I- Le droit au logement sain : un droit intégré par l’Union européenne et placé sous la surveillance du juge pénal.
Le droit au logement sain intégré par l’Union européenne dans les ordres nationaux (A) s’est imposée comme l’une des composantes de la dignité humaine. Le juge pénal français garde cette valeur sacrée (B).
A- Le droit au logement sain : un processus d’ancrage sous l’impulsion de l’Union européenne.
L’ancrage du droit au logement sain résulte d’un processus juridico-politique en mouvement constant. Cet objectif poursuivi notamment par les institutions européennes s’est matérialisé par l’intégration croissante de ce droit dans leurs politiques et cadres normatifs.
Au niveau européen, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 18 décembre 2000 [3] met en exergue l’importance du droit au logement. Bien que la compétence principale en matière de logement relève des États membres [4], l’Union européenne a renforcé la prise en compte du logement comme un facteur de santé publique, de cohésion sociale et d’équité. La crise du logement qui sévit dans de nombreuses régions à travers l’Europe a accentué la nécessité d’une intervention commune, visant à garantir l’accès à un habitat décent, salubre et sûr. A ce titre, la Charte sociale européenne entrée en vigueur le 26 février 1965, puis modifiée en 1996 impose aux Etats membres de garantir l’accès à un logement d’un niveau suffisant, défini notamment par la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux (CEDS) autour de critères stricts de décence et salubrité. L’arrêt European Federation of National Organisations Working with the Homeless (FEANTSA) c. France du 17 septembre 2012 universalise le droit de se loger [5]. Egalement, ce même article engage les parties à respecter les critères d’effectivité de l’exercice de ce droit dégagés : les juges du comité européen des droits sociaux [6] ont, entre autres, retenu la promotion d’accès aux logement obéissant à des normes adéquates [7].
Néanmoins, cette décision reste généraliste se contentant, à la lumière des conclusions du gouvernement français notamment [8] d’une définition générale de la notion de "normes adéquates".
C’est l’observation générale n° 4 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui vient préciser ce terme. Ce texte a opté pour une conception très élargie du l’occupation adéquate. Après synthèse de l’ensemble des articles le visant [9], peuvent être relevés les critères suivants :
- La sécurité juridique adaptée au mode d’habitation choisi [10]
- Certains équipements essentiels pour la santé, la sécurité, le confort et l’alimentation [11]
- Un coût accessible avec des Etats protecteurs d’une inflation excessive [12]
- l’habitabilité, terme qui insiste sur la prévention d’intrusion de facteurs externes susceptibles de nuire à la santé et à la sécurité (physique incluse) des habitants : de l’isolation de bâti aux éléments vecteurs de maladies. [13]
- l’inclusion/ ouverture : aux personnes âgées, aux enfants, aux personnes en situation de handicaps physique ou mental temporairement ou de façon permanente ; aux personnes en phase terminale ou séro- positives ; aux victimes de catastrophes naturelles… [14]
- La situation géographique qui induit de lutter contre les déserts ou zones inhabitées ainsi que contre la proximité des lieux à trop forte concentration de pollutions [15]
- La diversité culturelle assurée par une architecture capable de soutenir l’expression de l’identité culturelle et de la diversité des modes de vies ; les architectes doivent aussi penser en termes d’aménagements appropriés à la croissance des nouvelles technologies [16].
La Commission européenne concrétise cet arsenal au niveau national par plusieurs instruments et initiatives : des directives relatives à la qualité des habitats, aux normes environnementales dans la construction, ainsi que des programmes financiers soutenant la rénovation et la lutte contre l’habitat indigne. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a contribué à la jurisprudence en matière de logement, en retenant que l’absence de logement adéquat touche à la dignité humaine protégée par la Convention européenne.
Ainsi, sous l’effet combiné des normes européennes, internationales et des mécanismes judiciaires, le droit au logement sain s’ancre comme un principe structurant des politiques publiques nationales. Cette relation entre pilotage européen, obligations nationales et contrôle judiciaire configure un cadre protecteur, garant du respect de la dignité et de la santé des populations au sein des États membres. Le gouvernement par instruments polymorphes de la Commission européenne tente donc de trouver un équilibre subtil entre incitation et invitation.
L’évolution de la soft law vers des dispositifs contraignants puis la sauvegarde de l’autonomie respective des Etats a le mérite de leur rappeler que la dignité et l’inclusion font partie intégrante de l’Humanité, autre pilier fondamental depuis les premiers pas de la construction de l’Union européenne.
En France, le choix a été la confiance sous surveillance du juge pénal.
B- Le juge pénal, gardien du droit à un logement sain.
Le rôle du juge pénal se révèle fondamental comme garant du respect effectif de ce droit, notamment lorsque les manquements des propriétaires ou autorités mettent en danger la santé et la sécurité des occupants. L’intervention judiciaire pénale est notamment mobilisée pour sanctionner les pratiques constitutives de mise en danger, les conditions d’insalubrité graves, ou les fraudes ayant des conséquences sanitaires.
Cette prérogative trouve son essence dans l’élévation de la sauvegarde de la dignité humaine au rang de principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (décision fondée sur le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946). Par une décision du 27 octobre 1994, les sages sont allés plus loin, précisant sa portée utile à son application concrète. Ainsi, ce jugement est le premier d’une série de jurisprudences visant la caractérisation progressive de la "protection de la personne humaine". il s’est d’abord agi de lutter contre "toute forme d’asservissement et de dégradation" [17] ; avant, de consacrer l’accès au logement, entre autres, composante de la dignité humaine : "la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle" (19 janvier 1995 et 29 juillet 1998). La Cour d’appel de Paris a entériné la position du droit d’accès à un logement décent à celle d’attribut du principe de la sauvegarde de la dignité humaine (CA Paris, 19 janvier 1998) [18] pour finalement favoriser l’entrée en vigueur de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) [19].
Ce principe de la sauvegarde de la dignité humaine est codifié. Ainsi, les infractions le violant sont-elles visées par le Code pénal (V. tableau ci-dessous).
Peines encourues pour violation des conditions d’hébergement protectrices de la dignité humaine (tableau inspiré de celui de l’ANIL) :

Il est important de relever quelques observations figurant dans la note rendue par l’ANIL [20] :
- Sur les peines (d’emprisonnement et/ou pécuniaire) : la juridiction de jugement applique l’article 132-24 du CP et la décision [21] qui invitent à la personnalisation de la sanction prononcée. La personnalité de l’auteur doit être prise en compte. En tout état de cause, la nature de la peine, son quantum, son régime concilient la préservation effective de la société ; la punition du condamné prévoyant son projet de réinsertion pour lutter contre le risque de récidive ; et les intérêts des victimes [22].
- Sur la pratique : le juge a tendance à prononcer une peine d’une sévérité plus importante lorsque l’auteur interjette appel. Cependant, la clémence reste de mise puisque globalement, la sanction prononcée reste en deçà des peines maximum proposées par l’arsenal légal. Cette indulgence n’exclut pas le prononcé fréquent de peines complémentaires [23] et de Valenciennes [24] (publication d’extraits de jugements dans la presse)/ Tr. correctionnel de Nice [25]. Par ailleurs, il n’est pas rare de rencontrer des situations dans lesquelles l’auteur a commis plusieurs infractions : la soumission de plusieurs personnes en situation de vulnérabilité ou de dépendance à des conditions d’habitation incompatibles avec la dignité humaine / le refus sans motif légitime d’exécuter les mesures prescrites par l’arrêté municipal de péril/ le non respect de mauvaise foi de l’interdiction d’habiter et le refus de reloger ou d’héberger les occupants de l’immeuble/ délit d’exposition d’autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente par violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement [26]. Enfin, la note conclut sur une priorisation d’application du principe d’opportunité donnée par le Parquet face aux affaires simples [27].
Ce contentieux montre donc une évolution législative ainsi qu’une pratique des juges en adéquation avec une volonté citoyenne de replacer la dignité au cœur des dynamiques sociétales. Le fait que la sévérité s’accentue davantage en appel indique une clémence non démentie manifestée lors du premier jugement contradictoire. La place des victimes surtout en situation de (grande) vulnérabilité ne saurait être sacrifiée sur l’autel de la mauvaise foi, tel que le montrent les décisions précitées.
II- Une mise en pratique favorable à l’équilibre des responsabilisations du propriétaire et du locataire.
Le Code de la santé publique dans une logique préventive mise sur une responsabilisation partagée (A). Cette dynamique souhaite mobiliser l’initiative même face à certains fléaux afin de parvenir à l’autonomie de chacun (B).
A- Le rôle préventif du Code de la santé publique : une responsabilisation partagée.
Le cadre fixé par le Code de la santé publique (CSP) promeut une logique de prévention axée sur la santé des occupants du logement, renforcée par les évolutions législatives récentes, notamment par la loi Elan du 23 novembre 2018. Cette dernière a donné un nouveau souffle à la définition et à la protection du logement décent, en intégrant explicitement dans ses critères l’absence d’infestation d’espèces nuisibles et parasites. L’obligation qui en découle pour le bailleur est non seulement de fournir un logement en conformité, mais d’engager aussi une action rapide dès qu’une infestation est constatée (article 6 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi Elan).
Le CSP (Code de la santé publique), à travers ses articles sur l’insalubrité (notamment L1331-22 et L1331-23), établit des normes minimales d’hygiène et de sécurité sanitaire. Le premier définit les logements impropres à l’habitation qui mettent en péril la santé physique ou mentale des locataires, causés en partie par des infestations non traitées adéquatement. L’article L1331-23 du CP énumère les composantes de lieux d’habitation insalubre :
« Ne peuvent être mis à disposition aux fins d’habitation, à titre gratuit ou onéreux, les locaux insalubres dont la définition est précisée conformément aux dispositions de l’article L1331-22, que constituent les caves, sous-sols, combles, pièces dont la hauteur sous plafond est insuffisante, pièces de vie dépourvues d’ouverture sur l’extérieur ou dépourvues d’éclairement naturel suffisant ou de configuration exiguë, et autres locaux par nature impropres à l’habitation, ni des locaux utilisés dans des conditions qui conduisent manifestement à leur sur-occupation. »
Par ce mécanisme, la loi confère aux bailleurs une responsabilité préventive forte, mais insiste aussi sur une vigilance de la part des locataires, placés en co-responsabilité pour assurer l’entretien courant du logement. Cette responsabilisation partagée sert de fondement à un équilibre entre droits et devoirs.
La HAS (Haute Autorité de Santé) joue un rôle souvent méconnu mais primordial dans cette chaîne de prévention et d’accompagnement. La HAS élabore des recommandations de bonnes pratiques destinées aux professionnels intervenant dans le secteur médico-social et social, dont ceux qui accompagnent les populations vulnérables dans leur habitat. Elle œuvre pour la sensibilisation aux risques sanitaires liés à l’habitat dégradé et à la gestion des nuisibles, et pour la coordination des acteurs (services sociaux, bailleurs, ARS, médecins du travail) afin d’anticiper et d’atténuer ces risques dans le cadre d’un parcours global de santé environnementale.
Sa recommandation relative à l’accompagnement vers et dans l’habitat par les professionnels des ESSMS [28] vise les bonnes pratiques à appliquer pour parvenir à l’habitat inclusif. Ce document [29] porte une attention particulière aux seniors, réfugiés, aux personnes ayant un fonctionnement psychique différent [30], et les Brain injury Survivor [31]. Les auteurs ont articulé leurs propos autour de trois volets :
-* Sensibiliser la personne aux enjeux de l’habitat et construire la coordination entre acteurs
- Accompagner la personne dans l’élaboration/construction de son projet d’habitat
- Accompagner la personne vers l’autonomie dans son habitat.
Au fil des 80 pages, plusieurs thèmes sont abordés liés à la liberté du choix du mode d’habitat des publics précités. Celle-ci trouve son premier fondement dans le droit du respect à la vie privée [32]. Cette notion recouvre notamment le droit à l’intimité qui fait partie des droits civils. Depuis 1995, il figure au rang des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, il résulte d’une construction jurisprudentielle. Cette intimité est l’un des prérequis du "se sentir chez soi" [33].
Afin d’approcher cet idéal dans les zones urbaines fortement exposées à ces phénomènes, des structures publiques et parapubliques - comme les Agences Régionales de Santé (ARS) ou les services municipaux d’hygiène - jouent un rôle déterminant dans la surveillance sanitaire de l’habitat. Ils alertent les parties concernées et peuvent ordonner des mises en conformité. Le préfet peut aussi, par arrêté, déclarer un logement insalubre, ordonner des travaux de remise en état, voire interdire l’habitation. Ces mesures contraignent les bailleurs à une prévention active, assoient la responsabilité des locataires dans l’entretien, et garantissent un cadre exécutoire du principe de protection sanitaire collective.
Cette approche de prévention collective est également renforcée par les articles 7d) de la loi Elan, qui organise la collaboration entre propriétaires et syndicats de copropriété dans le cas où l’infestation affecterait les parties communes. Le syndic a, dans ce cas, le pouvoir de prendre des mesures d’urgence sans attendre l’aval unanime de l’assemblée générale, et les coûts des interventions sont répartis selon le règlement de copropriété. Cette organisation témoigne du caractère collectif et systémique de la prévention sanitaire dans l’habitat, essentielle à la maîtrise des risques sanitaires et à la préservation de la qualité de vie des occupants.
Enfin, cette approche légale et administrative trouve son prolongement dans l’action des comités de quartier, associations de locataires ou d’habitants, qui participent à une politique locale d’information, de prévention et de mobilisation. Ces actions visent notamment à éviter la stigmatisation des occupants des logements dégradés, encourager leur participation à la remise aux normes, et promouvoir un entretien courant qui prévient la dégradation progressive du bâti.
En pratique, les acteurs nationaux et locaux sont chargés de veiller à des règles favorables à l’autonomisation de chaque interlocuteur de cette relation d’habitat interdépendante, dans son cadre de vie.
B- Des règles d’habitat encourageant l’autonomie de chacun : l’exemple de la lutte contre les nuisibles.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Elan du 23 novembre 2018, le cadre juridique français impose au bailleur l’obligation de fournir un logement exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites, renforçant ainsi le critère de décence initialement défini en 1989. Cette exigence vise à protéger la santé et la tranquillité des occupants tout en engageant une solidarité d’action entre propriétaires et locataires dans la gestion des risques sanitaires.
Me Rouland, dans son analyse doctrinale, (Voir l’article La désinsectisation du logement n’est pas une réparation locative) rappelle que la responsabilité de la désinsectisation incombe principalement au bailleur, en tant que garant de la jouissance paisible et salubre du logement. Ce devoir, fondé sur l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, ne peut être transféré au locataire, sauf en cas de faute avérée de ce dernier, particulièrement liée à un défaut d’entretien. La jurisprudence constante, illustrée notamment par un arrêt majeur de la Cour d’appel de Bordeaux du 9 mai 2014, confirme cette obligation du bailleur, qui doit assumer les coûts des traitements, notamment la main d’œuvre, garantissant ainsi l’autonomie du locataire face aux aléas liés aux nuisibles.
Cependant, ce principe n’est pas absolu. En effet, dans un arrêt du 28 octobre 2010, la Cour d’appel de Chambéry [34] a jugé qu’un locataire doit supporter le coût de la désinsectisation de son logement infesté de punaises, dès lors que la présence de ces nuisibles résultait d’un état de saleté imputable à la négligence du preneur. Cette décision souligne que la responsabilité du locataire peut être engagée lorsqu’il est prouvé que l’infestation est la conséquence directe d’un défaut d’entretien ou d’une insouciance.
Par ailleurs, le cas récent d’un étudiant bordelais exposé à une infestation massive de cafards, rapporté par F. Noury, illustre les difficultés pratiques rencontrées par les occupants malgré la mise en œuvre rapide de traitements professionnels par le bailleur [35]. Ce cas met en lumière le besoin d’une coopération renforcée entre bailleurs, locataires et syndics pour garantir un habitat sain et digne, renforçant le principe d’autonomie et la responsabilité partagée.
Ainsi, à travers l’articulation des normes européennes, nationales et de la jurisprudence, le droit au logement sain s’impose comme un principe fondamental alliant dignité et santé publique. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment à travers son article 34, souligne l’importance d’un habitat accessible et décent pour tous, tandis que la loi Elan et le Code de la santé publique en assurent la mise en œuvre concrète sur le territoire français.
L’exemple de l’infestation de cafards illustre comment un manquement dans l’initiative individuelle peut porter atteinte à la qualité du "vivre chez soi", principe pourtant enraciné dans une dynamique collective et partagée. Ce phénomène malheureusement croissant pourrait ainsi être perçu comme une expérience singulière qui, sous réserve d’une coordination renforcée, guiderait progressivement vers l’idéal prôné par la Haute Autorité de Santé (HAS) en matière d’habitat : une autonomie individuelle à géométrie variable.


