond antérieur qui rendait la réclamation a priori difficile à gagner.
La décision rappelle que le Juge Unique de la Chambre du Statut du Joueur avait, dès le 17 novembre 2023, accordé la demande de changement d’association pour le joueur Jusif Joose Ali, le déclarant « éligible à jouer pour les équipes représentatives de l’Association de Football du Soudan avec effet immédiat ».
Néanmoins, la RDC s’est privée de son droit de prouver le fond en violant la forme. Le paradoxe est total : la fédération a échoué non pas parce que le joueur était manifestement éligible, mais parce qu’elle a commis une faute de procédure si lourde qu’elle a rendu toute analyse du fond impossible.
La rigueur par dédoublement : réclamation versus procédure d’office.
Un dernier point procédural mérite d’être souligné. L’article 8(8) du FWCPC, tout en sanctionnant l’irrecevabilité de la réclamation, contient une clause de sauvegarde cruciale : « Nonobstant ce qui précède, le comité de discipline de la FIFA reste compétent pour poursuivre toute infraction disciplinaire d’office, comme établi dans le code de discipline de la FIFA ».
Le fait que le comité de discipline ait choisi de se borner à la déclaration d’irrecevabilité et de ne pas ouvrir de procédure d’office est éloquent. Cela confirme implicitement que l’infraction alléguée (l’inéligibilité du joueur) n’apparaissait pas, aux yeux de l’organe de jugement, comme une violation manifeste ou flagrante des règlements de la FIFA justifiant une intervention d’autorité.
Portée et leçons pour la pratique juridique sportive.
La décision FDD-16858, au-delà de ses conséquences immédiates sur la compétition, délivre un message fort à la communauté juridique et aux acteurs du sport international : la complexité des enjeux financiers et sportifs ne saurait être un prétexte à la négligence des règles de forme.
La responsabilité professionnelle face à la rigueur de la Lex Sportiva.
La responsabilité professionnelle des conseillers juridiques des fédérations nationales est engagée au premier chef. Pour une fédération nationale, agir après un avertissement formel du Secrétariat de la FIFA et laisser passer un délai de 18 jours avant de régulariser la situation est une faute lourde de gestion procédurale.
Il est impératif pour les organisations sportives de disposer d’une veille juridique qui non seulement connaît les règlements (CDF et FWCPC), mais est également formée aux outils dématérialisés (le portail juridique) que les juridictions sportives imposent désormais. L’exigence de la lex sportiva est une exigence de rapidité et d’efficacité.
L’irrecevabilité : un obstacle indépendant de la norme de preuve.
L’irrecevabilité de la réclamation a rendu inapplicables les règles du CDF sur la charge et la norme de la preuve. En violant l’article 8(8) du FWCPC, la RDC s’est privée de la possibilité même d’activer la procédure et de soumettre les faits et les preuves nécessaires pour atteindre la « satisfaction confortable » du comité. C’est la confirmation que les conditions de recevabilité agissent comme un verrou : tant qu’elles ne sont pas levées, aucun débat sur le fond n’est juridiquement autorisé.
C. Le droit à l’appel : le dernier recours dépendant lui aussi du formalisme.
La décision peut être contestée devant la Commission de Recours de la FIFA (Art. 61 CDF).
Toutefois, ce droit d’appel est lui-même soumis à un formalisme et à des délais d’une brièveté extrême :
L’intention de faire appel doit être annoncée par écrit dans les trois (3) jours suivant la notification des motifs de la décision.
Les motifs de l’appel doivent ensuite être donnés par écrit dans un nouveau délai de cinq (5) jours.
Étant donné que la décision de première instance est fondée sur un manquement formel avéré (dépôt tardif sur la plateforme requise), il est hautement improbable que la commission de recours ou, a fortiori, le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) puisse invalider le jugement. La RDC a donc subi une défaite définitive sur le champ de la procédure.
Conclusion.
La décision FDD-16858 du comité de discipline de la FIFA restera un cas d’étude emblématique. Elle confirme que, dans le contentieux sportif international, le formalisme n’est pas une simple formalité, mais le garant de la sécurité juridique et du bon déroulement des compétitions.
L’irrecevabilité de la réclamation de fédération de football de la R. D. Congo pour dépôt tardif sur le canal unique et dématérialisé est le symbole de la victoire de la règle de droit sur l’émotion sportive. Le comité de discipline a réaffirmé son autorité en refusant de céder à l’examen de fond en présence d’une faute de procédure aussi fondamentale.
Pour les juristes du sport, cette affaire est un rappel brutal : la maîtrise des outils électroniques et la vigilance sur les délais fussent-ils de 24 heures sont aussi vitales que l’argumentation juridique elle-même. Dans le monde du football professionnel, comme dans le prétoire, l’oubli d’une simple étape procédurale mène immanquablement à la sanction du forfait. C’est le prix à payer pour l’efficacité et l’impartialité des juridictions de la lex sportiva au XXIe siècle.


