L’évolution combinée des techniques de l’informatique et de la biologie humaine a considérablement modifié les rapports de l’Homme à lui-même et à son destin, qu’il veut de plus en plus gouverner. Aujourd’hui fasciné par la connaissance de son être, physique et psychologique, l’individu est devenu la proie de développements technologiques dont il ne maîtrise pas toute la dimension et qui le métamorphosent en une source de « données génétiques », dont les « informations » qu’elles livrent sont de plus en plus exploitées à des fins économiques, sociales, scientifiques ou médicales [2].
Les nouvelles biotechnologies laissent entrevoir des perspectives inimaginables il y a quelques années. Les progrès réalisés dans la connaissance du génome humain ont bouleversé à la fois notre aperception et notre compréhension du matériel génétique que les acteurs de nos systèmes juridiques et législatifs se doivent d’appréhender, avec toute l’ouverture et l’objectivité nécessaires à la protection efficace et adaptée d’un « patrimoine génétique » devenu une source de convoitises sociétales, dont l’ampleur inégalée ne peut être ignorée.
En quoi la confusion qui s’est installée dans l’emploi des expressions « données et informations » est-elle préjudiciable ?
Peut-on en identifier des causes ?
La donnée n’est pas une information.
Sur un plan sémantique, on désignera par « donnée » tout caractère, nombre, mot, son, signe, à l’état individuel ou dans un groupe, qui, lorsqu’il est isolé d’un contexte, ne signifie que peu ou rien pour l’humain.
En sciences, la donnée est un élément brut tiré d’une observation expérimentale.
Replacées dans un contexte particulier et soumises à un processus d’interprétation plus ou moins complexe, les données peuvent alors devenir « informatives » et prendre un sens que tout individu aura la capacité de comprendre, intégrer, exploiter.
Les mots deviennent des phrases.
Comme la pierre, élément unitaire, acquiert tout son sens au sein d’édifices, naturels ou bâtis, très différents les uns des autres, les données peuvent être polysémiques.
Lorsqu’une information est générée, elle peut éventuellement être utilisée comme base d’un nouveau processus analytique, générateur à son tour de nouvelles données qui devront être interprétées.
La somme des informations comprises et assimilées participe à la connaissance.
« Les racines du mal »
Elles sont de deux ordres : sociétales (A) et normatives (B).
A) Sur un plan diachronique, l’entrée en force de l’informatique à tous les niveaux de la vie privée et personnelle des individus dans les sociétés modernes et la course à l’immédiateté informationnelle véhiculée et entretenue, tant par les réseaux sociaux que par les médias, ont sans aucun doute contribué à la distorsion et au lissage des sens attribués aux deux termes.
Les données, génétiques ou personnelles, maintenant identifiées à des « data », sont devenues des ressources convoitées par les mondes de l’économie, du commerce électronique, de la biomédecine et de la criminologie. Les aspects les plus avancés de leur traitement font appel aux outils du « big data » développés pour répondre à la « règle des 3 V » qui s’adresse à la fois au volume des données à traiter, à la vélocité du traitement et à la variété des informations provenant de différentes sources.
B) A côté de ces considérations informatiques, les textes normatifs nationaux et internationaux ont également été sources de l’imprécision scientifique qui nous intéresse ici.
Par exemple, l’article 2 de la déclaration de l’UNESCO de 2003 [3] propose de définir les « données génétiques humaines » comme « informations relatives aux caractéristiques héréditaires des individus, obtenues par l’analyse d’acides nucléiques ou par d’autres analyses scientifiques ».
Le Règlement Général sur la Protection des Données de 2016 (RGPD), n’apporte malheureusement pas le cadre rigoureux qui aurait permis de renforcer le concept de « données génétiques », qu’il considère comme des « données personnelles », elles-mêmes improprement définies à l’article 4 du règlement comme « toute information se rapportant à une personne physique et identifiable ».
La définition du N°13 de l’article 4 devrait être revue et corrigée pour se lire : Les données génétiques « sont » relatives aux caractéristiques génétiques héréditaires ou acquises d’une personne physique qui « peuvent fournir » des informations uniques sur la physiologie ou l’état de santé de cette personne physique ».
Se rangeant derrière les définitions de l’UNESCO et du RGPD, la CNIL considère, elle aussi, que les données génétiques s’apparentent à « toute information relative à une personne physique directement identifiée ou seulement identifiable », en précisant toutefois que les données génétiques « ne sont pas des données personnelles comme les autres » [4].
Que sont donc les données et l’information génétiques ?
A) Les données génétiques sont des paramètres obtenus lors d’analyses qualitatives et quantitatives du matériel génétique.
Par exemple, la proportion des différents nucléotides [5] contenus dans l’ADN a pendant longtemps été utilisée comme support taxonomique.
Il est ainsi apparu que, suivant les espèces considérées, la proportion des résidus guanine et cytosine était constant pour tous les membres d’une même espèce, mais pouvait varier de manière très significative d’une espèce à l’autre. Le taux de G+C , connu sous le nom de coefficient de Chargaff [6] n’a aucun sens s’il est considéré en dehors de tout contexte.
De même, l’ordre des nucléotides dans une molécule d’ADN n’est pas informatif en tant que tel. La comparaison des séquences nucléotidiques établies à partir d’échantillons différents permet d’établir un relevé « cartographique » de la distribution des bases. Plus le nombre d’échantillon est grand, meilleure est la « carte génétique » obtenue. Les variations individuelles, identifiées lors de la comparaison des échantillons de diverses provenances, permettent d’identifier dans l’ADN des mutations polymorphiques qui sont isolément « silencieuses » en ce qui concerne leur fonction biologique.
Les données brutes ne sont pas compréhensibles. Elles ont besoin d’être interprétées pour être informatives.
B) L’information génétique est obtenue par le traitement des données génétiques.
Pour certains commentateurs scientifiques, le séquençage du génome humain devait livrer la clef d’accès aux données génétiques et par conséquent, à la compréhension de la biologie intime de l’Homme. L’ADN devenait un grand livre ouvert, qu’il suffisait de lire pour connaître les secrets de la Vie. Encore fallait-il comprendre la genèse des mots à partir des lettres, les règles gouvernant leur assemblage en phrases ainsi que le découpage du texte en paragraphes et chapitres. C’était le minimum requis pour commencer une lecture productive.
La comparaison de génomes entiers [7] a permis l’identification de caractéristiques physiques (données génétiques) dont la présence a été associée à l’expression de traits normaux ou morbides.
Par exemple, la couleur des yeux (information) est associée à certains gènes (données génétiques). La machinerie cellulaire doit interpréter le code contenu dans les données génétiques pour permettre la synthèse des pigments.
En médecine moléculaire, l’obtention d’informations utiles est facilitée par la recherche des modifications de l’ADN présentes chez un malade, alors qu’elles ne sont pas détectées dans le génome de l’être humain sain. Pour être valide, cette approche nécessite la comparaison de nombreux individus. Plus la population analysée sera grande, plus la relation qui sera éventuellement établie sera consolidée.
L’obtention des informations génétiques à partir des données, constitue la base d’une identification individuelle (profil génétique) dont les applications sont légion, dans les domaines aussi différents que la médecine moléculaire personnalisée, les biotechnologies du vivant et l’amélioration des espèces, l’analyse criminalistique des traces d’ADN, et la généalogie moléculaire [8].
Il faut cependant garder à l’esprit que toute donnée génétique n’est pas informationnelle et que toutes les caractéristiques macroscopiques héréditaires ne renseignent pas nécessairement sur les données génétiques dont elles dépendent.
Les enjeux.
Les enjeux socio-culturels et économiques sont considérables.
Il en est pour exemple l’essor fulgurant des compagnies de génotypage qui proposent un voyage initiatique aux confins du soi à une clientèle avide de connaître les fondements de sa personnalité, de ses origines et de son futur.
Les tests génétiques, pratiqués sur les données génétiques contenues dans l’ADN des consommateurs, livrent des informations personnelles, tant sur le plan physique que psychologique.
Le marché des tests génétiques en 2022 est évalué à 22 milliards de dollars.
Sur un plan juridique, il est une question brûlante sur laquelle le législateur doit se pencher : c’est celle de la patrimonialité des données génétiques et des informations qu’elles peuvent livrer.
En effet, si la quantité et la qualité des données génétiques d’un individu adulte peuvent être considérées, en première approximation, comme invariables au cours de sa vie, il n’en est pas de même pour ce qui concerne l’exploitation de ses données. La quantité et la qualité des informations que l’on peut tirer de l’exploitation de données dépendent étroitement des méthodologies employées, susceptibles d’évoluer considérablement avec les progrès scientifiques.
Une récente analyse de droit comparé [9] a révélé que si le problème de la patrimonialité du matériel génétique se pose de manière aigüe au niveau international, aucun texte ne prend en compte la distinction fondamentale que nous avons plaidée ici.
S’il l’on peut considérer l’individu propriétaire de ses données génétiques, il n’est pas raisonnable de penser qu’il ait un droit de paternité sur les résultats du travail expérimental déployé par les entreprises de génotypage pour interpréter et exploiter ses données.
Il n’est donc pas envisageable, à l’heure où le statut du matériel génétique va faire l’objet de discussions parlementaires, de protéger de la même manière les données et les informations génétiques.
Perspectives.
Aucune proposition constructive ne pourra être envisagée dans un contexte juridique stérilisant, qui interdit au grand public français tout accès à son patrimoine génétique [10].
Le législateur doit faire la différence entre un encadrement, certes souhaitable, des tests à visée médicale et les tests génétiques à visée ludique, qui sont en libre accès dans la plupart des pays occidentaux et chez nos voisins européens [11].
Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises et depuis plusieurs années, l’interdiction anachronique de l’accès à l’ADN, imposée aux français, les engage vers la voie du tourisme génétique dont les conséquences humaines et économiques sont dramatiques [12].
La France ne peut se satisfaire d’être la lanterne rouge du train des biotechnologies du futur et doit se ressaisir pour redevenir un acteur majeur dans un domaine où elle fut et devrait toujours être, un des leaders mondiaux.
Discussions en cours :
Bonjour,
J’ai bien lu votre article mais je dois dire que des questions me viennent à l’esprit...
Je suis en Terre Inconnue concernant Les Données et Informations génétiques, et puisque vous êtes un professionnel aguerri, pourriez-vous nous donner par exemple, le sens des "données génétiques ludiques" ou pourquoi le paternalisme de nos données génétiques individuelles est-il à proscrire ? Il s’agit de notre Patrimoine propre qui ne concerne que nous-même ? Je suis loin d’avoir tout compris...
J’en suis fortement désolée !
Merci pour votre réponse.
Je vais essayer dé répondre en deux messages (faute de place)
Soyez rassurée, vos questions sont tout à fait pertinentes.
Le sujet abordé dans mon article fait appel à des notions qui ne sont pas faciles à comprendre et malheureusement pas toujours maîtrisées par certains journalistes qui en débattent dans des publications « grand public ».
Je vais essayer humblement de vous répondre et de guider vos lectures.
Pour ce qui est de la notion de données génétiques qualifiées de « confort » ou « ludiques », on peut considérer que ce sont celles qui ne sont pas à visée thérapeutique et touchent au bien-être de la personne et à ses habitudes de vie (par exemple, les rougeurs épidermiques à la suite de la consommation d’alcool, la qualité du sommeil, l’intolérance au lactose, la consommation de caféine, etc.) pour lesquelles on connait des caractéristiques génétiques qui sont des « marqueurs » de prédisposition. La compagnie 23andMe propose ainsi aux consommateurs de certains pays, dans lesquels ils sont permis, des tests en libre accès qui concernent une trentaine de traits physiques et de santé, en plus de tests à visée médicale qui concernent des manifestations pathologiques courantes.
Tous ces tests ne sont pas des diagnostics, ils fournissent des indices de prédisposition.
Cette notion doit être clairement exposée au consommateur.
Au chapitre des tests « ludiques », on peut aussi mentionner les tests de généalogie moléculaire qui sont aujourd’hui très prisés dans le monde entier, mais encore interdits par notre code civil en France (j’ai présenté et discuté ce problème dans les publications citées en note de mon article) qui proscrit tout accès au personnel génome en dehors des cadres d’ordre médical, de recherche ou judiciaire.
Vos questions concernant la patrimonialité des données génétiques sont au centre de problématiques très importantes, touchant les aspects les plus intimes de la personne et qui devraient être au centre des débats concernant la révision de la loi de bioéthique à venir. Dans la présentation de ma thèse concernant les données personnelles et la propriété du soi, j’écrivais à ce sujet « Les potentialités nouvellement révélées du génie génétique humain, ont mis en exergue la faiblesse et l’inefficacité de textes juridiques et normatifs ayant mal vieilli qui conduisent à des clivages de principe rigides face à des technologies génétiques visant à améliorer le bien-être des peuples. Il est aujourd’hui nécessaire de dépassionner les débats et de redéfinir au plus tôt, sur des bases scientifiques objectives, le statut juridique des données génétiques et de l’information que leur exploitation peut livrer ».
En France, la cession et l’utilisation des éléments et produits du corps humain sont régies par les dispositions du chapitre II du titre Ier du livre Ier du Code civil et par les dispositions des articles L1211-1 à 1211-18 du Code de la Santé Publique
En particulier, l’article 16-5 du Code civil dispose : « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. »
C’est pour cette raison que le commerce des produits du corps est interdit et que par exemple, le sang ne peut être vendu, mais doit faire l’objet d’un don.
Le principe de « don » du sang et des parties détachées du corps, remis en cause par plusieurs auteurs fait l’objet de nombreux articles et analyses juridiques.
Ci-après, les références de textes légaux qui encadrent ces pratiques :
Alors que le don des yeux pour la pratique de greffes de cornée était permis depuis 1949 (Loi n° 49-890 du 7 juillet 1949) et que le don du sang et de ses dérivés en France est règlementé depuis 1952 (Loi n°52-854 du 21 juillet 1952 sur l’utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ( JORF du 22 juillet 1952 pages 7357 et 7358) , le don et l’utilisation des autres éléments et produits du corps humain sont encadrés en France depuis 1994 par la loi de bioéthique de 94-654 les titres II et III de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 le titre II intitulé « Organes et cellules » de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, l’article 40 de Loi no 2016-41 du 26 janvier 2016 et l’Ordonnance n° 2017-51 du 19 janvier 2017 portant harmonisation des dispositions législatives relatives aux vigilances sanitaires (JORF n°0017 du 20 janvier 2017 texte n° 29)
J’espère avoir répondu au moins partiellement à vos préoccupations et reste à votre disposition