Quand le droit accompagne les mutations stratégiques des entreprises, exemple avec Système U devenu Coopérative U.

Par Caroline Diard et Olivier Meier, Professeurs.

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Explorer : # coopérative # gouvernance # indépendance # responsabilité sociale des entreprises

Le changement de dénomination de Système U en Coopérative U ne saurait être réduit à une opération de communication. Il s’agit d’un acte juridique fort, inscrit dans une dynamique de recomposition sectorielle et de redéfinition de la gouvernance des entreprises de distribution. En s’appuyant sur le modèle coopératif, l’enseigne affirme un choix structurant : celui d’un statut qui consacre l’indépendance de ses associés, la solidarité de son réseau et la primauté de l’intérêt collectif. Ce mouvement, qui dépasse la seule stratégie commerciale, illustre la capacité du droit à façonner des modèles économiques alternatifs, conciliant performance et responsabilité.

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Un contexte de crise et de recomposition sectorielle.

La grande distribution vit une crise structurelle : saturation du marché, déconsommation, inflation, montée de l’e-commerce et de la proximité, essor des circuits courts et des enseignes spécialisées (bio, frais, snacking...). Les hypermarchés perdent du terrain, la proximité progresse, mais sur des bases économiques différentes et avec une exigence de sens et de personnalisation accrue.

Dans ce paysage, le modèle des indépendants, fondé sur l’agilité, la proximité réelle, la capacité à adapter l’offre à chaque territoire, apparaît comme une réponse crédible à la défiance envers les grands groupes et à la demande de circuits courts.

Coopérative U, avec ses 1 726 points de vente, 11,8% de parts de marché et une ambition affichée de 15% d’ici 2030, investit massivement dans la rénovation, la logistique et le digital pour renforcer encore cette dynamique (Journal des Entreprises, mai, 2024).

Pourquoi changer de nom ? Un choix stratégique, pas anodin.

En 2024, le passage de Système U à Coopérative U n’est pas un simple rebranding, mais un acte stratégique fort. Ce changement vise à :

  • Réaffirmer l’ADN coopératif et indépendant face à la dilution des valeurs dans un marché ultra-concurrentiel
  • Se différencier clairement des modèles intégrés et affirmer une gouvernance décentralisée, agile, solidaire et durable
  • Attirer de nouveaux adhérents partageant ces valeurs, renforcer l’ancrage territorial et le lien avec les producteurs locaux
  • Renforcer la cohésion interne autour d’un projet commun, à l’heure où la quête de sens et la défiance envers les hiérarchies rigides s’accentuent dans le secteur
  • Communiquer auprès du public sur la dimension humaine et solidaire du modèle, en phase avec les attentes de proximité et de responsabilité des consommateurs.

Ce choix de nom est donc tout sauf anodin : il est un signal envoyé à la fois en interne (mobilisation des associés, fidélisation des équipes) et en externe (clients, fournisseurs, territoires), dans un contexte de crise de confiance envers les mastodontes centralisés et de recherche de modèles plus vertueux.

Ce changement de nom vient par conséquent célébrer l’héritage et un ensemble de valeurs, tout en projetant l’entreprise vers l’avenir. Il souligne la pérennité d’un modèle économique basé sur l’indépendance et l’association, principes qui ont guidé les fondateurs de la coopérative dès ses débuts. Mais Coopérative U ne se contente pas de survivre à la crise : elle incarne la révolution silencieuse d’un secteur où l’indépendance, la proximité et la solidarité organique sont en train de redevenir des valeurs cardinales.

Un modèle d’indépendants qui résiste et innove.

Depuis sa création en 1894, la coopérative nantaise s’est construite sur la force du collectif face aux géants intégrés. D’abord groupement d’achats, elle a évolué vers un système où chaque magasin est dirigé par un commerçant indépendant, associé à la coopérative, bénéficiant de la puissance d’un réseau sans perdre son autonomie locale. Ce modèle, partagé avec Leclerc ou Intermarché, résiste mieux aux crises que les enseignes intégrées comme Carrefour ou Auchan, dont la centralisation limite l’agilité et l’adaptation aux territoires. Coopérative U s’appuie sur une stratégie multi-formats (Hyper U, Super U, U Express, Utile), capable de s’implanter aussi bien en zone urbaine qu’en ruralité, du 400 m² au 10 000 m². La flexibilité permet d’être au plus près des producteurs ET des clients finaux.

Un management renouvelé, véritable enjeu de RSE.

Dans le cadre de ce changement stratégique, le management de l’enseigne est questionné. Derrière le changement de nom, la nécessaire adaptation de la politique RH désormais centrée autour d’une nouvelle liberté entrepreneuriale avec l’indépendance juridique de chaque magasin. Chaque magasin U est dirigé par un chef d’entreprise indépendant, appelé Associé U. Ce modèle unique combine la flexibilité d’une gestion locale avec la puissance d’une organisation nationale. Les Associés U sont impliqués dans les décisions qui orientent l’action du groupement au niveau national et régional. Cette structure décentralisée permet à chaque magasin de s’adapter aux spécificités de son territoire tout en bénéficiant de la force du réseau.

Cette structure nouvelle favorise par ailleurs la production locale grâce aux circuits courts (agriculteurs locaux et produits du terroir). L’enseigne s’engage à développer des relations directes avec les producteurs locaux, ce qui garantit une meilleure fraîcheur des produits et soutient l’économie locale. Cette approche permet également de réduire les intermédiaires, assurant une meilleure rémunération pour les producteurs et des prix plus justes pour les consommateurs. L’enseigne s’engage sur la maitrise des prix et le maintien du pouvoir d’achat des consommateurs, grâce à sa stratégie de marques de distributeur et à la réduction de ses marges.
Il s’agit dès lors de préserver l’indépendance décisionnelle des associés au niveau opérationnel, d’impliquer activement les membres dans l’élaboration des stratégies globales et de mettre en place des plateformes collaboratives pour le partage d’expertise et d’innovations.

Un changement de statut juridique au cœur de la stratégie commerciale.

La Coopérative U regroupe les enseignes Hyper U, Super U, U Express et Utile. Bien plus qu’un distributeur, sa spécificité est d’avoir à la tête de chaque magasin un commerçant indépendant associé qui s’appuie sur la force d’une coopérative [1].

Coopérative U est une SA coopérative à conseil d’administration [2].

La SA coopérative est une des formes possibles de SCOP, Société coopérative et participative qui est juridiquement une entreprise. Les autres formes envisageables sont la SARL, voire la SAS.

Les sociétés coopératives et participatives (SCOP) sont des sociétés commerciales à capital variable qui vivent et se développent sur le secteur concurrentiel. Elles concernent tous les secteurs d’activité.

Dans cette entreprise, les salariés peuvent être associés.

Il s’agit d’ailleurs d’associés majoritaires détenant au moins 51% du capital et 65% des droits de vote. En Assemblée générale, les salariés associés décident ensemble des orientations à prendre et élisent leurs dirigeants selon le principe 1 personne = 1 voix.

Les deux statuts, salarié et associé, sont liés. Ainsi, sauf dispositions contraires des statuts de la société, la renonciation à la qualité d’associé entraîne la rupture simultanée du contrat de travail et la rupture du contrat de travail entraîne la perte de la qualité d’associé (sauf retraite, licenciement économique, invalidité) [3].

Ceci créée une situation originale en matière de GRH. Dans le cas de la coopérative U ce sont les indépendants qui sont les associés. La coopérative regroupe 1 601 magasins U, Hyper U, Super U, U Express et Utile et 73 000 collaborateurs.

Le changement de statut juridique de Coopérative U illustre la capacité du droit à accompagner les mutations stratégiques des entreprises dans un secteur en crise. En valorisant un modèle coopératif fondé sur l’indépendance et la gouvernance partagée, l’enseigne redéfinit les équilibres entre efficacité économique et responsabilité sociale.

Cette évolution confirme que le droit peut être un levier d’innovation autant qu’un outil de régulation.

Note des auteurs : pour aller plus loin, le cas présenté à nos élèves est à découvrir ici.

Caroline Diard
Professeur Associé au département Management des Ressources Humaines et Droit des Affaires
TBS Education
Olivier Meier, Professeur des Universités, LIPHA (Paris Est), Président fondateur de l’observatoire ASAP

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