Dans une société où tous les avis se valent, où un ancien candidat de télé-réalité est interrogé pêle-mêle, chaque jour, et à une heure de grande écoute dans une des émissions les plus regardées, sur la politique vaccinale, le programme économique de tel ou tel parti et même la guerre en Ukraine, il n’est pas étonnant que n’importe qui puisse dire n’importe quoi sur le droit répressif (quand bien même le rhéteur croirait que « Merle et Vitu » désigne le nom d’une marque de mousse au chocolat). Sans aller jusqu’à retracer par le menu les évolutions de ne bis in idem (ou non bis in idem selon les religions), ou expliquer comment un même mineur insuffisamment discernant pour subir une relation sexuelle peut être jugé par ailleurs suffisamment discernant pour être poursuivi et condamné pour avoir imposé cette même relation à un autre (et donc auteur d’une agression sexuelle), essayons de chasser quelques contre-vérités en droit pénal, entendues et lues ici ou là, et de rappeler la règle réellement applicable. À table !
En entrée : un filet de lieux communs sur l’enquête.
Il faut tout d’abord tordre le cou à de nombreuses petites idées fausses. La première, très répandue, consiste à penser que la parole d’un policier, d’un gendarme, ou de toute personne assermentée, prime celle d’un citoyen lambda. Lorsque c’est « parole contre parole », le policier aurait la voix qui porte. Si, en pratique, les juges ont une tendance lourde à donner plus de crédit à l’homme (ou la femme !) en uniforme qu’au conducteur alcoolisé ou au trafiquant de stupéfiant multirécidiviste, le droit est plus nuancé [1] : en effet, si l’article 537 du Code de procédure pénale donne une force probante très importante aux rapports et procès-verbaux dressés par les forces de l’ordre, ce n’est pas le cas de l’article 430 du même code qui, pour les délits, ne reconnait auxdits rapports que la valeur de « simples renseignements ».
Un policier ou un gendarme peut effectivement se tromper, voire mentir. Et ce n’est pas nécessairement interdit ! Évidemment, s’ils le font dans un procès-verbal, cela relève d’un faux en écriture publique. En revanche, au cours d’un interrogatoire, tant que ce mensonge ne pousse pas le mis en cause à commettre une infraction (l’incitation à commettre une infraction n’est pas un acte d’enquête admissible), mais simplement à donner certaines informations, alors c’est autorisé. Ainsi, un enquêteur pourra parfaitement indiquer à un gardé à vue que son éventuel complice a tout avoué, même si c’est faux, dans l’objectif d’obtenir de sa part des aveux. Mentir c’est mal, mais c’est le jeu !
Toujours à propos des policiers et de l’enquête, ceux-ci auraient besoin d’un « mandat » pour effectuer une perquisition. Pas plus que les juges (qu’il ne faut pas appeler « votre honneur ») ne portent de perruque et ont un maillet (vous avez grignoté trop de séries anglo-saxonnes…), en France, il n’existe pas de « mandat de perquisition ». La perquisition peut être définie comme la fouille d’un lieu par un officier de police judiciaire ou sous son contrôle, dans le but d’y trouver des éléments de preuves d’une infraction. Généralement, cette perquisition doit être menée entre 6h et 21h, En cas d’infraction liée à la criminalité organisée, au terrorisme ou au trafic de stupéfiants, des perquisitions de nuit sont possibles. Pour effectuer une telle perquisition, l’officier de police judiciaire a besoin de l’autorisation écrite de l’occupant s’il agit en enquête préliminaire. Sans cette autorisation, il doit obtenir l’accord du juge des libertés et de la détention pour perquisitionner. Ces autorisations ne sont pas nécessaires en cas d’enquête de flagrance (d’où l’expression flagrant délit). Lorsqu’il s’agit d’un acte d’enquête réalisé durant une information judiciaire, alors le juge d’instruction donne, non pas un mandat de perquisition, mais une « commission rogatoire ».
En plein cœur de l’enquête : les nullités de procédure sont l’objet de nombreux fantasmes. Contrairement à ce que l’on peut fréquemment entendre, une virgule manquante ou un nom écorché dans un procès-verbal ne permettra jamais à personne de se soustraire au mastodonte judiciaire. La jurisprudence de la Cour de cassation va même à l’encontre de cette tendance en servant, avant tout, l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infraction. Aussi impose-t-on souvent, au titre des articles 171 et 802 du Code de procédure pénale, à celui qui se targue d’une nullité de prouver qu’il dispose d’un intérêt et d’une qualité à agir, mais également que la nullité lui a, en pratique, causé un certain tort (on parle de grief). Par exemple, si le gardé à vue dispose du droit de faire prévenir son employeur de la mesure dont il fait l’objet, de telle sorte que l’absence ou la tardiveté de cet avis constitue une cause de nullité, l’annulation de la garde à vue supposera que le demandeur démontre que cette situation a effectivement entravé ses droits, comme celui de se faire assister d’un avocat par exemple [2]. Plus encore, la nullité d’un acte ne met pas nécessairement fin l’ensemble de la procédure. Lorsqu’un acte est annulé, seuls les actes subséquents ayant pour seul support l’acte rebut peuvent être contaminés par ce mal, ce qui restreint indéniablement les conséquences de cette décision et tord le cou à une idée reçue de plus.
En plat de résistance : une farandole d’impunité sur son lit de justice.
Après l’enquête, le jugement. Du moins, pas systématiquement. Les acteurs de la procédure peuvent ainsi faire le constat qu’il ne peut ou ne doit pas y avoir de sanction pénale, prononçant dès lors un classement sans suite (décidé par le parquet) ou rendant une ordonnance de non-lieu (qui émane, quant à elle, du juge d’instruction).
Durant l’enquête et parfois jusqu’au jugement, un mis en cause peut être placé en détention provisoire. Attention, cela ne préjuge en rien de sa culpabilité de la même manière qu’à l’inverse, demeurer libre ne saurait être gage d’innocence. Des critères alternatifs sont posés par l’article 144 du Code de procédure pénale et permettent au juge des libertés et de la détention d’ordonner la détention provisoire. Parmi eux, on retrouve par exemple la protection de la personne mise en examen, la conservation des preuves ou encore la lutte contre le trouble exceptionnel à l’ordre public provoqué par l’infraction.
Autre idée reçue : « la prison c’est le Club Med ». Il suffit d’emprunter la ligne 13 du métro parisien un matin, à l’heure de pointe pour se rendre à l’évidence : la surpopulation d’un espace est inversement proportionnelle à son agréabilité. Et les prisons françaises n’échappent pas à cette loi. Elles échappent en revanche avec brio à la loi posant le principe d’encellulement individuel (un détenu par cellule) qui remonte à 1875, où les spécialistes s’accordaient déjà sur le fait que la détention collective était l’école de la récidive et de la « contagion morale ».
Au 1ᵉʳ novembre 2024, la section française de l’OIP [3] relevait un taux d’occupation de 155% dans les maisons d’arrêt et plus de 17 quartiers de détention dépassant les 200%.
L’emballement médiatique de ces derniers mois s’agissant des punaises de lit a dû faire rire jaune derrière les barreaux, où les matelas en sont régulièrement infestés. Les rats ont aussi leurs quartiers dans les établissements français comme le rappelle régulièrement le CGLPL [4] dans ses rapports. Inutile de revenir sur les multiples condamnations de la France par la CEDH, mais le pays des droits de l’Homme semble en peine pour garantir les droits fondamentaux de ceux qu’il incarcère. Les quelques initiatives décriées (comme la récente course de karting à Fresnes) n’y changent rien : la prison est loin du séjour animé par les G.O dans une station balnéaire de la côte méditerranéenne.
Et pourtant, malgré la dureté à la fois de la privation de liberté en elle-même mais aussi de ses conditions, l’idée que sévérité rime avec dissuasion est, une fois n’est pas coutume, une idée reçue. Si cette chimère sert souvent d’argument en faveur de la peine de mort, elle ne se fonde sur rien. Prenons l’exemple français : la peine de mort est abolie depuis 1981 et son interdiction a été constitutionnalisée en 2007 [5]. À en croire certains, cette moindre sévérité devrait logiquement conduire à l’augmentation du nombre de crimes, et notamment des homicides. Pour autant, on note une nette tendance à la diminution du nombre d’homicides, en valeur absolue comme rapportée à la proportion d’habitants [6].
En dehors de la peine de mort et des crimes, deux arguments s’opposent classiquement s’agissant de la délinquance. D’une part, les sécuritaires, qui estiment qu’une augmentation des peines diminue la délinquance, se fondent sur l’idée que les individus effectuent un calcul coûts/bénéfices d’une infraction avant de la commettre. D’autre part, les tenants d’une politique moins répressive, estiment que l’accroissement de la population carcérale a un effet négatif en ce que, même s’il « neutralise » les délinquants pour un temps, il accentue parallèlement les effets désinsérants de la prison et nuit à la mise en place des politiques de prévention de la récidive. D’autant que les peines courtes sont à la fois celles qui permettent le moins de préparer la sortie et celles les plus exposées à la surpopulation carcérale (voir l’exemple du faible effet dissuasif des peines planchers instaurées entre 2007 et 2012 [7]).
Les peines sévères donc, si elles dissuadent certains passages à l’acte, favorisent parallèlement la récidive, ce qui est dès lors sans intérêt sur la balance globale des infractions commises. En bref, qu’ils proviennent de primo-délinquants ou de récidivistes, les comportements infractionnels n’en sont pas moins un enjeu social notable.
Ensuite, méfiez-vous comme de la peste des phrases qui commencent par « la majorité des délinquants sont … ». Rigueur intellectuelle et nuance ne font jamais de mal, d’autant qu’elles sont régulièrement incompatibles avec la généralisation. Non, la majorité des délinquants ne sont donc pas des étrangers : le lien entre immigration et délinquance, s’il est utile à la légitimation de certaines mesures politiques, n’est pas vérité pour autant. En 2019, 82% des personnes mises en cause par la police et la gendarmerie se sont déclarées françaises et 18% étrangères, tandis qu’elles représentent respectivement 93% et 7% de la population en France [8]. Loin de la majorité donc. Pour autant, la surreprésentation des personnes étrangères peut s’expliquer par au moins trois facteurs : les traitements discriminatoires subis par les personnes immigrées (contrôle au faciès, sévérité judiciaire, etc.) ; les infractions spécifiques aux étrangers (refus de monter dans l’avion, refus de rendez-vous au consulat, etc.) et enfin, les inégalités socio-économiques des personnes en situation irrégulière conduisent à accroître leur propension à la délinquance.
Une autre affirmation péremptoire inonde les plateaux télévisés : la justice serait laxiste. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation (c’est-à-dire le premier procureur de France) y répondait à merveille à la radio il y a quelques semaines seulement : « La justice n’a jamais été aussi sévère, les peines augmentent, les prisons n’ont jamais été aussi pleines » [9]. Pourtant, étrangement, 80% des Français estiment que la justice est laxiste. Quelques chiffres rappelés par l’OIP à ce sujet pour contrer ce sentiment infondé : dans les années 1980, les peines d’emprisonnement prononcées étaient en moyenne de 5 à 6 mois de détention. En 2023, elles sont passées à 10,7 mois. Quant à la durée moyenne de détention, elle a quasiment été multipliée par deux en vingt ans. Enfin, la part de l’incarcération dans les jugements pénaux est passée de 13% en 2012 à 18% aujourd’hui. Et si la « fait-diversion » de l’actualité n’y était pas pour rien ?
Pour en finir avec la prison, il est coutume de dire qu’en France, la « perpétuité réelle » n’existe pas. Une chose est cependant exacte : contrairement à nos voisins d’outre-Atlantique, il n’est pas possible, en France, de condamner un homme à 30.000 ans de prison [10]. Pour autant, nous avons inventé la perpétuité incompressible. Concrètement, il s’agit d’une réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté également incompressible. La période de sûreté désigne, en droit français, la période durant laquelle le condamné ne pourra pas solliciter d’aménagement de sa peine (semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique, placement extérieur etc.). Un député du tiers état, Pierre-Louis Prieur, avait déclaré à l’Assemblée Constituante de 1791 : « nous devons, messieurs, dire que les peines ne seront pas perpétuelles ». La CEDH consacre quelque part cette affirmation en posant une exigence en la matière : l’espoir. Il doit ainsi subsister une voie de réexamen qui permette au condamné, même si cela est peu probable, de recouvrer un jour la liberté. Aussi, le droit français n’échappe pas à cette règle et permet, dans le cadre de la perpétuité incompressible et après 30 années de réclusion, la possibilité de saisir le tribunal de l’application des peines pour que ce dernier mette fin à la période de sûreté. La question se posera certainement un jour pour Salah Abdeslam, membre des commandos terroristes du 13 novembre 2015, condamné à la perpétuité incompressible et incarcéré depuis 2016.
En digestif : vous ne voulez pas un whisky d’abord ?
Depuis le mouvement #MeToo et son pendant français #BalanceTonPorc, de nombreuses choses ont évolué à propos des violences sexuelles et sexistes, que ce soit en droit ou dans les mentalités. Hélas, les contre-vérités ne sont pas moins présentes en la matière, bien au contraire : combien de personnes pensent encore que la majorité sexuelle existe, qu’elle est à 15 ans, 16 ans, voire plus souvent 15 ans et 3 mois, et que les mineurs n’ont pas le droit d’avoir de relations sexuelles avant cette majorité ? Et combien pensent que l’autorisation des parents permet de lever cette interdiction [11] ? Que les choses soient claires : les mineurs, quel que soit leur âge, peuvent avoir les relations sexuelles qu’ils veulent et avec qui ils veulent, tant qu’ils n’usent pas de violence, de contrainte, de menace ou de surprise. Ce sont les majeurs qui, dans certaines situations, peuvent commettre des infractions s’ils ont des relations avec ces mineurs, qui sont alors les victimes [12]. L’autorisation parentale est évidemment sans aucune incidence.
Trop souvent encore, la réalité du viol conjugal est remise en cause, avec cette idée que le couple, ou tout du moins le mariage, emporte la nécessaire présence du consentement aux relations sexuelles. Si la jurisprudence a pu tarder à reconnaître le viol conjugal [13], il ne fait plus aucun doute sur une telle application, aujourd’hui consacrée à l’article 222-22 du Code pénal, qui dispose qu’un viol ou une autre agression sexuelle peut être constituée
« quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage ».
Plus généralement, et le procès de Mazan en est une triste illustration, il faut se rendre compte que les violences sexuelles concernent tout le monde, à la fois comme auteur et comme victime. Les hommes, tous les hommes, même les gentils, même les bonus pater familias, peuvent être auteurs. Ils peuvent également être victimes. Les femmes et les mineurs peuvent évidemment être victimes, mais peuvent aussi endosser le rôle d’auteurs, contrairement à ce que certaines statistiques veulent faire croire [14]. La lutte contre ces violences ne passera pas par des lois nouvelles, mais par une prise de conscience collective du problème [15], dans son entièreté, pour y répondre correctement et non partiellement, ce qui nécessite de lutter contre les contre-vérités en la matière, et plus généralement en droit pénal et en procédure pénale.
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