En l’espèce, à la suite d’un accouchement dans une polyclinique, une patiente a présenté une lésion du périnée entraînant des incontinences urinaire et anale, consécutive à l’utilisation, pour extraire l’enfant qui présentait des troubles du rythme cardiaque, de spatules de Thierry.
La patiente a saisi d’une demande d’indemnisation la CCI (Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux) d’Aix en Provence, qui a ordonné une expertise.
La CCI a mis en évidence la perte du dossier médical de l’accouchement et du séjour de la patiente. La CCI en a déduit que la réparation des préjudices subis par la patiente incombait à la polyclinique et à son assureur. L’assureur ayant refusé de faire une offre, l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) s’est substitué à lui et a indemnisé intégralement la patiente.
1) En cas de perte du dossier médical, la Cour de Cassation retient le renversement de la charge de la preuve.
Les professionnels de santé et les établissements de santé engagent leur responsabilité en cas de faute sur le fondement de l’article L.1142-1, alinéa 1er du Code de la Santé Publique. Lorsqu’un praticien exerce à titre libéral, il répond personnellement des fautes qu’il a commises ; les établissements de santé engagent leur responsabilité en cas de perte d’un dossier médical dont la conservation leur incombe.
En l’espèce, l’acte médical critiqué a été réalisé par un médecin libéral exerçant au sein d’une polyclinique. La 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a relevé que la polyclinique avait perdu le dossier médical de la patiente et que l’établissement de santé n’était pas en mesure d’apporter la preuve qu’aucune faute n’avait été commise lors de l’accouchement. Ce n’est pas la faute du médecin libéral qui est présumée mais celle de l’établissement de santé. Cette solution est cohérente car ce n’est pas le médecin qui a perdu le dossier médical mais l’établissement de santé et en aucun cas la responsabilité personnelle du médecin ne pouvait être engagée. Il appartient donc à l’établissement de santé de démontrer que les soins ont été prodigués conformément aux règles de l’art et que le médecin libéral n’a commis aucune faute lors de l’accouchement.
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation caractérise la perte du dossier médical comme « un défaut d’organisation et de fonctionnement, qui place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé le concernant et d’établir, le cas échéant, l’existence d’une faute dans la prise en charge ».
Dès lors, « la perte du dossier médical conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés ».
Par un arrêt du 14 avril 2016, la Cour de Cassation [3] avait déjà retenu le renversement de la charge de la preuve en cas de dossier médical incomplet en la faisant peser non sur le patient qui sollicitait une indemnisation pour le dommage corporel subi mais sur le professionnel de santé.
En l’espèce, la Haute Cour posait toutefois une condition : l’exigence d’une faute à l’encontre du professionnel de santé dans la conservation du dossier médical.
En matière de responsabilité médicale, depuis l’arrêt Hedreul du 25 février 1997, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation [4] avait déjà retenu le renversement de la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information.
Cette charge de la preuve n’incombe plus au patient mais elle appartient désormais au professionnel de santé de prouver qu’il a bien exécuté cette obligation.
2) En cas de perte du dossier médical la Cour de Cassation retient la perte d’une chance pour le patient d’obtenir réparation du dommage subi.

Il est important de souligner qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage et la perte du dossier médical mais l’absence du dossier médical prive le patient d’apporter la preuve qu’une faute technique a été commise par le praticien lors de l’accouchement.
La première Chambre Civile de la Cour de Cassation dans sa décision du 26 septembre 2018 "a relevé quela polyclinique ayant perdu le dossier médical de Mme Y... et que l’établissement de santé n’étant pas en mesure d’apporter la preuve qu’aucune faute n’avait été commise lors de l’accouchement ; la Cour d’Appel d’Aix en Provence a retenu à bon droit, que l’ONIAM était fondé à exercer un recours subrogatoire à l’encontre de cet établissement de santé et de l’assureur ; que, compte tenu des conditions d’exercice du praticien dont les actes étaient critiqués, elle a justement énoncé que la faute imputable à la polyclinique avait fait perdre à l’intéressée la chance d’obtenir la réparation de son dommage corporel qu’elle a souverainement évaluée à hauteur de 75 % des préjudices en résultant ».
La jurisprudence avait déjà admis que la perte du dossier médical constituait une perte de chance pour le patient d’obtenir réparation des dommages subis liés aux soins. Cette perte de chance doit être souverainement évaluée par les juges du fond.
La décision rendue par la Cour de Cassation peut paraître un peu singulière car il existe une certaine ambiguïté entre le fait de reconnaître que la perte du dossier médical empêche le patient de prouver l’existence d’une faute technique du professionnel de santé dans l’accomplissement de son acte médical et le fait de retenir qu’il y a 75% de chance que le dommage ait pour origine une faute du médecin.
Le renversement de la charge de la preuve en cas de perte du dossier médical peut aussi décourager les établissements de santé et les professionnels de santé de toute réticence à communiquer totalement ou partiellement son dossier médical au patient. Cette avancée s’inscrit dans une logique du respect de la loyauté de la preuve.
La bonne tenue du dossier médical est une obligation légale et déontologique pour les professionnels de santé [5].
Enfin, la conservation du dossier médical « papier » peut paraître anachronique à l’heure du dossier médical numérisé et du DMP. Toutefois, les praticiens doivent être aussi vigilants avec les dossiers dématérialisés et ne pas faire disparaître accidentellement des fichiers de leurs patients sous peine de sanction.