Au début de l’année 2008, des emprunts en francs suisses remboursables en euros ont été conçus par BNP Paribas Personal Finance et commercialisés auprès de particuliers par des conseillers en gestion de patrimoine indépendants formés par la banque.
Ces emprunts, dont le nom commercial était « Helvet Immo », visaient principalement à financer l’achat par des particuliers de biens immobiliers destinés à être loués dans le cadre des régimes fiscaux Robien ou Scellier.
Les futurs investisseurs étaient le plus souvent démarchés par des conseillers en gestion de patrimoine qui leur proposaient des investissements « clés en main » incluant un bien immobilier et son financement via un emprunt Helvet Immo voire même, dans certains cas, des garanties en termes de retour sur investissement.
Entre mars 2008 et décembre 2009 on estime que 4 655 personnes auraient obtenu un prêt Helvet Immo.
Tant que le taux de change euro/franc suisse est demeuré stable, les investisseurs ont pu avoir le sentiment trompeur d’avoir réalisé une bonne affaire, le taux d’intérêt du prêt Helvet Immo étant, à l’époque, plus bas que ceux du marché.
Toutefois, à l’été 2011, lorsque le franc suisse s’est brusquement apprécié par rapport à l’euro, le piège s’est refermé sur les emprunteurs qui ont soudain vu le capital restant à rembourser, libellé en francs suisses, croître à mesure que l’euro s’affaiblissait face à la devise helvétique.
Après plusieurs années passées à payer les mensualités de leur prêt, de nombreux emprunteurs ont constaté avec désarroi qu’en raison de l’évolution défavorable du taux de change ils devaient un capital supérieur à celui emprunté à l’origine.
Certains investisseurs ont parfois subi une double peine lorsque les rendements locatifs qui leur avaient été annoncés par les promoteurs de certains programmes immobiliers se sont révélés bien inférieurs à ceux promis, ne leur permettant pas de couvrir significativement les mensualités de remboursement des emprunts Helvet Immo.
Dès la fin de l’année 2011, les premières actions étaient engagées au civil et au pénal à l’encontre de BNP Paribas Personal Finance et des intermédiaires ayant commercialisé les emprunts Helvet Immo. En avril 2013 une information judiciaire pour pratiques commerciales trompeuses était ouverte et confiée à un juge d’instruction parisien. Parallèlement, en mars 2014, plusieurs centaines d’emprunteurs assignaient devant le Tribunal de grande instance de Paris BNP Paribas Personal Finance et les intermédiaires ayant participé à la diffusion des emprunts Helvet Immo.
De manière générale, les emprunteurs reprochent à la banque et aux intermédiaires financiers de ne pas les avoir correctement informés des risques extrêmement importants induits par le mécanisme des prêts Helvet Immo, voire même, dans certains cas, de les leur avoir dissimulés.
I Le devoir d’information et de mise en garde du banquier
La jurisprudence distingue deux catégories d’emprunteurs, les emprunteurs avertis et les emprunteurs non avertis.
La qualité d’emprunteur averti ou non averti dépend d’un ensemble de critères tels que l’expérience, les connaissances financières ou encore le patrimoine, ces différents éléments étant de nature à permettre au banquier de déterminer le niveau de compétence général du futur emprunteur.
L’emprunteur averti est ainsi défini par la jurisprudence comme étant celui bénéficiant "des compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques" de l’opération projetée [1].
Le banquier accordant un prêt (appelé « banquier dispensateur de crédit ») a l’obligation de distinguer clairement ces deux types d’emprunteurs afin de mettre en œuvre de manière adaptée les diligences dont il a la charge et dont la nature varie en fonction de chacune de ces catégories.
Lors de la conclusion d’un contrat de crédit, le banquier est ainsi débiteur de deux obligations essentielles envers le futur emprunteur : un devoir d’information et un devoir de mise en garde. En cas de contestation, c’est au banquier qu’il revient de prouver la mise en œuvre de ses obligations précontractuelles [2].
Le devoir d’information est commun aux emprunteurs avertis et non avertis. Il passe par la communication à ces derniers d’une information exhaustive, objective et neutre sur l’opération envisagée, leur permettant d’appréhender parfaitement les conditions de l’emprunt.
Le devoir de mise en garde ne concerne en revanche que l’emprunteur non averti [3], et oblige le banquier à alerter celui-ci sur ses capacités financières et surtout sur le risque d’endettement induit par le crédit.
L’objectif poursuivi est ainsi de permettre à l’emprunteur de mesurer les conséquences néfastes possibles de l’emprunt et, le cas échéant, de lui permettre de renoncer à l’opération si celle-ci lui semble trop risquée.
A l’inverse, si le prêt est compatible avec les capacités financières de l’emprunteur, le devoir de mise en garde ne s’applique pas [4]. Il en va de même en cas d’attitude déloyale de sa part.
En cas de manquement avéré du banquier dispensateur de crédit à son devoir de mise en garde, ce dernier expose sa responsabilité civile contractuelle sur le fondement de l’article 1147 du Code civil à l’égard de l’emprunteur, lequel subi selon la jurisprudence un préjudice du fait de la perte de chance de ne pas contracter l’emprunt [5].
Le devoir de mise en garde du banquier n’implique cependant pas une obligation de conseiller l’emprunteur sur la stratégie patrimoniale la plus adaptée à sa situation, la jurisprudence ayant sur ce point consacré le principe de non-ingérence dans les affaires de l’emprunteur, mais uniquement celle d’attirer spécifiquement son attention sur les risques induits par le crédit qu’il envisage de contracter.
En revanche, d’autres professionnels tels que les notaires, les conseillers en gestion de patrimoine et, de manière générale, les prestataires de services d’investissements sont quant à eux bien tenus d’une obligation de conseil à l’égard de leurs clients, qu’ils doivent guider vers les choix les plus judicieux eu égard à leurs objectifs patrimoniaux et à leurs capacités financières.
II L’information et la mise en garde des emprunteurs contre risque de change au cœur de l’affaire Helvet Immo.
Dans l’affaire Helvet Immo, les emprunteurs reprochent à BNP Paribas Personal Finance d’avoir manqué tant à son obligation d’information qu’à son devoir de mise en garde à leur égard.
Les emprunteurs estiment ainsi ne pas avoir été mis en garde contre le risque très important d’endettement que leur faisait courir le produit Helvet Immo en cas d’appréciation du franc suisse par rapport à l’euro. Dans les faits, certains emprunteurs ont en effet vu le capital restant à rembourser augmenter de 25% à 30% en l’espace de quelques mois, accroissant leur endettement de manière considérable.
En parallèle, de nombreux intermédiaires (notaires, conseillers en gestion de patrimoine etc.) sont également mis en cause au titre du manquement à leur obligation de conseil. Certains emprunteurs affirment en effet avoir été poussés par ces professionnels à contracter un emprunt risqué pour financer un achat immobilier en contradiction avec leur objectif initial consistant en la recherche d’un investissement de bon père de famille.
S’il semble acquis que les emprunts Helvet Immo ont parfois été commercialisés via des pratiques de démarchage agressif, les juges devront déterminer, au cas par cas, en fonction de chaque dossier, si les emprunteurs ont été correctement informés et mis en garde, ce que nombre d’entre eux contestent actuellement.
Pour ce faire, ils devront déterminer, en fonction du profil de chaque emprunteur, si ce dernier devait être considéré comme étant averti ou non averti et, dans ce second cas, si les risques très importants induits par un emprunt en francs suisses remboursable en euro lui ont été clairement présentés avant la signature du contrat de prêt.
De même sera posée la question de la responsabilité des conseils en gestion de patrimoine qui, étant supposés proposer à leurs clients des produits en adéquation avec leur stratégie patrimoniale, leurs capacités financières et leur profil les ont incité à financer des biens immobiliers en ayant recours à des emprunts Helvet Immo.
S’il est démontré que les risques réels induits par les emprunts Helvet Immo n’ont pas été clairement exposés aux emprunteurs ou, pire, leur ont été dissimulés, alors chaque maillon de la chaîne de commercialisation des emprunts engagera sa responsabilité envers ces derniers et sera passible de dommages et intérêts proportionnés au préjudice subi.
III Les emprunts en devises désormais strictement réglementés
Quoi qu’il en soit, le législateur a déjà tiré les conclusions de l’affaire Helvet Immo en votant le 26 juillet 2013 une loi interdisant purement et simplement la souscription par des particuliers d’emprunts immobiliers libellés en devises étrangères et remboursables en monnaie nationale, exceptés dans quelques cas limitativement énumérés.
Le nouvel article L 312-3-1 du Code de la consommation prévoit ainsi que les emprunteurs, personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise étrangère à l’Union européenne et remboursables en monnaie nationale, sauf s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt.
Cette interdiction ne s’applique cependant pas lorsque le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur, ce qui n’était par exemple pas le cas des emprunts Helvet Immo dans lesquels ce risque a été entièrement assumé par les emprunteurs.
Ce nouvel article du code de la consommation sera prochainement complété par un décret destiné à préciser les conditions dans lesquelles de tels prêts pourront être octroyés.
Le projet de décret publié en janvier dernier prévoit pour le moment que l’emprunteur devra percevoir au moins la moitié de ses revenus annuels dans la devise, ou détenir au moment de la signature du contrat de prêt un patrimoine dans cette monnaie représentant au moins 20% du montant du crédit. Il introduit en outre une information spécifique du client préalablement à l’émission du contrat de prêt, en particulier la remise à l’emprunteur de deux simulations de l’impact d’une évolution défavorable du taux de change de 10% et 20% sur le coût du crédit et de la possibilité ou non de convertir ce prêt en euros.
Par ce dispositif, le législateur a voulu s’assurer que, dans les rares cas où un emprunt en devise étrangère remboursable en euros reste permis, l’emprunteur sera assuré de recevoir une information exhaustive axée sur le risque de change, qui est le principal danger lié à ce type de crédit.
Si ces mesures non rétroactives ne pourront bénéficier directement aux souscripteurs des emprunts Helvet Immo, elles constituent néanmoins une reconnaissance implicite du fait que les emprunts de ce type présentent des risques anormaux pour le grand public, et sont à réserver à certaines catégories d’investisseurs ayant un intérêt économique spécifique à emprunter dans une devise étrangère.
Cette reconnaissance législative indirecte du caractère anormalement risqué des emprunts Helvet Immo pourrait donc tout de même profiter aux souscripteurs de ces prêts, en incitant les juges en charge des contentieux en cours à apprécier sévèrement le respect des obligations de conseil, d’information et de mise en garde pesant sur les différents professionnels ayant participé à la diffusion de ce produit financier.