Le Traitement des antécédents judiciaires (« TAJ ») est un sujet sensible qui touche à la fois aux droits et libertés fondamentaux des citoyens et aux obligations de l’État en matière de protection des données personnelles. Ce fichier recense des informations sur des millions de personnes. Mais il peut avoir des conséquences directes sur la vie professionnelle et personnelle de chacun, notamment en cas d’erreurs ou d’informations obsolètes. Le 17 octobre 2024, c’est la Commission National de l’Informatique et des Libertés (ci-après « CNIL ») qui rappelait à l’ordre le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer ainsi que le ministère de la Justice pour leur mauvaise gestion du fichier de traitement des antécédents judiciaires, après avoir relevé des données inexactes, incomplètes, obsolètes ou recueillies sans l’aval des intéressés [1]. Raisons pour lesquelles certaines personnes sont fondées à demander leur effacement du TAJ. Mais comment faire ?
I. Qu’est-ce que le TAJ ?
Né le 1ᵉʳ janvier 2024 de la fusion de deux fichiers : le STIC (Système de traitement des infractions constatées) et le JUDEX (système judiciaire de documentation et d’exploitation), le TAJ est un fichier de police judiciaire utilisé lors des enquêtes judiciaires, administratives et certaines enquêtes de renseignement. Il contient des informations personnelles étendues sur les personnes mises en causes ou victimes dans le cadre d’enquêtes pénales, allant des crimes les plus sévèrement réprimés à des contraventions de faible gravité. Son champ d’application apparaît ainsi particulièrement étendu.
Le fichier TAJ est principalement réglementé par les textes suivants :
- La loi n°78-17 du 6 janvier 1978 - Informatique et libertés ;
- Le Code de procédure pénale : articles 230-6 à 230-11 (fichiers d’antécédents) ;
- Le Code de procédure pénale : articles R40-23 à R40-34. I.
Dans le cadre d’enquêtes judiciaires, il est utilisé pour le constat des infractions, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. Dans le cadre des enquêtes administratives, il est utilisé dans le cadre de recherches de renseignements à propos de la personne concernée, notamment en vue de l’évaluation du risque ou de l’incompatibilité d’une personne avec certains emplois publics ou sensibles ou encore pour l’examen de demandes d’obtention de la nationalité française.
Les informations enregistrées dans le fichier sont recueillies dans les situations suivantes, indépendamment du fait que l’individu concerné soit auteur ou victime, condamné ou non) :
- Enquête pour un crime, un délit ou certaines contraventions de la cinquième classe (trouble à la sécurité ou la tranquillité publique, atteinte aux personnes, aux biens ou à la sûreté de l’État) ;
- Recherches des causes de la mort ou de blessures graves ou d’une disparition inquiétante.
II. Qui peut consulter le TAJ ?
Les personnes habilitées à consulter le TAJ diffèrent selon que les recherches sont effectuées dans le cadre d’une enquête judiciaire ou administrative.
Dans le cadre d’une enquête judiciaire, les professionnels suivants, individuellement désignées et spécialement habilitées, peuvent consulter le TAJ : agent de police national, militaire de la gendarmerie nationale, agent de la douane judiciaire, agent des services judiciaires, magistrat chargé du TAJ, ainsi que les magistrats du parquet.
Les informations obtenues par ces derniers peuvent être communiquées à tout autre agent de l’État ayant une mission de police judiciaire, tout magistrat instructeur, organisme de coopération internationale en matière judiciaire (comme par exemple Eurojust) et tout service de police étranger concerné par une affaire internationale ou transnationale en cours.
Dans le cadre d’une enquête administrative, les personnes suivantes, individuellement désignées et spécialement habilitées, peuvent consulter le TAJ : personnel de la police et de la gendarmerie, agent des services de renseignement, agent du service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), agent du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (CoSSeN), personnel de la préfecture ou agent du conseil national des activités privées de sécurité.
Les informations obtenues peuvent être communiquées à tout organisme de coopération internationale en matière de police judiciaire ou tout service de police étranger.
Toutefois, dans le cadre d’une enquête administrative, les informations susceptibles d’être consultées sont réduites. En effet, il n’est pas permis de consulter des informations sur une victime ou sur une personne mise en cause qui a bénéficié d’une décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Il en est de même en cas de condamnation avec dispense de peine, de condamnation avec dispense de mention au casier judiciaire ou absence d’inscription pénale au bulletin n°2 du casier judiciaire.
III. Qui est inscrit au TAJ ?
En novembre 2024, le fichier du TAJ contenait des informations sur 24 millions de personnes [2], contre 18,9 millions en 2018 [3], soit plus d’un tiers de la population française. Qui sont ces personnes inscrites au TAJ ?
Des informations sont contenues dans le TAJ à propos des personnes suivantes [4] :
- Personne mise en cause comme auteur ou complice d’un crime, d’un délit ou de certaines contraventions de 5ᵉ classe (trouble à la sécurité ou à la tranquillité publique, atteinte aux personnes, aux biens ou à la sûreté de l’État). Il doit exister des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer à la commission des infractions mentionnées à l’article 230-6 du Code de procédure pénale ;
- Victime de ces infractions ;
- Personne faisant l’objet d’une enquête pour la recherche des causes de la mort, de blessures graves ou d’une disparition inquiétante [5].
IV. Que contient le TAJ ?
Le TAJ contient des informations bien plus étendues que celles figurant dans le casier judiciaire ou que certaines bases de données plus ciblées telles que le FNAEG [6].
Tout d’abord, des informations relatives à l’affaire sont enregistrées, telles que les faits et l’objet de l’enquête, les dates de l’infraction, le mode opératoire, des données et images relatives aux objets, y compris celles qui permettent d’identifier indirectement ou indirectement les personnes concernées.
S’agissant des personnes mises en cause comme complice ou auteur d’une infraction, les informations suivantes sont enregistrées : son identité, ses surnoms et alias, sa situation familiale, sa filiation, sa nationalité, ses adresses postales et mail, ses coordonnées téléphoniques, sa situation professionnelle, des photos du visage de face et autres photos et toute autre information sur l’état de la personne (comme le fait qu’il soit mineur isolé ou sans domicile fixe).
Les mêmes informations sont disponibles pour une personne liée à la recherche de la cause suspecte d’un décès ou d’une disparition, en plus de la photo du visage de face des personnes disparues ou le corps non identifié.
S’agissant des victimes d’une infraction, concernant les personnes physiques, seules sont mentionnées son identité, ses dates et lieu de naissance, sa nationalité, sa situation familiale, ses adresses postales et mail, son numéro de téléphone et sa profession.
À propos des personnes morales victimes d’une infraction, les informations mentionnées sont les suivantes : raison sociale, enseigne commerciale, sigle, forme juridique, IRCS, lieu du siège social, secteur d’activité, adresses, adresses de messagerie électronique et numéros de téléphone.
V. Combien de temps sont conservées les informations au TAJ ?
S’agissant des personnes majeures mises en cause comme auteur ou complice d’une infraction, la durée générale de conservation des données est de 20 ans. Elle peut être réduite à 5 ans pour certains délits et contraventions de cinquième classe de faible gravité comme un délit routier ; mais peut être portée à 40 ans pour les crimes les plus graves (enlèvement, séquestration ou assassinat par exemple).
S’agissant des personnes mineures mises en cause, la durée générale est de 5 ans. Là encore, cette durée peut varier selon la gravité de l’infraction reprochée, mais ne peut dépasser 20 ans pour les crimes les plus graves.
En cas de décision définitive d’acquittement ou de relaxe, les informations sont effacées sauf dans l’hypothèse où le procureur de la République décide de les maintenir. Il doit toutefois en informer la personne concernée [7].
En cas de de non-lieu ou de classement sans suite, les informations font l’objet d’une mention, sauf décision d’effacement du procureur de la République [8].
Dans d’autres cas tels que la condamnation avec dispense de peine ou dispense de mention au casier judiciaire, le procureur décide de leur maintien ou de leur effacement [9].
S’agissant des personnes victimes d’une infraction, la durée de conservation des données est de 15 ans. Toutefois, elles peuvent demander l’effacement de son inscription dans le TAJ dès que l’auteur de l’infraction fait l’objet d’une condamnation définitive.
S’agissant des personnes liées à la recherche de la cause suspecte d’un décès ou d’une disparition, leurs données sont conservées jusqu’à la résolution de l’enquête.
À l’issue des délais mentionnés, l’ensemble des données figurant sur le TAJ sont automatiquement effacées.
VI. Comment accéder au TAJ et comment faire rectifier ou effacer sa fiche ?
A. Peut-on accéder à sa fiche TAJ ? Comment faire pour accéder à sa fiche TAJ ?
Tout justiciable dispose d’un droit d’information concernant les informations mentionnées à son sujet dans le TAJ. En effet, le ministère de l’Intérieur doit prendre des mesures raisonnables afin de fournir aux personnes concernées toute information prévue par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 telles que les finalités poursuivies par le traitement de leur donner, ainsi que leur droit de demander leur rectification, leur effacement ou leur limitation.
Aux termes de l’article 230-8 du Code de procédure pénale, le traitement des données à caractère personnel enregistrées dans le TAJ est opéré sous le contrôle du procureur de la République. Il est compétent pour traiter les demandes d’effacement ou de rectification, qu’elles soient d’office ou à la demande de la personne concernée.
Pour rappel, dans certains cas, comme une décision définitive d’acquittement ou de relaxe, les informations sont effacées sauf décision du procureur. En cas de non-lieu ou de classement sans suite l’inverse s’opère : les informations continuent de faire l’objet d’une mention sauf décision expresse du procureur.
Dans les autres cas susmentionnés, tels que la condamnation avec dispense de peine ou dispense de mention au casier judiciaire, le procureur décide de leur maintien ou de leur effacement.
En l’absence de décision définitive, le requérant ne pourra former sa demande que lorsque ne figure plus aucune mention de nature pénale dans le bulletin n°2 de son casier judiciaire, sous peine d’irrecevabilité de sa requête.
B. Comment faire modifier sa fiche TAJ ? Comment faire effacer sa fiche TAJ ?
Les décisions d’effacement ou de rectification des informations prises par le procureur de la République sont portées à la connaissance de l’intéressé, ainsi qu’à celle des responsables de tous les traitements automatisés pour lesquels ces mesures ont des conséquences.
Dès réception de la demande d’effacement, le procureur de la République dispose de deux mois pour y répondre. Dans l’hypothèse dans laquelle il ne se prononce pas dans ce délai, une décision implicite de rejet naîtra, et sera susceptible de recours.
En cas de refus, les décisions du procureur de la République sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris dans un délai d’un mois à compter de l’envoi de la décision de refus. Il peut exercer son recours par lettre recommandée avec accusé de réception ou par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction.
Il est utile de préciser que ce recours devient caduc si le procureur de la République territorialement compétent ou le magistrat référent fait droit à la demande de l’intéressé.
Enfin, la durée totale de la procédure d’effacement ne doit pas être excessive sous peine d’engager la responsabilité de l’état. Si tel est le cas, le justiciable est susceptible d’obtenir une réparation du préjudice moral lié à une situation prolongée d’incertitude quant à la conservation ou l’effacement des données personnelles contenues dans le TAJ. Dans une affaire traitée par le Tribunal des conflits, la procédure introduite par le requérant avait duré plus de cinq ans : en conséquence, la responsabilité de l’État était engagée, et une indemnité de 2 000 euros devait lui être versée [10].
En résumé, toute personne inscrite au TAJ peut en demander l’effacement, sous réserve de satisfaire les conditions énoncées. Dans ce cas, il est conseillé de prendre conseil auprès d’un avocat afin d’améliorer ses chances d’effacement et de faire suivre son dossier pour un professionnel du droit.