Peu de mentions.
Après étude, la déception guette. L’article 1302-3 du Code civil apparaît fort peu dans les jurisprudences d’appel sur du contentieux prud’homal.
La première raison est que cette disposition a été créée en 2016 - l’ancien article 1377 du Code civil d’avant la réforme de 2016 ne prévoyait pas une telle disposition - ce qui limite forcément le nombre de jurisprudences potentielles aux jurisprudences récentes.
La deuxième raison est que peu de cas s’y prêtent. En effet, pour qu’il soit pertinent d’évoquer l’article 1302-3 du Code civil, il faut qu’il y ait un indu. Comme il n’y a aucune raison que le salarié verse trop d’argent à l’employeur, il reste donc le cas où l’employeur a trop versé au salarié. Or, en cas de procédure prud’homale, c’est généralement l’inverse qui se produit, le salarié soutenant, à tort ou à raison, n’avoir pas reçu suffisamment d’argent de la part de l’employeur. Notons également que l’employeur a la possibilité, s’il constate un trop-payé, de se servir lui-même en retenant les sommes sur les salaires à venir, à condition néanmoins de ne pas réduire de plus d’un dixième la rémunération.
Toutefois, en parcourant les quelques dizaines d’arrêts d’appel (aucun arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation n’y fait référence), on voit plusieurs types de cas où cette disposition est soulevée par le salarié face à un employeur ayant trop versé. Le premier type, majoritaire, et de loin, concerne la question du forfait jours. En cas de nullité ou d’inopposabilité de la convention de forfait-jours prononcée par le juge, l’employeur est bien fondé à solliciter le remboursement des salaires dus au titre des jours de repos forfait-cadre [1]. Et donc, plusieurs salariés ont tenté, en excipant de l’article 1302-3 du Code civil, de faire échec, au moins partiellement, à ce remboursement. D’autres cas apparaissent, notamment lors du cas du payement du salaire lors de l’arrêt maladie, où le décompte des cotisations peut être complexe, ou encore une erreur sur l’indemnité de licenciement économique, surestimée.
Très peu d’acceptations.
Encore plus désolant, parmi les quelques dizaines d’arrêts où cet article est évoqué, bien peu donnent une issue favorable à cette évocation. On en compte en tout et pour tout... trois [2]. Voyons le bon côté des choses, le faible nombre d’arrêts permet d’en faire une recension exhaustive détaillée.
Un premier arrêt sur le forfait jours [3].
Mme B., licenciée pour faute grave, sollicite du Conseil de prud’hommes diverses sommes et notamment des dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait jours, tandis que l’employeur sollicitait reconventionnellement le remboursement des jours de RTT indus. Le Conseil ayant rejeté toutes les demandes, Mme B. interjette appel, tandis que l’employeur fait appel incident. La cour d’appel relève que l’employeur a été défaillant dans son suivi, que, si la salariée ne demande que "des dommages et intérêts pour exécution déloyale de cette convention", l’employeur, quant à lui "se prévaut expressément de l’absence d’effet de cette convention pour fonder sa demande reconventionnelle de paiement". La cour d’appel, après avoir rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme B. qui ne prouvait pas son préjudice, et admis que la convention était privée d’effet en l’absence de suivi de la charge de travail, rejette néanmoins, au visa de l’article 1302-3 du Code civil, la demande de l’employeur.
Quelques observations :
- A mon avis, la cour d’appel est allée plus loin que ce que laissait possible le texte, qui parlait de réduction, et non de suppression. Il est d’ailleurs intéressant de constater que des parties demandent au juge, dans diverses affaires, de réduire à 1€, et non de supprimer, le montant à restituer.
- Cet arrêt me semble être le cas typique d’un arrêt d’espèce. Il est fort rare que ce soit l’employeur qui se prévale de sa propre turpitude pour solliciter l’absence d’effet d’une convention, et en face, la salariée ne formulait même pas de demande reconventionnelle découlant de cette absence d’effet, comme des heures supplémentaires ou une indemnité pour travail dissimulée. En outre, la cour d’appel confirme en tous points la décision de première instance, c’est-à-dire n’octroie rien à la salariée. Il n’est pas absolument impossible que la cour d’appel n’ait pas voulu démesurément aggraver le sort de la salariée sur son appel principal.
Deuxième arrêt, sur un maintien de salaire post-licenciement [4].
Mme V. travaille pour une société ; elle est représentante du personnel. Elle tombe malade, puis est déclarée inapte. L’employeur la licencie en juin 2017, puis lui envoie un courrier prétendant annuler son licenciement, et saisit l’Inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement. S’ensuivent divers contentieux. Le salaire est payé par l’employeur jusqu’en mai 2019. La salariée, de son côté, poursuit l’indemnisation de son licenciement dont elle sollicite la nullité, sans toutefois demander la réintégration. La cour d’appel est saisie reconventionnellement d’une demande de répétition des salaires versés entre juin 2017 et mai 2019.
La cour d’appel confirme le rejet de la répétition des salaires au motif que :
« Le choix de continuer à payer les salaires de la salariée ne procède pas d’une faute en soi compte tenu du statut de salarié protégé qui risquait d’entraîner une demande de réintégration en cas de licenciement nul ou une demande de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur. En revanche, est fautif le fait pour l’employeur de demander la restitution alors qu’il n’a pas mis en mesure la salariée d’être indemnisée par Pôle emploi, faute, pour lui, d’avoir délivré les documents de fin de contrat. Dès lors, faire droit à la demande de répétition formée par l’employeur, reviendrait à priver rétroactivement la salariée de toute rémunération pendant tout le temps où son salaire a été maintenu ».
On peut se demander si la cour d’appel n’a pas appliqué de travers l’article 1302-3 du Code civil.
D’abord, elle déboute totalement la société de sa demande, alors que l’article 1302-3 du Code civil ne prévoit que la réduction.
Mais surtout, alors que l’article 1302-3 du Code civil indique que la réduction peut être effectuée si le paiement procède d’une faute, la cour d’appel prend soin de souligner que le payement n’était pas fautif, tout en décidant d’appliquer la disposition de l’article 1302-3 du Code civil au motif que demander la répétition était fautif, alors que ce cas n’était pas évoqué par l’article 1302-3 du Code civil.
Là encore, on est dans un arrêt d’espèce, le cas de l’employeur qui, ayant licencié n’importe comment un salarié protégé, tente d’"annuler" unilatéralement le licenciement qu’il a lui-même prononcé et maintient le salaire, étant quand même assez rare.
Troisième arrêt sur un trop-perçu à cause d’une erreur dans le taux de cotisations [5].
Mme W. a bénéficié d’un trop-perçu, à cause d’une erreur de l’employeur, qui avait appliqué un mauvais taux de cotisations. Après la rupture conventionnelle, l’employeur garde certaines sommes. Mme W. assigne en justice et réclame la réduction de la créance de son employeur à la somme de 1€ symbolique, et une somme au titre des dommages et intérêts. Le Conseil fait droit à sa première demande et rejette l’autre. L’employeur fait appel, Mme W. sollicite ses dommages et intérêts en appel.
La cour d’appel juge que l’appelante a « appliqué une exonération de cotisations à une situation qui ne correspondait pas, sans justifier d’aucun élément qui l’aurait induite en erreur. Informée par les services de l’Urssaf, elle n’a pas pris de mesure pour modifier les prélèvements et les rendre conformes, poursuivant les paiements erronés à la salariée et augmentant ainsi progressivement le montant de la créance totale de l’indu jusqu’à la fin de l’année 2015 ».
La cour réduit donc la créance initiale de 5 022,65€ à 2 000€ au visa de l’article 1302-3 du Code civil, et condamne l’employeur à verser à Mme W. 2 000€ au titre du préjudice engendré par les difficultés financières dues aux retenues que l’employeur s’était abstenu de signaler par anticipation à Mme W. lors des négociations de la rupture conventionnelle.
On relèvera dans cet arrêt que la cour d’appel, non seulement ne supprime pas la répétition de l’indu, mais en plus la réduit dans des proportions qui laissent encore un montant significatif à payer. En effet, on pourrait s’interroger sur le fait de savoir si une réduction à 1€ symbolique serait appréciée par la Cour de cassation, qui s’est déjà montrée sourcilleuse sur le principe des sommes symboliques [6]. Mais cela n’empêche pas astucieusement la cour de réformer la décision du Conseil en octroyant des dommages et intérêts, qui se montent - est-ce un hasard ? - aux 2 000 euros qu’il restait à payer à l’employeur. Une annulation totale, c’est contra legem, mais laisser 2 000 euros à restituer et octroyer des dommages et intérêts souverainement estimés à 2 000 euros, c’est parfaitement legit !
Conclusion.
Manifestement, cette nouvelle disposition, créée lors de la réforme de 2016, n’a recueilli, en droit du travail tout au moins, ni l’intérêt des avocats ni celui des juges.
Au-delà d’une infime poignée de cas d’espèce assez tordus, elle n’a pas trouvé son public. Espérons que ce manque d’engouement soit dû uniquement à sa relative jeunesse et croisons les doigts pour que les acteurs juridiques puissent en voir l’utilité et s’en saisir.