Directeur des Services de Greffe Judiciaire : assumer et assurer le service public de la justice au quotidien.

Directeur des Services de Greffe Judiciaire : assumer et assurer le service public de la justice au quotidien.

Propos recueillis par Nathalie Hantz
Rédaction du Village de la justice

"Greffiers en chef" avant, ils sont devenus depuis dix ans des "Directeurs des Services de Greffe Judiciaire ". Derrière ce titre, que l’on a pris l’habitude de raccourcir par les initiales DSGJ, se cachent plusieurs fonctions, voire finalement plusieurs professions.
Pauline Le Moullec [1] nous raconte comment elle a accédé à cette fonction, comment elle la voit évoluer, et comment elle l’exerce au quotidien.

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Sur le concours de Directeur des services de greffe judiciaire (DSGJ).

Village de la Justice : Comment l’avez-vous préparé ? Avez-vous suivi une prépa ? Est-ce un concours que vous qualifieriez de « difficile » ?

Pauline Le Moullec : « Je n’ai pas suivi de préparation spécifique au concours de directeur des services de greffe judiciaires. Pour la préparation des épreuves écrites, j’ai utilisé des ouvrages disponibles en bibliothèque universitaire et j’ai suivi assidûment l’actualité. Issue d’une formation juridique, j’ai fait le choix de ne pas m’attarder sur la gestion des ressources humaines, la tâche d’avoir des connaissances suffisantes pour compter ne me paraissant pas réalisable dans le temps de ma préparation.

Pauline Le Moullec

Pour les épreuves orales, je me suis penchée sur les statuts de la fonction publique et j’ai écouté des podcasts sur le management, mais surtout, je me suis beaucoup entraînée. Toute personne susceptible de m’écouter et de m’interroger a été mise à contribution, qu’elle exerce dans le milieu juridique ou non ! C’était essentiellement pour me rassurer et cela a été efficace le jour de l’épreuve.

S’agissant de la difficulté du concours, il n’est pas en soi particulièrement complexe. En revanche, les DSGJ sont un tout petit corps de la fonction publique et il y a relativement peu de places, c’est là le véritable obstacle. Ces dernières années, les recrutements sont toutefois, et c’est heureux, plus importants qu’auparavant. »

V.J : Quelle(s) qualité(s) doit avoir un DSGJ ? Quels conseils donneriez-vous à un candidat ? En quoi votre expérience de clerc d’huissier vous a aidé ?

P.L : « À mon sens, l’une des premières qualités d’un bon DSGJ, c’est le sens des relations humaines. Nous composons quotidiennement avec des personnels divers : les agents de greffe, sous notre autorité, les magistrats, qui ne sont pas dans notre ligne hiérarchique, des partenaires extérieurs, qui ne connaissent pas nécessairement les spécificités de notre milieu… le tout au sein d’institutions qui composent avec un manque de moyens humains et matériel et, souvent, avec la charge émotionnelle que peut induire l’activité juridictionnelle.

Ensuite, les DSGJ sont avant tout un corps de direction, en position de prendre des décisions ; cette responsabilité nous oblige. Il est essentiel de savoir faire preuve de courage et agir dans l’intérêt de l’organisation et des équipes, même lorsque cela peut être inconfortable ou risqué sur le plan relationnel.

Enfin, au quotidien, nous exerçons des tâches diverses et variées, lesquelles impliquent d’être organisés, de savoir prioriser son action et de faire preuve de pragmatisme et de sens commun.

Je conseillerais aux candidats d’être au point sur le droit ; c’est l’aspect juridique qui fait la spécificité de notre corps. Ensuite, je pense nécessaire de dédramatiser le « grand oral » et de garder à l’esprit que le jury recherche de futurs collègues, en qui il aura confiance et avec qui il aura plaisir à travailler. Aborder les questions avec bon sens et humanité est toujours une réponse adéquate.

Mon expérience de clerc d’huissier au même titre que mes autres expériences, a contribué à développer la professionnelle que je suis. J’en retiens surtout la rigueur, qui permet en retour d’être serein dans l’exercice de son activité, et la nécessité d’une grande humanité dans ses rapports à l’autre. »

Côté profession.

V.J : C’est quoi être DSGJ en 2025 ? Quels sont les enjeux auquel la profession devra faire face selon vous horizon 5 ans ? 

P.L : « Être DSGJ en 2025, cela correspond en fait à plusieurs réalités. Le corps nous permet d’accéder à des postes divers : chef de service ou directeur de greffe en juridiction, responsable de gestion (RH, marché public, budget, immobilier, formation…) ou DDARJ (Directrice Déléguée à l’Administration Régionale Judiciaire) en SAR (Service Administratif Régional ), rédacteur qualifié, chef de pôle ou coordonnateur au ministère, chargé d’enseignement à l’École Nationale des Greffes…

Si ces différentes fonctions varient largement dans leurs quotidiens, la logique d’ensemble est quand même là : nos missions sont des missions de pilotage, de coordination, de gestion.

À l’origine, le "greffier en chef" était malgré tout d’abord greffier, avec des missions de pilotage, de coordination, d’encadrement… Aujourd’hui, le rapport s’est inversé et le DSGJ de 2025 exerce avant tout des missions administratives, avec une spécificité juridique.

À horizon de 5 ans, la profession va être confrontée à plusieurs grands enjeux :
- La modernisation de l’activité juridictionnelle : la transformation numérique civile et pénale a déjà commencé et va s’approfondir dans les années à venir. Il faudra s’adapter et adapter le travail à l’IA, à l’open data, à la cybersécurité … Comme c’est déjà le cas sur la procédure pénale numérique ou encore sur Portalis sur les services civils, les DSGJ auront un rôle clé, que ce soit dans la conception au ministère ou dans le pilotage et l’accompagnement en local au SAR et en juridiction. Il n’est plus possible de se faire l’économie d’une véritable formation aux enjeux numériques.

- La transformation des organisations : les ressources humaines des juridictions sont en pleine évolution, afin de se moderniser et de s’adapter à la charge d’activité. Recrutements en masse, création des cadres greffiers, renforcement de l’équipe autour du magistrat… Ces mutations sont porteuses de plusieurs défis : nouvelle modélisation des organisations de travail, intégration et définition claire du positionnement de chacun et notamment des nouveaux corps, adaptation des locaux à l’extension des équipes… Les DSGJ seront à la manœuvre et/ou en soutien de la conduite du changement rendu nécessaire par l’explosion de l’activité juridictionnelle. »

V.J : Comment percevez-vous l’arrivée de l’IA ? 

P.L : « Je perçois l’IA comme un outil, à ce titre ni positif ni négatif en soi. Cela dépendra de l’usage qui en sera fait. Il faudra dans le développement de son utilisation prendre en compte des enjeux de confidentialité et de sécurité, essentiels au vu de la matière traitée. Par ailleurs, il sera également essentiel de garder un œil humain sur chaque affaire, car cette humanité est à mon sens l’une des conditions de la légitimité de la décision de justice.

Sous ces réserves, je suis assez enthousiaste quant à l’arrivée de l’IA, en ce sens que tout outil susceptible de nous faire gagner du temps et de sécuriser le traitement du contentieux est à mon sens une bonne chose dont il serait déraisonnable de se priver.

Si les enjeux impliquent un temps de réflexion et de cadrage qui ralentissent l’arrivée de l’IA, le ministère affiche cependant une volonté manifeste de modernisation et nous voyons déjà arriver des outils de traitement de la donnée susceptible de soutenir et de sécuriser le travail en juridiction. Je pense par exemple à un applicatif qui traitent les données issues des pièces fournies par les services d’enquête et qui génère des points d’alerte par exemple sur la présence de victime, l’existence des scellés ou encore d’un régime de protection juridique. »

Côté conditions de travail.

V.J : Manque de moyens, justice "en crise" : au quotidien comment le vit-on ? Votre profession est-elle "au bord de la crise de nerfs" ? 

« Il est évident que les juridictions, et l’ensemble de leur personnel, rencontrent de nombreux défis, au premier rang desquels le manque d’effectifs, mais auquel on peut ajouter les moyens matériels limités, les problématiques immobilières des juridictions qui prennent de l’ampleur dans un espace limité, le rythme des réformes qui ne cessent de s’accélérer… Je ne peux guère évoquer que mon propre ressenti, mais il arrive de se sentir limité dans notre action face à certaines contraintes nationales, notamment budgétaires.

L’ensemble des domaines évoqués fait partie des champs d’expertises du DSGJ, formé à imaginer et mettre en place des mesures de tous ordres destinées à améliorer le fonctionnement des juridictions et les conditions de travail. Il est parfois frustrant de concevoir ces mesures et de ne pas les voir aboutir en raison de ces contraintes.

Pour autant, je pense cette fois parler au nom de la majorité de mes collègues en disant que nous faisons au mieux pour optimiser les moyens dont nous disposons, avec une certaine résilience et, bien souvent, un brin de créativité ! À notre échelle, nous veillons surtout à limiter au maximum les impacts de ce manque de moyens sur les équipes, afin qu’ils puissent se concentrer sur leur activité juridictionnelle.

S’agissant d’une profession "au bord de la crise de nerfs", les DSGJ ont récemment participé à un mouvement de grève, ce qui, pour un corps traditionnellement peu enclin à ce type d’action, est un indicateur en soi. Au-delà de ce qui a été évoqué et que l’on peut résumer en une injonction à faire beaucoup avec peu, les fonctions gagneraient à être davantage reconnues et valorisées, non seulement sur le plan statutaire et indemnitaire, mais aussi en termes de visibilité et de positionnement dans les juridictions. Une meilleure reconnaissance de notre expertise et une clarification de notre rôle sont à mon sens essentielles, c’est pourquoi j’attends beaucoup des échanges engagés sur la gouvernance des juridictions. »

Propos recueillis par Nathalie Hantz
Rédaction du Village de la justice

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Notes de l'article:

[1Pauline Le Moullec est Directrice des services de greffe judiciaires, Responsable des services pénaux, et Cheffe de projet PPN au Tribunal judiciaire d’Angoulême.

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Discussion en cours :

  • par claude Volny-Anne - Greffier en chef retraité du Parquet Autonome de Paris, ancien chef de service , Le 24 septembre à 19:04

    Cette prise de position de Pauline Le Moullec est remarquable, je pense à mon humble avis, qu’elle a parfaitement mis la lumière sur ce corps très mal connu qu’est celui dr directeur de Greffe des services judiciaires . Mêmes les magistrats,j’ai pu le constater quand j’étais en fonction et cela remonte à plus de dix ans ,ont une très mauvaise connaissance de ce qu’est ce corps qui est essentiel pour le bon fonctionnement de la justice . Je pense qu’il faudrait une réforme de grande ampleur afin que la fonction de directeur de Greffe des services judiciaires soit mise sur même plan que celle de magistrats et que s’agissant de la gouvernance des juridictions qu’il y ait trois têtes, président,procureur et directeur de Greffe des services judiciaires, chef de greffe. Que Mme Le Moullec soit remerciée pour sa prise de position concernant ce corps de direction.

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