Droit bancaire et contentieux de masse : la mise en place de nouvelles sanctions dissuasives ?

Il existe un certain nombre de pratiques bancaires qui, bien que choquantes, restent insuffisamment sanctionnées, en raison de l’absence d’outils dissuasifs mis à disposition des juges pour lutter contre celles-ci.
C’est encore un constat aujourd’hui : le droit Français ne permet pas de traiter efficacement le contentieux de masse.
Une refonte de la « class action à la Française », totalement inefficace, ainsi que la mise en place de sanctions civiles, apparaît nécessaire.

1°) L’utilisation de l’année lombarde dans les contrats de prêt aux particuliers.

Dans de nombreux contrats de prêts il est mentionné que les intérêts sont calculés sur la base d’une année de 360 jours, au lieu de 365 jours. Il s’agit de la pratique bancaire de l’année lombarde.

Les banques utilisent pour le calcul des intérêts deux méthodes :
- soit la méthode du mois normalisé, qui aboutit souvent à une différence de 0,001 % ou 0,002 %. Pour une enveloppe de 200 000 euros prêté l’incidence est de quelques euros,
- soit la méthode dite jour exact/360 où l’incidence est plus importante, pouvant atteindre pour une enveloppe de 200 000 euros quelques dizaines d’euros

Dans un arrêt largement commenté du 19 juin 2013 la Cour de cassation a jugé :

« le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile ».

La sanction de l’utilisation de l’année lombarde était dissuasive : la nullité de la stipulation d’intérêt conventionnel et la substitution par le taux légal.

Juridiquement cette décision apparaissait difficilement critiquable.

Il s’en en néanmoins suivi un lobbying très important du secteur bancaire.

Par ailleurs certaines sociétés peu scrupuleuses se sont saisies d’une partie du contentieux, ce qui a nui à son image auprès des juridictions.

Enfin les juridictions, déjà encombrées, ce sont plaint de l’afflux de ces dossiers.

Pour limiter le nombre de recours il a été imaginé de transposer les règles concernant le calcul du taux effectif global, et notamment l’application de la règle de la décimale : à partir du moment où l’incidence de l’année lombarde sur le taux contractuel était inférieure à une décimale la nullité de la stipulation contractuelle d’intérêts ne devait pas être prononcée.

Cela revient à éliminer la quasi-totalité des dossiers.

Cela signifie que les banques peuvent impunément choisir d’appliquer une année comportant mois de 365 jours, à partir du moment où l’incidence sur le taux contractuel n’est pas supérieure à 0,01.

Or l’encours de crédit à l’habitat est actuellement de 1 143 milliards d’euros en France (source Banque de France, crédit aux particuliers, février 2021).

Si l’on prend 0,003% de cet encours, soit un pourcentage qui reste dans la limite de la « tolérance », l’incidence est de 3,429 milliards d’euros.

Les Banques obtiennent ainsi 3,429 milliards d’euros de bénéfice par le simple jeu d’une clause contractuelle.

L’existence d’une véritable « class action » aurait sans doute permis de régler cette difficulté en incitant les banques à transiger.

2°) Les taux d’intérêts variables indexés sur un indice négatif.

Certains prêts à taux variables étaient indexés sur le Libor ou l’Euribor (il est rappelé que ces deux indices sont amenés à disparaître).

Or depuis 2015 ces indices sont négatifs. Cela entraîne un taux d’intérêt contractuel inférieur à la marge de la banque, voire dans les cas les plus extrêmes à des taux d’intérêts négatifs.

Beaucoup de banque ont refusé d’appliquer ces taux négatifs, fixant le taux contractuel d’intérêt aux taux de base, soit au montant de leur marge, alors même qu’il n’existait pas de taux plancher.

La Cour de cassation aujourd’hui considère que le taux d’intérêt contractuel ne peut pas être inférieur à 0. En revanche il n’existe aucune jurisprudence considérant que la marge de la Banque doit être préservée.

Cependant par ignorance, ou crainte du coût d’un contentieux, très peu de justiciables font valoir leurs droits en justice, ce qui n’incite pas les Banques à changer leur politique.

Là encore le risque contentieux est largement inférieur au gain obtenu en « capant » le taux d’intérêt au montant de la marge.

Par ailleurs certaines juridictions condamnent uniquement les Banques a remboursé le trop-perçu d’intérêt.

Seules des sanctions suffisamment dissuasives devraient être prononcées : la résolution du contrat pour inexécution, lorsque c’est dans l’intérêt du justiciable, ou encore la substitution du taux d’intérêt conventionnel par le taux légal.

3°) Les frais bancaires.

La vérification des frais bancaires est un exercice long et fastidieux.

Rares sont les cas où cette vérification n’entraîne pas une diminution conséquente de ceux-ci : taux d’intérêt appliqué au découvert bancaire trop important, ou n’ayant pas lieu d’être en l’absence de convention de crédit en compte courant, frais injustifiés ou supérieurs au maximum légal…

Malheureusement les personnes qui ont des frais bancaires importants sont souvent en situation délicate, et n’ont pas de moyens suffisants pour se défendre. Ou encore le montant injustifié se noie dans la masse...

Une prise en charge totale des frais de procédure par la Banque permettrait de pallier cette difficulté.

Par ailleurs il pourrait être envisagée une sanction civile, dont le quantum pourrait être fixé par le juge, ayant un objet dissuasif, et dont le montant reviendrait pour partie à l’état et pour partie à la demanderesse.

4°) Les frais de recouvrement.

La déchéance du terme d’un prêt, soit la résiliation par la banque d’un prêt avant son terme, entraîne une multitude de frais : indemnité de résiliation anticipée, majoration du taux contractuel d’intérêt…

Les montants sont souvent de plusieurs milliers d’euros : l’indemnité de résiliation anticipée est habituellement de l’ordre de 7% du capital restant dû, et la majoration contractuelle d’intérêts de 3%.

Ces frais sont prévus à titre de clause pénale. Cela signifie qu’ils ont une double nature : il s’agit à la fois d’inciter l’emprunteur à respecter ses obligations, mais aussi d’indemniser la Banque de son éventuel préjudice résultant de la résiliation anticipée.

Cependant aujourd’hui les taux de refinancement sont extrêmement faibles. Cela signifie qu’en cas de résiliation anticipée d’un contrat de prêt la banque se refinance à un taux souvent moins important que lors de l’octroi initial du prêt. Le maintien du taux contractuel lui permet ainsi d’avoir une marge plus importante que celle prévue initialement et elle ne subit aucun préjudice du fait de la déchéance du terme.

La Banque n’a donc aucune raison d’être indemnisée, ce qui aboutit souvent à la suppression de ces clauses pénales par le juge. Encore faut-il avoir l’idée, et la volonté, de se défendre, ce qui est malheureusement loin d’être majoritairement le cas en raison des obstacles évoqués : frein psychologique, coût…

Lorsqu’une tentative de négociation a été faite et que la banque a refusé de réduire l’indemnité il faudrait qu’en cas de contentieux la Banque soit condamnée à régler l’intégralité des honoraires du demandeur, et non pas une partie de ceux-ci.

5°) Les taux de change.

De nombreux contrats bancaires font intervenir des devises étrangères : contrats de prêts en devise, swaps… Le taux de change retenu dans ces contrats est souvent fixé de façon peu précise. Une vérification des contrats permet de se rendre compte que le taux appliqué n’est pas le taux contractuellement prévu, une marge étant ajoutée par la Banque.

Là encore une amende civile, liée à la prise en charge intégrale des honoraires du demandeur, devrait pouvoir être envisagée, afin d’inciter les Banques à se montrer plus rigoureuse et, pour les dossiers existants, à transiger.

Conclusion.

Il est dommage que le droit français ne contienne pas suffisamment d’outils permettant de traiter efficacement le contentieux de masse, alors même que l’Europe encourage à les mettre en place.

Il est rare pour un citoyen Français de ne pas avoir été confronté un jour à un abus.

Il serait sans doute intéressant que des propositions soient faites dans le cadre des campagnes à venir.

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