Sexisme et discrimination des avocates : peut (bien) mieux faire !
Les constats et les chiffres issus des enquêtes réalisées sont éclairants sur la persistance des phénomènes du sexisme et des discriminations subis par les avocates.
1. L’enquête du Défenseur Des Droits (2018) [2]
Cette enquête révélait les éléments suivants :
la profession se caractérise par des inégalités marquées entre les femmes et les hommes, qu’il s’agisse des statuts d’exercice, des secteurs d’activité et des revenus ;
les femmes avocates rapportent plus souvent que leurs confrères, et plus souvent que dans d’autres professions, avoir vu leur travail ou leurs compétences non reconnus, dévalorisés ;
72 % des femmes et 47 % des hommes rapportent avoir été témoins de discriminations à l’encontre de leurs collègues, principalement de discriminations sexistes (rapportées par 52 % des femmes et 25 % des hommes) ;
les femmes avocates rapportent plus de discriminations que leurs confrères et que leurs homologues féminines en population générale.
2. Le 3e volet du baromètre des droits du Barreau de Paris (2021)
Ce baromètre mis en place par bâtonnier Olivier Cousi dans le cadre de l’opération « Sentinelles des libertés » faisait un focus sur les discriminations et le harcèlement au sein de la population française et au sein de la profession :
29 % des avocats du barreau de Paris disaient avoir été témoins ou victimes d’un comportement discriminatoire,
notamment en raison de la grossesse (50 %), du genre (42 %) et de l’apparence physique (41 %).
3. L’ Enquête collaborateurs du CNB (2022)
La partie de cette enquête relative au harcèlement et aux discriminations établissait clairement que :
les femmes sont les premières touchées et plus fortement du fait de leur grossesse pour celles qui exercent dans les plus gros cabinets ;
61,5 % des collaborateurs sondés ont été victimes de harcèlement ou de discrimination en lien avec la grossesse, laquelle représente 30 % de l’ensemble des discriminations ;
les discriminations liées à la grossesse et à l’âge s’expriment davantage en-dehors de Paris : les discriminations liées à la grossesse montrent que 36 % les subissent en province, 18 % à Paris.
4. Sondage de la ComHaDis (2022)
Selon le sondage réalisé par la Commission Harcèlement et Discriminations du barreau de Paris :
près de la moitié des répondants (44 %) indique avoir été témoins de discrimination (dont 81% dans les cinq dernières années) ;
27 % des personnes ayant répondu au questionnaire disent avoir été victimes de discriminations (79 % dans les cinq dernières années) ;
le premier motif de discrimination évoqué est l’identité de genre (40 % des discriminations), puis la grossesse (31 %).
Pour comparaison :
Le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, dans son rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France [3] révèle des constats inquiétants.
Une immense majorité des répondants (93 %) au Baromètre 2023 a constaté des inégalités de traitement, estimant que les femmes et les hommes ne connaissaient pas le même traitement dans au moins une des sphères de la société (travail, espace public, école, famille...). Le monde professionnel comme particulièrement sexiste : seule 20 % de la population estime que les femmes et les hommes y sont égaux en pratique, un score en baisse de 3 points par rapport à l’année précédente.
En dépit d’avancées juridico-politiques incontestables en matière de droits des femmes et en dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités et aux violences depuis #MeToo, « les biais et les stéréotypes de genre, les clichés sexistes et les situations de sexisme quotidien continuent d’être banalisés ».
Des engagements, de la volonté et des actions menées.
La prise en considération des enjeux de la diversité et de l’inclusion au sein de la profession d’avocats est ancienne ; de nombreuses actions des institutions représentatives en attestent.
Sans prétendre à l’exhaustivité, citons :
- la signature du Pacte pour l’Égalité par le Barreau de Paris (2012) [4] ;
- la signature Pacte pour l’Égalité dans les professions libérales règlementées par le CNB et le Barreau de Paris (2015) [5]. On notera d’ailleurs que dans son rapport sur la parité dans les chambres et les ordres professionnels de 2021, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes confirmait l’application stricte de la parité au CNB (50/50) [6] ;
- la signature de la charte de lutte contre les discriminations et le harcèlement dans la profession d’avocats entre le CNB, le Barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers (2019) ;
- l’organisation des Assises de l’égalité (2019) du Barreau de Paris ;
- Création en 2023 par la Conférence des Barreaux de la plateforme de signalements de faits de discriminations et/ ou de harcèlement dont est victime un.e avocat.e. Cette plateforme est à destination des avocats inscrits dans l’un des 163 barreaux de France (hors Paris). Pour les avocat.e.s inscrits au barreau de Paris, saisir la Commission Harcèlement et Discrimination (Comhadis) à l’adresse suivante : comhadis chez avocatparis.org. La démarche pour ce faire est décrite sur le site du Barreau de Paris.
Du côté des règles déontologiques, les choses ont également évolué.
Mentionnons notamment :
- 2015 - 2018/2019 : ajout des principes d’égalité et de non-discrimination au sein du Règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP) [7] et Règlement intérieur national (RIN) [8] ;
- 2019/2020 : à la suite des États Généraux de la profession d’avocat, mise en conformité les dispositions du RIN relatives notamment au congé maternité avec les textes en vigueur [9] ;
- Sept. 2022 : Rapport d’information du groupe de travail harcèlement/discrimination du CNB, qui propose et travaille sur des solutions « pour remédier à ces situations » et « faire évoluer la prise de conscience de ces phénomènes par les membres de la profession », avec trois axes d’amélioration : formation, procédure et communication. Sans oublier l’annexe 4, qui rappelle opportunément les règles applicables à la « Protection de la collaboratrice enceinte ou en retour de congé » ;
- Déc. 2022 – Adoption de la proposition de féminisation des termes « bâtonnier », « vice-bâtonnier » et « avocat » au sein du nouvel article préliminaire du RIN [10], bien qu’elle ne fasse – à tort ou à raison – pas l’unanimité [11].
RSCA et management inclusif : des leviers à activer
Il importe de noter l’engagement indéniable de nombreux(ses) avocat(e)s en faveur de l’inclusion et de la diversité, dans le cadre de la communication sur les valeurs du cabinet et/ou de l’éventuelle formalisation d’une politique RSE.
Sur ce thème, voir le dossier du Journal du Village de la Justice n° 96.
Le modèle de charte proposé par le Guide du CNB sur la responsabilité sociétale des cabinets d’avocats (RSCA) [12].
Car en effet, au-delà des constats et des chiffres, peu valorisants pour la profession il est vrai, l’enjeu est surtout d’amorcer un changement des mentalités.
Pour cela, il sera probablement nécessaire de dépasser les stéréotypes et, peut-être, de se distancer des seuls quotas et index. Paradoxe de la valorisation des différences et limites du management de la diversité en effet, les approches purement juridique et quantitative restent stigmatisantes et provoquent - dans le monde des avocats comme ailleurs - tantôt la lassitude, tantôt l’irritation...
Il reste essentiel de sanctionner fermement les abus. Mais pour ce faire, la parole doit aussi se libérer. Et, pour cela, c’est peut-être aussi sur l’inclusion et sa traduction concrète qu’il faudrait miser. Par la formation aux enjeux et aux méthodes du management inclusif, de nouvelles perspectives pourraient peut-être utilement se dessiner, en contribuant à créer les conditions favorables pour que chacune et chacun se sente considéré(e) pour sa valeur et son savoir-faire en tant que personne, au-delà, d’ailleurs, de toutes les catégories que l’on peut nommer…
Note : en complément, sachez que le Conseil National des Barreaux a édité un Guide pratique intitulé « Le traitement des situations de harcèlement et de discrimination dans la profession d’avocat ». Il présente les textes applicables, les situations visées par la loi qui engendrent de la discrimination au sein du cabinet, les procédures à disposition des personnes victimes de harcèlement et de discrimination, la question de la preuve et les sanctions.