L’heure semble être aux leçons [3] ; elle l’est encore à l’action. L’action normative ? Sans aucun doute. D’où peut-être quelque paradoxe à s’interroger, en titre, sur la désactivation du droit (des droits devrions-nous peut-être plutôt dire), alors que plus de 800 textes ont été adoptés depuis la fin du mois de janvier 2020 pour faire face à la crise sanitaire et économique liée à l’épidémie de Covid-19 [4]. Une « fièvre administrativo-normative » [5] s’est indéniablement emparée de nous. Le droit d’urgence est activé.
Restriction ou interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, confinement à domicile, mise en quarantaine, placement et maintien en isolement, fermeture des établissements recevant du public, limitation ou interdiction des rassemblements et réunion, réquisition des biens et services, mesures (temporaires) de contrôle des prix, mesures limitant la liberté d’entreprendre sont autant de mesures dérogatoires du droit commun pouvant être engagées [6]. Avec la réduction de l’activité des tribunaux aux « contentieux essentiels » [7], la prolongation automatique des détentions provisoires esquintant l’Habeas corpus, la pénalisation du non-respect des règles de confinement, le recours aux drones pour assurer des missions de police ou bien encore les réflexions autour des outils de collecte des données personnelles, la tension sécuritaire est palpable. Nos libertés et droits fondamentaux sont malmenés par l’état d’urgence. L’État de droit « mis en quarantaine » [8] ? Bon nombre de nos droits fondamentaux sont temporairement désactivés.
Mais « il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux » [9]. En période exceptionnelle, droits-créances (les « droits à », à la santé, à la sûreté) et droits-libertés (« droits de », d’aller et venir, de se réunir, d’entreprendre) sont bousculés, au nom de l’intérêt général. L’ordre public sanitaire est consolidé. La théorie des circonstances exceptionnelles, ces « circonstances particulières de l’espèce » [10] justifient pourtant l’adaptation de notre système normatif. La dimension collective l’emporte sur la sphère individuelle. L’insécurité sanitaire réactive le pacte social. Le « Léviathan juridique » [11] interpelle sur les exigences fondamentales du Contrat social. L’état d’urgence conduit à une nouvelle forme de régulation des rapports sociaux. Et, dans cette perspective, l’instauration des régimes dérogatoires du chômage partiel, des arrêts de travail, de la prise en charge des frais de santé, l’instauration d’un fonds de solidarité ou bien encore la mise en place d’une garantie des prêts bancaires par l’État amènent à reconsidérer l’État providence.
Nécessité fait loi. Les mesures adoptées doivent néanmoins être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances, de temps et de lieu [12]. Elles le sont dans le seul but « de mettre fin à la catastrophe sanitaire » et il doit y être mis fin « sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires » [13]. Par nature provisoire, ce flux doit laisser place à un reflux du droit [14]. Le droit de l’état d’urgence n’a, par nature, pas vocation à être pérennisé. Il doit pouvoir être désactivé et les droits réactivés. Il doit n’être qu’un procédé de gouvernement et de gestion, pour permettre aux pouvoirs publics de faire face au danger, à l’urgence. La législation d’exception, prudentielle, devra être retirée, sans que, pour l’instant, nul ne sache en prévoir ni le moment, ni le moyen. Nul ne sait, non plus, ce qu’il restera de l’urgence [15].
C’est précisément le constat et la conviction de ce nécessaire reflux du droit de l’urgence sanitaire qui a conduit le Sénat à « rejeter les contraintes excessives » du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire [16] (échec de la commission mixte paritaire réunie le 25 juin 2020) : « le retour progressif à la normale doit s’accompagner de mesures strictement proportionnées aux circonstances sanitaires. Or, le texte du Gouvernement présente des dispositifs qui, sans l’assumer clairement, reconduisent les principales mesures de l’état d’urgence sanitaire. » [17]
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Discussions en cours :
C’est un peu mon "cheval de bataille" durant ces périodes de confinement et déconfinement.
Une loi de 2010 interdit de se dissimuler le visage, de manière à ne pas être reconnu. C’est une contravention.
Or, les médecins préconisent ce port du masque, et si possible des masques d’une certaine caractéristique (ce qui bannit a priori les visières transparents, qui peuvent laisser passer des fines ou micro-goutelettes pouvant contenir le virus).
Il faut donc qu’une autorisation légale, ou au moins réglementaire, en autorise le port.
Une autre solution pourrait consister en l’adoption d’une circulaire de la Chancellerie demandant à ce que les Ministères publics ne répriment pas ces infractions durant ces périodes.
Or, il n’en est rien : les lois d’urgence sanitaire et les décrets n’ont en rien envisagé cette incongruité juridique (qui va à l’encontre de l’intention des textes adoptés).
Le ministre de l’intérieur de se permet de répondre au Journal du Dimanche que le port du masque n’est pas une infraction pénale ! Et bien, si, justement ! Et c’est dommage que sur un sujet aussi crucial, le gouvernement ne donne pas de directive précise...
Merci pour vos observations.
Il est exact que la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022911670&dateTexte=20200515 prévoit que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage » (art. 1er) et que la méconnaissance de cette interdiction est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe (art. 3).
Néanmoins, l’article 2, II, de cette même loi prévoit des motifs légitimes permettant de s’exonérer. Ainsi, l’interdiction « ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ».
La circulaire du 11 mars 2011 relative à la présentation des dispositions relatives à la contravention de dissimulation du visage dans l’espace public (Circ. min., 11 mars 2011, NOR : JUSD1107187C, BOMJ n° 2011-03 du 31 mars http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSD1107187C.pdf) indique d’ailleurs que « les raisons de santé peuvent, par exemple, justifier le port de bandages ».
Dans le contexte actuel, sauf peut-être le cas de l’article R. 645-14 du Code pénal https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000020775356&cidTexte=LEGITEXT000006070719&dateTexte=20090621, il semble peu probable que les parquets engagent des poursuites en raison du port du masque pour limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19. Gageons que cela suffise à limiter les risques de poursuite !