Du droit d'être confronté à son accusateur. Par Antonin Péchard, Juriste.

Du droit d’être confronté à son accusateur.

Par Antonin Péchard, Juriste.

781 lectures 1re Parution: 4.97  /5

Explorer : # droit à un procès équitable # droits de la défense # confrontation des témoins

Ce que vous allez lire ici :

Le Pacte international et la Convention européenne garantissent le droit d'interroger des témoins. En cas de non-comparution, des critères stricts doivent être respectés pour assurer un procès équitable. En France, bien que rien ne contraigne la partie civile à comparaître, des mesures doivent être prises pour faciliter la confrontation.
Description rédigée par l'IA du Village

Le droit d’être confronté à son accusateur est un principe bien établi en droit pénal, qui n’a pas pour autant été consacré dans un texte spécifique : il découle, en fait, d’autres grands principes.

-

En droit international, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [1] prévoit à l’article 14.3.e que « Toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit, en pleine égalité […], d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge » [2].

De toute évidence, la notion de « témoin » doit être comprise ici de la même manière que le fait la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (V. infra).

En droit européen, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales prévoit à l’article 6.3.d que « Tout accusé a droit notamment à […] interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge » [3].

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme nous informe sur la portée de la notion de « témoin », qui revêt un sens autonome [4].

La notion vise donc aussi bien les prévenus [5], les victimes [6], les experts [7] que les policiers [8].

La Cour a eu l’occasion de préciser les critères applicables dans le cas où le témoin ne comparaît à l’audience publique [9] :

  • le principe étant que tous les témoins doivent déposer à l’audience [10], il convient à titre préliminaire de vérifier s’il existe des motifs sérieux d’admettre cette absence, quelle que soit l’importance de son témoignage,
  • étant précisé que les États contractants sont tenus de prendre des mesures positives pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge à l’audience [11],
  • ainsi, le témoin qui ne comparaît pas au motif qu’il réside hors du territoire du pays dans lequel se déroule la procédure n’est pas une raison suffisante [12],
  • même si bien entendu l’absence de motif sérieux justifiant la non-comparution d’un témoin ne permet pas de conclure à elle seule au manque d’équité du procès qui doit être appréhendé dans sa globalité [13],
  • à défaut d’absence justifiée au sens de cette jurisprudence, l’accusé doit pouvoir mettre à l’épreuve la sincérité et la fiabilité des dépositions des témoins, en les faisant interroger oralement en sa présence,
  • si la condamnation de l’accusé repose uniquement ou dans une mesure déterminante sur des dépositions de témoins qu’à aucun stade de la procédure il n’a pu interroger, il est alors nécessairement porté atteinte aux droits de la défense dans une mesure excessive : c’est la règle de la preuve unique ou déterminante [14],
  • ainsi, si la déposition d’un témoin n’ayant pas comparu au procès est corroborée par d’autres éléments, l’appréciation de son caractère déterminant dépendra de la force probante de ces autres éléments : plus celle-ci sera importante, moins la déposition du témoin absent sera susceptible d’être considérée comme déterminante [15].
  • dans l’hypothèse de témoignages par ouï-dire ou de témoins déterminants absents à l’audience, les autres garanties procédurales doivent être suffisantes et rigoureusement appliquées (prudence dans la crédibilité des témoignages antérieurs, analyse des éventuelles confrontations pendant l’enquête, existence d’un enregistrement vidéo de l’audition du témoin…) [16], V. pour une application concrète et complète : Schatschaschwili c. Allemagne [GC], 2015, § 113.]].

En droit français, l’alinéa 1ᵉʳ de l’article préliminaire du Code de procédure pénale dispose que « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire […] ».
La Cour de cassation, sous cette disposition, fait application des règles et critères posés par la Cour européenne des droits de l’Homme [17].

Dans un récent arrêt, la Haute juridiction a rappelé que, si aucune disposition du Code de procédure pénale ne permettait de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle, il appartenait néanmoins à cette dernière, à défaut d’une confrontation entre la plaignante et la personne qu’elle met en cause, d’envisager l’ensemble des moyens procéduraux à sa disposition pour permettre cette confrontation (comme la comparution par un moyen de télécommunication) et, si cela s’avérait impossible, de vérifier si l’absence de la partie civile était justifiée par une excuse légitime, en sollicitant les documents justifiant cet empêchement [18].

C’est ainsi que, même en l’absence d’un texte général établissant la garantie du principe selon lequel toute personne poursuivie est en droit d’être confrontée à son accusateur, ce principe découle du droit international et européen applicable en France, dont les règles de procédure corroborent implicitement l’impérieuse nécessité de son respect.

Antonin Péchard
Avocat non-exerçant au barreau de Paris
Juriste à Monaco

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1 vote

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a indiqué que l’État signataire avait l’obligation de donner effet aux droits reconnus dans le Pacte, dans l’ordre juridique interne : 1/ les normes du Pacte doivent être dûment reconnues dans le cadre de l’ordre juridique national. Toute personne ou groupe lésé doit disposer de moyens de réparation ou de recours appropriés ; 2/ les termes du Pacte sont libellés de manière suffisamment claire et précise pour être directement applicables par les tribunaux ; 3/ les tribunaux, dans les limites de l’exercice de leurs fonctions de contrôle judiciaire, doivent veiller à ce que le comportement de l’État soit conforme aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte (Observation générale n° 9, 19e session, 16 novembre et 4 décembre 1998).

[2La Cour de cassation comme le Conseil d’Etat sont régulièrement saisis de moyens fondés sur cette disposition et l’admettent ainsi comme directement invocable devant les juridictions nationales (en derniers lieux : CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 17 oct., n° 443289 et Crim. 5 avr. 2018, n° 16-87.169).

[3Pour un panorama complet, V. Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable (volet pénal), CEDH, mis à jour le 31 août 2022, pp. 95 s.

[4Damir Sibgatullin c. Russie, 2012, § 45 ; S.N. c. Suède, 2002, § 45 : constitue ainsi un témoignage à charge toute déposition susceptible de fonder, d’une manière substantielle, la condamnation du prévenu Kaste et Mathisen c. Norvège, 2006, § 53 ; Lucà c. Italie, 2001, § 41.

[5Trofimov c. Russie, 2008, § 37 ; Oddone et Pecci c. Saint-Marin, 2019, §§ 94-95.

[6Vladimir Romanov c. Russie, 2008, § 97.

[7Doorson c. Pays-Bas, 1996, §§ 81-82.

[8Ürek et Ürek c. Turquie, 2019, § 50.

[9Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], 2011, §§ 119-147 ; Seton c. Royaume-Uni, 2016, §§ 58-59 ; Dimović c. Serbie, 2016, §§ 36-40 ; T.K. c. Lituanie, 2018, §§ 95-96.

[10V. Süleyman c. Turquie, 2020, § 92.

[11Trofimov c. Russie, 2008, § 33 ; Sadak et autres c. Turquie (n° 1), 2001, § 67 ; Cafagna c. Italie, 2017, § 42.

[12Gabrielyan c. Armenia, § 81.

[13Schatschaschwili c. Allemagne [GC], 2015, § 113.

[14En principe, si l’accusation décide que telle ou telle personne est une source d’informations pertinente et qu’elle s’appuiera sur la déposition de celle-ci à l’audience, et si la juridiction se sert de cette déposition pour fonder le verdict de culpabilité, il faut présumer que la comparution et l’audition de ce témoin étaient nécessaires Keskin c. Pays-Bas, 2021, §§ 45, 55-56.

[15Schatschaschwili c. Allemagne [GC], 2015, §§ 116 et 123.

[16Pour un exemple étoffé des facteurs compensateurs recevables, V. Schatschaschwili c. Allemagne [GC], 2015, §§ 126-131.

[17V. par ex., Crim. 13 févr. 2001 : Dr. pénal 2001. Chron. 30 ; Crim. 27 juin 2001, n° 00-87.414 ; 10 mai 2006, n° 05-82.826 ; 20 sept. 2011, n° 11-81.314

[18Crim. 4 avr. 2024, n° 22-80.417 P.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 178 membres, 27640 articles, 127 225 messages sur les forums, 2 800 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• [Enquête] Où en est-on du télétravail chez les juristes et les avocats ?




Publicité

LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs