L’éloge de la magistrature civile : entre vocation noble et défis contemporains.

Benoit Henry,
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel ,
Barreau de Paris,
Président du Réseau Récamier,
Membre de Gemme-Médiation.
bhenry chez recamier-avocats.com

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Explorer : # magistrature # carrière juridique # relations magistrats-avocats # justice équitable

L’expérience professionnelle de magistrat est perçue par une partie de l’opinion comme une sorte de garantie de sérieux et d’honnêteté. Cette reconnaissance publique témoigne de la grandeur d’une fonction qui incarne, au quotidien, les valeurs fondamentales de notre République.
La magistrature civile représente l’un des piliers essentiels de notre État de droit. Par leur mission de dire le droit et de trancher les litiges entre les citoyens, les magistrats rendent la justice au nom du peuple français, assumant ainsi une responsabilité d’une gravité exceptionnelle.
Cette noble fonction exige non seulement une expertise juridique remarquable, mais également des qualités humaines exceptionnelles : impartialité, intégrité, courage et dévouement.
Toutefois, cette mission s’accompagne de défis considérables. Les contraintes matérielles, la charge de travail croissante et les délais judiciaires constituent autant d’obstacles à l’exercice serein de cette fonction.
Cet article est un éloge à ces professionnels du Droit qu’en tant qu’avocat, je côtoie au quotidien.

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Il y a l’héroïsme spectaculaire, qui est bien souvent l’honneur de l’humanité, mais il y a aussi l’héroïsme de l’ombre, celui qui est vécu dans l’anonymat du quotidien. C’est précisément cet "héroïsme de l’ombre" qui caractérise le quotidien des magistrats civils, œuvrant dans la discrétion pour garantir l’accès de tous à une justice équitable.
La vocation demeure ainsi le moteur essentiel de cette carrière exigeante, où l’engagement au service de l’intérêt général transcende les difficultés matérielles et les contraintes institutionnelles. C’est cette dimension vocationnelle qui confère à la magistrature civile sa grandeur et sa légitimité.

La carrière de magistrat ne peut s’embrasser que par vocation.

I- Le magistrat incarne l’autorité judiciaire.

Il rend la justice au nom du peuple français, tranche les litiges et sanctionne les infractions. Juge du siège ou magistrat du parquet, il est le gardien des libertés publiques et de l’ordre social. Dire le droit, protéger les libertés, garantir la paix sociale : le magistrat exerce une mission d’intérêt général au cœur de la démocratie. Sa décision peut changer une vie, réparer une injustice, protéger la société.

Le magistrat est le gardien de l’État de droit. Sa mission transcende l’exercice quotidien : il protège les libertés fondamentales, garantit l’égalité devant la justice et maintient la cohésion sociale par l’application équitable de la loi.

Le magistrat doit rendre la justice sans considération de personne, dans le respect strict de la loi.
Il doit faire abstraction de ses opinions personnelles et de toute pression extérieure.

Le jeune maître en droit sort de l’ENM, il décide d’être magistrat.
Il choisit de consacrer sa vie à juger les autres, à les condamner le plus souvent, à les frapper dans leurs biens, dans leur honneur, dans leurs relations familiales.
Il désire recevoir, sur les hommes, un pouvoir qui dépasse l’humain. Ses intentions sont droites et ses mobiles purs.

Il ne recherche pas l’argent, ni la considération du monde.
La situation du magistrat est modeste. L’échelle des traitements est en faible pente, mais ces échelons sont nombreux et lents à gravir.
Mais, dans les profondeurs de son être, il a entendu un appel impérieux.
Oui, c’est cela la carrière de magistrat ne peut s’embrasser que par vocation.

Je ne puis en proposer un plus haut éloge.

II- Le magistrat et l’avocat collaborent à l’œuvre de justice.

Ils ont un rôle essentiel à jouer dans l’édification de l’œuvre de justice et d’une communauté de juristes plus forte, plus compétitive, et répondant aux besoins contemporains des usagers du droit.

Les magistrats et les avocats forment une seule et même famille, la grande famille judiciaire. Le public discerne mal leurs rôles et les détails de leurs robes. Il les englobe dans un même jugement, élogieux ou critique.

Qu’une défaillance se produise dans un de leurs corps, tous en sont atteints dans l’opinion publique et tous ensemble, solidaires, ils en souffrent. Par-delà les opinions internes, leur robe les recouvre d’une même solidarité. Ils ont le même culte du juste et du vrai et ils professent les uns envers les autres, une estime véritable et profonde. Ils collaborent à l’œuvre de justice. Tous sont les bons serviteurs de la justice.

À l’audience, chaque avocat plaide avec chaleur et sa conviction est mieux que feinte, chacun des avocats croit à sa thèse et même à son client. C’est, gronderait Pascal, qu’ils sont bien payés par avance ; n’en croyez rien, c’est une calomnie. Accusez plutôt un défaut de l’esprit, il se persuade, il s’aveugle, il ne voit que les points forts du dossier et chacun a les siens. Sans doute le faut-il afin de bien plaider.

Et encore les avocats s’échauffent, ils s’opposent, ils s’emportent, ils en viennent aux mots durs. Le demandeur affirme et le défendeur nie, le premier démontre et le second réfute. L’un et l’autre enflent et exagèrent parfois.
L’avocat s’échauffe à la barre, il n’écoute la thèse adverse que pour la réfuter.

Sur le siège, le juge écoute sans broncher deux thèses opposées pour les départager.
Et c’est un travail si différent du sien que l’avocat en méconnaît les difficultés.

Le jugeant sur son travail public, l’on dit facilement du magistrat qu’il travaille peu.
N’en croyez rien et fuyez la carrière, si vous y cherchez l’oisiveté. Il n’émerge du travail du juge que quelques heures d’audience. Mais ces heures épuisent l’attention, surtout elles sont précédées par l’étude des dossiers. Et encore, le magistrat doit-il faire oraison, méditer, tous dossiers refermés sur le mérite des thèses adverses, peser celui-ci au poids des textes.

Il prolonge le législateur en le disant, lui aussi, il crée le droit.
Un tel travail, même s’il demeure dans l’ombre, est noble et fécond.

Cependant, le magistrat n’est pas infaillible.
La justice le reconnaît puisqu’elle assure des recours qui s’échelonnent jusqu’à la Cour de cassation.
Au demeurant, un conseiller à la Cour est censé détenir une vérité plus certaine que le juge qu’il censure.
Hiérarchie dans la vérité qui serait étonnante si elle n’était fondée sur l’âge, le mérite, le savoir, l’expérience !
C’est ainsi que la vérité judiciaire se poursuit.

Avoir le droit pour soi, en vérité, ce n’est pas tout. Ce qu’il faut, c’est que le juge vous rende raison, c’est le juge qu’il faut « tirer à soi ». L’avocat n’y parvient seulement par des motifs de droit. L’avocat doit s’acquérir l’estime et la confiance du juge « pour avoir l’oreille du juge ». Il doit être clair et bref, connaître son dossier. Si la plaidoirie est longue, c’est que la préparation a été courte. Être sobre, c’est un moyen d’être agréable au juge.

L’avocat doit chercher à se mettre à la place du juge, lui-même connaît son dossier mais le juge ne l’apprend souvent qu’à l’audience par les plaidoiries et j’admire souvent qu’il y parvienne. Il sera donc reconnaissant de la clarté de l’avocat. Cela oblige l’avocat à dégager les lignes directrices, à mettre en lumière l’argument essentiel.

Juger requiert une tournure d’esprit très particulière, une intelligence pénétrante, un jugement droit qui ne s’infléchit ni pour entériner ni pour contredire.
L’attention doit être solide et calme.

Le magistrat est évidemment avant tout un bon juriste, mais il doit aussi être doté d’une bonne capacité d’analyse et de synthèse, disposer d’une certaine autonomie, être dans l’échange et ne pas craindre de prendre des décisions le moment venu.

Le magistrat doit évidemment être un bon juriste. Après tout, on attend de lui qu’il puisse résoudre les litiges qui lui sont soumis, en choisissant les bonnes règles de droit et en les appliquant correctement. Le bon magistrat n’est toutefois pas celui qui connaît par cœur tout le droit et toute la procédure  ! C’est la raison pour laquelle, malgré l’immensité du programme de révisions du concours de l’ENM, les candidats ne doivent pas se donner pour objectif de tout voir ni de tout apprendre par cœur. L’objectif serait inatteignable et, pire encore, risquerait de décourager les candidats.

Le bon magistrat doit en revanche impérativement savoir effectuer des recherches, dans ses codes mais également en utilisant les nombreux outils numériques qui sont aujourd’hui mis à sa disposition. Il est impensable, en effet, de passer à côté d’une règle de droit importante ou d’un revirement de jurisprudence décisif  !

Le magistrat doit aussi, de toute évidence, être capable de comprendre toute règle de droit, même celles qui ne lui sont pas familières. Pour cela, il doit avoir une excellente maîtrise de la langue française et en particulier de la langue juridique, en étant un fin interprète. Il doit ainsi connaître les règles d’interprétation de la loi et savoir démêler les textes qui sont aujourd’hui, on le sait, de plus en plus techniques, voire parfois abscons.

Enfin, tout juge doit avoir un minimum de bon sens. Il doit être conscient que son travail, de nature purement intellectuelle, va avoir une incidence pratique immédiate puisque la règle qu’il aura choisie sera concrètement appliquée par les parties qui devront s’y soumettre.

Bref, plus qu’une connaissance abyssale de la matière, le bon magistrat est plutôt celui qui possède une fine maîtrise des outils qui permettront d’accéder à la résolution du litige qui lui est soumis – recherche, analyse et synthèse, interprétation, sens commun.
L’activité principale d’un magistrat réside naturellement dans l’analyse de dossiers, qui peuvent parfois être assez volumineux. Il faut donc être à l’aise avec cet exercice de lecture qui peut s’avérer parfois quelque peu fastidieux.

Mieux vaut être capable de lire vite, car le temps pour traiter les dossiers est souvent compté. Il faut également détecter facilement les données essentielles, en faisant abstraction des éléments de moindre importance. Cette activité de synthèse est en effet déterminante. Autrement dit, le magistrat efficace est celui qui est à l’aise avec l’exercice de la note de synthèse, d’où sa présence et son importance aux concours.

Le magistrat doit avoir une certaine autonomie. En effet, chaque semaine il prépare seul ses dossiers, en vue de l’audience. Sa première tâche consiste à prendre connaissance d’un dossier qu’on lui aura attribué, en lisant les différents éléments qu’il contient et en prenant quelques notes. Une fois ce premier travail achevé, il entame la phase des recherches, toujours de manière autonome, avant de dégager la solution qui lui semble la plus pertinente. Vient enfin la phase d’écriture  : il faut savoir expliquer la démarche poursuivie et soumettre une proposition de rédaction de jugement. Il faut donc avoir une certaine aptitude au travail solitaire, voire apprécier la solitude.

Cette autonomie le conduit à devoir organiser lui-même son travail. Il doit donc être un minimum organisé et avoir une discipline personnelle fiable. Mais, lorsque tel est le cas, cela confère une certaine liberté d’organisation qui peut être très appréciable.
L’autonomie du magistrat ne doit pas l’empêcher d’apprécier le travail en équipe puisqu’au moment des échanges avec le greffe, avec les parties ou encore avec ses collègues, le juge doit savoir écouter l’autre. Il doit ainsi être à l’écoute d’un éventuel point de vue différent. Il doit être dans une relation de dialogue et savoir ne pas imposer sa manière de penser.

Il doit aussi porter une attention particulière aux parties et à ce qu’elles peuvent lui communiquer. Ainsi, il faut savoir mettre ses opinions personnelles de côté.

Juger est un acte collégial qui doit dépasser la personnalité de chacun.

Le juge tranche les litiges qui lui sont soumis. Il faut donc être doté de la capacité de mettre fin à un débat, parfois difficile, parfois sensible, pour prendre une décision, sans être par la suite rongé par les remords  ! Il faut savoir adopter une position d’autorité, lorsque par exemple le président de chambre tranche un débat ou une position d’humilité adaptée aux circonstances.

En outre, la décision finalement retenue devra être fondée en droit et en fait, inscrite dans son contexte, empreinte de bon sens et exécutable. Elle devra être motivée, formalisée, expliquée. Le magistrat doit être capable de prendre en compte l’environnement institutionnel national, mais aussi international.  Aujourd’hui, on peut même attendre de lui qu’il innove.

III- Toutefois, la mission du magistrat s’accompagne de défis considérables.

Les contraintes matérielles, la charge de travail croissante et les délais judiciaires constituent autant d’obstacles à l’exercice serein de cette fonction. Les magistrats font face à une surcharge chronique de dossiers qui impacte la qualité du service rendu et génère un stress considérable.

Devant le juge, l’on ressent parfois une crainte référentielle. Cet homme ou cette femme vit comme vous et moi.
Aucun signe ne le distingue du passant. Mais, dès qu’il a revêtu sa robe, qu’il a pris place au siège, le voici qui dispose de la liberté et de l’honneur qui inculpent, qui arrêtent, qui condamnent, qui tranchent des ménages, dispersent les enfants, partagent des héritages.
Le soir, il reprendra sa place, à la table de la famille.
Mais alors, certains s’interrogent, ils doutent, ils révisent en eux-mêmes les sentences qu’ils ont rendues et parfois, ils les regrettent ; leur pouvoir formidable les tourmente et les use, ce sont les plus dignes d’entre les magistrats.
Le juge doit demeurer distant. On doit même accepter de lui qu’il soit susceptible.
S’il permet des amitiés, il interdit les familiarités. Le juge ne peut tolérer que l’on plaisante de la justice, elle est son œuvre, sa fierté, sa vie. L’honneur de juger, c’est le plus clair de son patrimoine.

Sans doute, la robe de conseiller ou le ruban soulignent de rouge quelques réussites parfaites.
Mais, la pyramide est étroite et ses degrés sont nombreux.
Les échelons sont lents à gravir.
Combien y parviennent et surtout combien n’y parviennent pas et achèvent leur carrière dans un tribunal retiré, une carrière sans éclat, mais non pas sans mérite.

Ces lignes ont laissé, je le veux, transparaître mon estime respectueuse pour les magistrats de France.

Benoit Henry,
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel ,
Barreau de Paris,
Président du Réseau Récamier,
Membre de Gemme-Médiation.
bhenry chez recamier-avocats.com

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