Le Conseil national de l’Ordre des médecins a annoncé à ses membres par le biais d’un communiqué de presse qu’ils ne seraient pas responsables des conséquences de la vaccination contre la Covid-19.
En effet, c’est l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) qui sera chargé, conformément à l’article L3131-15 du Code de la santé publique relatif à l’indemnisation des mesures sanitaires d’urgence, de prendre en charge les préjudices découlant des éventuels effets indésirables de ces vaccinations.
Si l’Ordre se félicite de ces garanties, il convient tout de même de rappeler que celles-ci sont applicables depuis la campagne nationale de vaccination antigrippe A/H1N1 de 2009-2010.
Or, il faut souligner que certaines des victimes de cette vaccination, souffrant irrémédiablement de narcolepsie-cataplexie [1], ne sont toujours pas indemnisées de ses conséquences néfastes [2].
Les premières saisines de l’ONIAM datent de 2012. Seuls 50 dossiers ont été définitivement indemnisés. Tous les 120 autres dossiers sont en cours d’indemnisation, avec certains dossiers saisis depuis plus de huit ans…
Il est donc nécessaire de tirer tous les enseignements des difficultés rencontrées à l’occasion de cette première mesure sanitaire d’urgence afin de renforcer le dispositif de pharmacovigilance (I) et permettre une meilleure indemnisation des victimes en cas d’effets indésirables de la campagne de 2021 (II).
I. Repenser le système de pharmacovigilance pour assurer un suivi des patients et des effets secondaires du vaccin.
Les patients, les professionnels de santé et les centres de vaccination doivent impérativement conserver la preuve de la vaccination, ou des vaccinations, effectuée(s) (A) et être capables de suivre les effets secondaires qui pourraient se déclarer (B).
A. Identification et suivi des patients vaccinés.
Lors des procédures indemnitaires, il convient en premier lieu de démontrer avoir reçu le vaccin litigieux pour envisager l’indemnisation de ses conséquences néfastes. Sans cette preuve, aucune procédure n’est envisageable.
Aujourd’hui, les archives de notre système de santé peinent à retrouver l’identité de toutes les personnes vaccinées contre la grippe A/H1N1 et ont pour la plupart détruit trop rapidement les archives de la campagne de vaccination. Afin d’assurer un suivi des personnes vaccinées en cas d’apparition d’effets secondaires, il est primordial que, malgré l’urgence de la vaccination, toutes les mesures nécessaires soient mises en œuvre afin d’identifier la totalité des personnes vaccinées.
S’agissant du vaccin contre la Covid-19, la difficulté est démultipliée par la nécessité d’injections multiples et par la coexistence de plusieurs vaccins.
En outre, les signaux de pharmacovigilance doivent être examinés attentivement.
B. Mise en place d’un réel suivi des effets secondaires latents.
Rappelons qu’à l’occasion de la vaccination contre la grippe A/H1N1, ce n’est pas la France qui a décelé en premier les cas de narcolepsies-cataplexies en lien avec la vaccination, mais les pays nordiques réputés pour surveiller très efficacement les effets indésirables des produits de santé. Par la suite, l’information adressée aux personnes vaccinées n’a pas été suffisante, à tel point que de nombreuses victimes sont encore diagnostiquées aujourd’hui.
Ainsi, il sera nécessaire que les patients et les médecins soient encouragés par les pouvoirs publics à déclarer tous les effets indésirables constatés aux centres de pharmacovigilance et à les suivre, pendant et après la campagne vaccinale.
Ceci semble d’ailleurs débuter avec le « dispositif de surveillance renforcée » mis en place par l’ANSM [3] depuis le 24 décembre 2020. Ce n’est que grâce à ces déclarations qu’il sera possible de déceler et identifier les effets indésirables des vaccins contre la Covid-19.
Par ailleurs, seul un système de pharmacovigilance efficace sera de nature à instaurer la confiance dans la vaccination contre la Covid-19.
C’est également de cette façon que le consentement libre et éclairé, nécessaire à tout acte médical, pourra être assuré pour les patients.
En outre, les laboratoires, associés aux pouvoirs publics français et européens se doivent d’analyser attentivement ces déclarations de pharmacovigilance afin de confirmer, si nécessaire, l’existence d’un lien de causalité entre un effet indésirable évoqué et la vaccination et de continuer à assurer l’information de tous leurs patients, conformément à leurs obligations légales.
Si un risque avéré de développer une pathologie devait être découvert, tous les patients vaccinés devraient en être informés de façon claire et loyale. Ceci leur permettra de contrôler l’éventuelle apparition de la pathologie et de connaitre par ailleurs leur droit à indemnisation des préjudices en découlant. De plus, si la vaccination était encore en cours, celle-ci pourrait être rapidement arrêtée en cas de renversement de la balance bénéfice-risque.
Plus encore se pose la question de la gestion de l’indemnisation d’un éventuel effet indésirable par l’ONIAM.
II. L’indemnisation confiée à l’ONIAM : comme l’écrit la Cour des comptes « une mise en œuvre dévoyée, une remise en ordre impérative [4] ».
S’agissant de la prise en charge par l’ONIAM de l’indemnisation des conséquences de la vaccination contre la Covid-19, beaucoup s’accordent à dire qu’il s’agit d’une « procédure simple, rapide et gratuite ».
Et pourtant, les 10 années de lutte acharnée des victimes de la vaccination contre la grippe A/H1N1 pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices (A) doit conduire à réformer profondément le dispositif ONIAM pour offrir une indemnisation juste et intégrale (B).
A. L’indemnisation par l’ONIAM ne doit plus être un parcours du combattant.
Certaines de ces victimes ont initié une procédure devant l’ONIAM il y a plus de neuf ans, ont réalisé deux voire trois expertises différentes, et ne sont toujours pas indemnisées. Les délais de procédure, l’ampleur et la complexité des documents sollicités réduit fortement les possibilités d’indemnisation des victimes, a fortiori lorsqu’elles ne sont pas assistées d’un conseil.
Or l’ONIAM, agissant dans le cadre d’une mesure d’urgence recommandée par l’État, devrait aider les victimes à obtenir l’indemnisation de leurs préjudices au lieu de se comporter comme un assureur de mauvaise foi « qui s’attacherait à limiter sa charge de sinistre » comme l’a signalé la Cour des comptes [5].
Il s’avère en effet que l’organisme principalement composé d’administrateurs, adopte des positions contraires à celles des données acquises de la science (délais d’apparition des symptômes trop longs, vaccins concernés, puis non concernés par l’indemnisation) ou réévalue arbitrairement (à la baisse bien sûr) les préjudices des victimes.
Il sera donc nécessaire à l’occasion de cette nouvelle campagne, de limiter fermement l’ONIAM à son rôle administratif et de confier à un collège d’experts indépendants les questions relatives au lien de causalité et à l’évaluation des préjudices. L’indépendance de ces experts permettra de garantir les principes d’impartialité et de compétence applicable à toute procédure, y compris amiable, et contribuera ainsi la juste prise en charge des victimes.
Comme dans d’autres dispositifs d’indemnisation confiés à l’ONIAM, notamment la Dépakine, il sera essentiel que ce collège indépendant soit composé d’experts médecins mais également de juristes qualifiés en réparation du préjudice corporel, afin que l’expertise soit réellement et médico et légale.
B. Une indemnisation qui ne doit pas être au rabais.
Les victimes sont moins bien indemnisées par l’Office que par le juge, sous prétexte que ce serait la « solidarité nationale » qui les indemnise.
Effectivement, l’ONIAM indemnise certaines victimes au nom de la solidarité nationale. C’est notamment le cas des victimes d’aléas thérapeutiques, c’est-à-dire d’accidents médicaux non fautifs, subissant des préjudices particulièrement graves.
Ce n’est pas le cas pour la vaccination contre la Covid-19, tout comme pour la vaccination A/H1N1, qui sont des actes médicaux pour lesquels la responsabilité de l’État est susceptible d’être mise en cause.
Surtout la campagne de vaccination anti grippe A-H1N1 a été organisée et vivement encouragée par les pouvoirs publics malgré l’absence d’étude clinique suffisante pour garantir un bénéfice-risque positif aux patients et surtout une information suffisante de ces derniers sur les risques auxquels ils s’exposaient.
En outre, comme l’a très justement souligné le rapporteur public Nicolas Polge [6] devant le Conseil d’État dans le cadre de l’indemnisation des victimes indirectes de la vaccination H1N1, la participation des victimes à des mesures prises dans l’intérêt public diffère de l’effort de solidarité des victimes de « malchance » et justifie en conséquence une indemnisation intégrale :
Enfin, si selon votre rapporteur public Jean-Philippe Thiellay
« l’ouverture exceptionnelle d’une indemnisation par la solidarité nationale de l’aléa thérapeutique était équilibrée par une conception restrictive de la victime prise en charge, l’équilibre est différent, comme le souligne le pourvoi, s’agissant des dommages causés par les mesures d’urgence prescrites par le ministre de la santé pour prévenir et limiter les conséquences sur la santé de la population des menaces sanitaires graves. Alors que la prise en charge de l’aléa thérapeutique relève d’un effort de solidarité à l’égard des victimes de la malchance, celle des victimes de mesures sanitaires d’urgence présente un enjeu d’égalité devant les charges publiques, puisqu’il s’agit de personnes victimes de leur participation à des mesures prises dans l’intérêt public ».
Ainsi, l’Office n’intervient pas au nom de la solidarité nationale mais au contraire, au nom de la responsabilité de l’État et du laboratoire. Les personnes ayant développé une narcolepsie-cataplexie dans les suites de leur vaccination sont bien des victimes qui doivent bénéficier de la réparation intégrale de leurs préjudices, sans aucune mention à une quelconque solidarité nationale permettant d’amoindrir cette dernière.
Pour A/H1N1 comme pour Covid-19, il convient que l’Office abandonne son référentiel et s’aligne sur la position des Cours d’appel.
Cela avait d’ailleurs été proposé par l’Inspection générale des affaires sociales à l’occasion de l’évaluation des modalités d’indemnisation de l’Office en 2016 [7] et par la Cour des comptes dans le rapport précité. Ceci est en outre régulièrement rappelé par les juges, garants des libertés fondamentales des citoyens, qui estiment le référentiel de l’Office insuffisant pour garantir l’indemnisation intégrale des victimes.
Voir sur ce point, les paragraphes 218 et suivants du Rapport IGAS précité, Recommandation n°5.
Dans tous les cas, en dépit de l’absence de représentation obligatoire par avocat devant l’ONIAM, il est préférable pour les victimes d’être assistées devant l’ONIAM afin de garantir au mieux leurs droits et indemnisations.