[Droit OHADA] L’effet dans le temps du sursis à exécution sur les mesures conservatoires et d’exécution déjà pratiquées.

Par Roger Iragi Magayane, Avocat. 

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Explorer : # voies d'exécution # sursis à exécution # sécurité juridique

Le point fondamental de l’arrêt n°177/2025 de la CCJA est l’établissement de l’intangibilité de l’acte d’exécution consommé face au sursis : celui-ci a un effet strictement prospectif et ne peut annuler la saisie déjà réalisée, car le « risque du créancier » visé par l’Article 32 AUPSRVE [1] ne déclenche la responsabilité objective qu’en cas de réformation du titre au fond. Cette protection est strictement encadrée : si la Cour modère les annulations par l’exigence d’un « grief » pour les vices de forme conformément à l’article 1-16 AUPSRVE, elle maintient la sanction impitoyable de la caducité conformément à l’article 160 AUPSRVE pour le défaut de diligence du créancier, notamment l’omission de dénonciation dans les délais. En définitive, cette jurisprudence garantit l’efficacité des voies d’exécution contre le risque du sursis, tout en rappelant que la validité de l’acte reste entièrement subordonnée à la rigueur procédurale absolue du créancier dans l’accomplissement des formalités subséquentes.

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Le droit des procédures simplifiées de recouvrement dans l’espace OHADA repose sur les principes d’efficacité, de célérité et de sécurité juridique. L’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE) est l’instrument central qui régit la mise en œuvre des droits des créanciers. Ce texte énumère la liste des titres exécutoires [2] et encadre l’exécution provisoire [3] qui autorise le créancier à poursuivre l’exécution « aux risques » de celle-ci, avant même que le titre ne soit définitif. Toute contestation relative à l’exécution, qu’elle porte sur le fond, la forme ou les incidents, relève de la compétence exclusive du Juge de l’Exécution [4].
Le problème juridique central, véritable nœud gordien du droit processuel OHADA, émerge lorsque le débiteur, usant de ses voies de recours, parvient à obtenir une décision de sursis à exécution (défense à exécution) après qu’une mesure d’exécution forcée, telle que la saisie-attribution de créances, ait déjà été pratiquée. La question est de savoir si l’effet translatif de propriété produit par l’acte de saisie, instantané et irrévocable, est anéanti rétroactivement par cette suspension ultérieure. Cette tension fondamentale, qui oppose la stabilité des actes juridiques consommés à la précarité du titre exécutoire provisoire, a été tranchée de manière définitive par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) dans son Arrêt N° 177/2025 du 22 mai 2025 [5]. Cette jurisprudence, rendue dans l’affaire opposant la Société Coopérative de Planteurs de Palmiers à Huile d’Irobo (COPPI COOP-CA) à la société SUNU Assurances IARD Côte d’Ivoire, est d’une importance capitale pour la pratique des affaires en zone OHADA. Son analyse approfondie sera menée en deux temps, en étudiant, dans un premier temps, la consécration du principe de l’intangibilité de l’acte d’exécution face à l’intervention tardive du sursis, avant d’examiner, dans un second temps, les conditions strictes et les véritables causes de sanction qui encadrent la sécurité juridique de l’exécution forcée.

I. La consécration de l’intangibilité de l’acte juridique accompli : le refus de la rétroactivité du sursis.

Le cœur de la décision de la CCJA réside dans la protection de la force juridique de l’acte d’exécution dès l’instant où celui-ci est accompli. La Cour refuse catégoriquement qu’un événement procédural postérieur puisse anéantir un effet translatif de propriété déjà réalisé, même si le titre exécutoire initial était de nature précaire.

A. L’impact temporel limité du sursis à exécution : principe ex nunc.

L’intervention de la CCJA dans ce litige est justifiée par l’Article 14 du Traité OHADA [6], qui lui confère la compétence exclusive pour connaître de l’interprétation et de l’application des Actes Uniformes. En cassant la décision de la Cour d’appel qui avait ordonné la mainlevée des saisies en raison du sursis, la CCJA a réaffirmé sa fonction de régulateur suprême, garant de l’uniformité juridique en matière de voies d’exécution.
L’analyse de la Cour est centrée sur le mécanisme de la saisie-attribution de créances. Ce mécanisme est régi par l’article 157 de l’AUPSRVE [7], qui lui confère un effet attributif immédiat. En effet, dès la signification de l’acte au tiers saisi (généralement une banque), le créancier saisissant est déclaré propriétaire de la créance. C’est le principe de la double-fonctionnalité de l’acte de saisie : il est à la fois conservatoire (rendant le fonds indisponible) et translatif (opérant le transfert de propriété au profit du créancier, sous condition résolutoire). L’acte de saisie est donc « consommé » à cet instant.
L’ordonnance de sursis, intervenue postérieurement, est par essence une mesure provisoire visant à suspendre la poursuite de l’exécution forcée [8]. La CCJA est formelle : une décision de suspension ne produit d’effet que pour l’avenir, c’est-à-dire ex nunc (dès maintenant). Elle est une défense à exécution qui n’a d’incidence que sur les actes non encore accomplis. Conférer un effet rétroactif (ex tunc) à l’ordonnance de sursis reviendrait à annuler, par ricochet, un transfert de propriété régulièrement opéré. La Cour rejette cette interprétation, protégeant ainsi la stabilité des relations contractuelles et la confiance des tiers saisis (les banques), qui ne sauraient voir leurs engagements (indisponibilité des fonds) annulés par une décision procédurale tardive.

B. Clarification du régime de responsabilité objectif : le « risque du créancier » (art. 32, al. 2).

La défense du débiteur reposait principalement sur une interprétation extensive de l’article 32, alinéa 2 de l’AUPSRVE, qui dispose que l’exécution provisoire est poursuivie « aux risques du créancier » [9]. Le débiteur prétendait que ce risque entraînait l’invalidation ipso facto des actes en cas de sursis ou de réformation du jugement.
La CCJA, fidèle à sa jurisprudence, clarifie la portée de cette disposition. Le risque du créancier ne constitue ni une cause de nullité ni une condition de validité de l’acte de saisie. Il s’agit d’un mécanisme de responsabilité civile d’ordre public et de nature objective qui ne se déclenche que si le titre exécutoire est ultérieurement réformé ou annulé au fond.

L’objectif de cette clause est double :

  • Dissuader le créancier d’engager des exécutions manifestement abusives ou fondées sur un titre fragile.
  • Garantir au débiteur une réparation intégrale du préjudice causé par l’exécution (frais, indisponibilité des fonds) si le titre initial disparaît.

L’ordonnance de sursis n’étant pas une réformation ou une annulation du titre au fond, elle ne peut enclencher le régime de responsabilité. Le sursis n’affecte pas la régularité formelle de l’acte d’exécution, mais seulement son poursuite. La distinction est capitale : la précarité porte sur le titre qui fonde l’exécution, non sur l’acte de saisie qui la réalise. Une fois la saisie-attribution consommée, elle est intangible face à tout événement postérieur, à l’exception de la disparition définitive du titre lui-même par une décision au fond.

C. La logique téléologique de l’exécution provisoire : équilibre entre célérité et justice.

La position de la CCJA est dictée par la logique téléologique (finalité) de l’exécution provisoire dans l’espace OHADA : garantir la célérité du recouvrement pour le créancier sans compromettre les droits du débiteur. Si la simple obtention d’un sursis entraînait l’anéantissement de l’acte de saisie-attribution, cela viderait l’exécution provisoire de sa substance.
Le créancier serait contraint de recommencer la procédure de saisie après la levée de la suspension, permettant au débiteur d’organiser son insolvabilité pendant ce laps de temps. La CCJA évite cet effet dilatoire, assurant l’effectivité du droit du créancier tant que le titre n’a pas été jugé erroné par la juridiction du fond. L’ordonnance de sursis est donc un simple ajournement procédural, et non une cause d’extinction de l’acte de saisie. L’intangibilité de l’acte consommé est le prix à payer pour l’efficacité du droit OHADA.

II. L’encadrement de l’intangibilité : les seules sanctions de l’inexécutable et la rigueur procédurale.

Bien que l’acte d’exécution soit protégé contre le sursis postérieur, son intangibilité n’est pas absolue. La CCJA, en statuant au fond par voie d’évocation, a rappelé que l’acte est sanctionné uniquement par des vices procéduraux graves, en distinguant clairement les nullités sans grief des caducités pour défaut de diligence.

A. Le principe « pas de nullité sans grief » (art. 1-16 AUPSRVE).

Le débiteur, SUNU Assurances IARD, avait soulevé un ensemble de moyens tirés de vices de forme (imprécision du siège social, omissions de reproduction d’articles de loi) visant à obtenir la nullité des actes de saisie.

La CCJA a rejeté l’ensemble de ces moyens, confirmant la primauté du principe de la modération des nullités, désormais consacré par l’article 1-16 de l’AUPSRVE :

« La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver qu’il a subi un grief du fait de l’inobservation de la formalité ou du défaut d’une mention sur un acte » [10].

Ce principe, d’inspiration fortement procédurale, met fin à une longue tradition de formalisme excessif qui minait l’efficacité des procédures dans l’espace OHADA [11]. Désormais, l’irrégularité formelle ne suffit pas. Le débiteur doit démontrer que le vice a causé un préjudice réel et démontré affectant ses droits de la défense.

La CCJA a notamment relevé :

  • L’absence de grief : l’appelante avait pu valablement exercer ses voies de recours, prouvant que le défaut n’avait pas affecté sa défense.
  • La distinction des destinataires : l’omission de mentions destinées au tiers saisi (Art. 38, 156, 170) ne peut être invoquée par le débiteur comme cause de nullité, car ces omissions ne lui causent aucun grief direct.

La Cour confirme ici que le juge doit privilégier la substance de l’acte sur sa forme, à moins que l’atteinte aux droits du débiteur ne soit manifeste.

B. La sanction implacable de la caducité : défaut de dénonciation (art. 160 AUPSRVE).

La seule faille fatale relevée dans la procédure du créancier est la caducité d’une saisie pratiquée auprès de NSIA Banque. La CCJA réaffirme ainsi que l’intangibilité de l’acte d’exécution ne protège pas contre la négligence procédurale du créancier.
L’article 160 de l’AUPSRVE [12] impose au créancier de dénoncer l’acte de saisie-attribution au débiteur dans un délai impératif de huit jours. La CCJA maintient une distinction capitale entre la nullité et la caducité, distinction déjà établie dans sa jurisprudence antérieure [13]. La nullité sanctionne un vice de fond ou de forme soumis au principe du grief ; la caducité, en revanche, est la sanction automatique et de plein droit d’une omission de formalité subséquente effectuée dans un délai légal, sans qu’il soit nécessaire de prouver un quelconque grief.
Le non-respect du délai de huit jours pour la dénonciation entrave le droit de contestation du débiteur devant le juge de l’exécution. La CCJA a logiquement conclu que, puisque la saisie du 23 mai 2024 n’avait pas été dénoncée dans le délai légal, elle était frappée de caducité et devait être levée, même si le sursis n’avait pu l’atteindre. Le Droit OHADA fait du respect des délais de procédure un impératif d’ordre public, garantissant un contrôle de légalité rapide par le juge d’exécution.

C. Le rejet de l’abus de droit en l’absence de faute caractérisée.

La CCJA a également statué sur la demande de dommages-intérêts pour saisies prétendument abusives formulée par SUNU Assurances IARD. La Cour a confirmé le rejet de cette demande, se fondant sur deux critères cumulatifs :
Légitimité de l’action : les mesures ont été entreprises sur le fondement d’un jugement exécutoire, attestant de la légitimité du créancier à agir.
Absence de faute caractérisée ou de préjudice prouvé : Le Juge de l’exécution avait relevé l’absence de toute faute caractérisée ou d’intention de nuire de la part du créancier, ainsi que l’absence de pièce justifiant l’existence d’un préjudice subi (comme une perte d’opportunité ou une rupture de crédit).
La jurisprudence CCJA est constante : l’exercice du droit d’exécution provisoire n’est pas, en soi, constitutif d’abus de droit, sauf s’il est entaché d’une faute lourde ou d’une intention malveillante [14]. Le risque d’exécution de l’article 32 al.2 couvre le préjudice subi par le débiteur en cas de réformation du titre au fond, mais le préjudice moral ou commercial lié à un abus de procédure doit être prouvé selon les règles du droit commun de la responsabilité.

D. La Sécurité Juridique et l’Encouragement du Marché des Affaires.

L’ensemble de la jurisprudence de l’Arrêt N° 177/2025 révèle une finalité macroéconomique claire : l’encouragement de la sécurité des transactions et de l’investissement dans l’espace OHADA. La CCJA donne un signal fort aux créanciers et aux acteurs économiques :
Aux créanciers : vous êtes protégés contre les manœuvres dilatoires basées sur la suspension (sursis), mais vous devez être méticuleux dans l’accomplissement des actes subséquents (dénonciation dans le délai légal) sous peine de caducité.
Aux tiers saisis : le transfert de propriété opéré par la saisie-attribution est stable et irrévocable face à un événement postérieur comme le sursis. Vous pouvez exécuter l’ordre du créancier en toute confiance dès que le titre est exécutoire.
Cette doctrine favorise la confiance dans le système judiciaire et minimise le risque juridique associé au recouvrement, un facteur essentiel pour l’attractivité des places financières de la zone.

Conclusion.

L’arrêt n° 177/2025 de la CCJA s’impose comme une pierre angulaire du droit processuel OHADA. Il a définitivement résolu la question de l’effet dans le temps du sursis à exécution sur les actes déjà consommés, affirmant de manière péremptoire le principe de la non-rétroactivité du sursis et l’intangibilité de l’acte de saisie-attribution dûment pratiqué. L’acte est protégé non seulement contre le sursis, mais également contre les tentatives d’annulation basées sur un formalisme vain suite au principe « pas de nullité sans grief ».
Toutefois, cette protection est assortie d’une exigence de diligence procédurale absolue. La caducité de la saisie pour défaut de dénonciation dans le délai de huit jours (Art. 160 AUPSRVE) démontre que la CCJA maintient une vigilance rigoureuse quant au respect des délais d’ordre public. En conséquence, l’intangibilité de l’acte n’est pas un blanc-seing, mais une récompense pour la régularité de fond et de forme, contrastant avec la sanction automatique de l’inertie du créancier. Cet équilibre subtil consolide l’efficacité des voies d’exécution tout en préservant les droits de la défense du débiteur.

Roger Iragi Magayane
Avocat au Barreau du Nord-Kivu/RDC
Cabinet Magayane & Associés
Chercheur en Droit OHADA
rogermaga2013 chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE).

[2OHADA, Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE), Article 33.

[3OHADA, AUPSRVE, Article 32.

[4OHADA, AUPSRVE, Article 49.

[5CCJA, Arrêt N° 177/2025 du 22 mai 2025, Affaire : Société Coopérative de Planteurs de Palmiers à Huile d’Irobo (COPPI COOP-CA) c/ Société SUNU Assurances IARD Côte d’Ivoire.

[6OHADA, Traité, Article 14.

[7OHADA, AUPSRVE, Article 157.

[8OHADA, Droit et Pratique du Recouvrement et des Voies d’Exécution (Texte commenté, Jurisprudence annotée), Éditions JURIAFRICA, 2024-2025, pp.112-115

[9OHADA, AUPSRVE, Article 32, alinéa 2.

[10OHADA, AUPSRVE, Article 1-16.

[11CCJA, TCC, Jug. ADD N°19/19/CSJ/TCC du 28 novembre 2019.

[12OHADA, AUPSRVE, Article 160.

[13CCJA, Arrêt n°247/2018 du 29 novembre 2018.

[14CCJA, Arrêt n°027/2005 du 07 avril 2005.

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