Métiers du Droit : vivons-nous une "Grande démission" ?

Métiers du Droit : vivons-nous une "Grande démission" ?

Christophe ALBERT
Rédaction du Village de la Justice

3047 lectures 1re Parution: Modifié: 1 commentaire 4.86  /5

Les difficultés de recrutement sont constatées par tous. Les déséquilibres qui préexistaient lors de la période Covid sont toujours là, mais plus criantes encore sont les impossibilités de pourvoir certains postes, par manque de candidats ou par décalage des offres d’emploi et de stages face à leurs attentes.
Connaissons-nous alors cette fameuse "grande démission" dans le monde juridique ?

-

La "Grande Démission" est le nom donné à un phénomène qui serait de grande ampleur de démissions professionnelles, qui a commencé aux États-Unis à partir de juillet 2020, à la suite de la pandémie de Covid-19, lorsque des millions d’Américains insatisfaits de leur travail ou de leur salaire ont quitté leur emploi. Cela a touché la France ensuite, les métiers de la restauration et du commerce en première ligne comme nous le savons tous, mais bien d’autres secteurs aussi, dans les services notamment et pour des raisons diverses.
On en trouve une "explication de comptoir" dans les propos des recruteurs et candidats, "les gens ne veulent plus travailler" d’un côté, "on ne veut plus travailler à n’importe quel prix et n’importe où" de l’autre.

La grande démission existe-t-elle vraiment ?

Selon l’étude « La France vit-elle une Grande démission ? » publiée par la Dares [1] en août 2022, entre fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a en effet atteint un niveau élevé : 520 000 par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. « Le taux de démission est élevé mais il n’est pas inédit », tempère la Dares dans sa note de synthèse, ce niveau ayant déjà été atteint lors de la crise des subprimes de 2008.

Très concrètement, est-ce un départ massif ? Non. Le nombre de démissions peut être rapporté à celui des salariés. Ainsi, le taux de démission atteint "seulement" 2,7 % en France au 1er trimestre 2022 :

Graphe : Dares

La Dares commente ainsi le phénomène et sa réalité :

"Le niveau élevé des démissions est à relativiser, au vu des tensions actuelles sur le marché du travail. Les difficultés de recrutement sont à des niveaux inégalés dans l’industrie manufacturière et les services, et au plus haut depuis 2008 dans le bâtiment. Cette situation crée des opportunités pour les salariés déjà en poste et est susceptible en retour de conduire à des démissions plus nombreuses."

"Cette hausse des démissions est liée à un marché du travail particulièrement dynamique. Notre économie crée beaucoup d’emplois, le taux de chômage baisse, les réserves de main d’œuvre baissent et les opportunités pour les salariés augmentent car les employeurs vont de plus en plus chercher des candidats déjà en poste" selon Michael Orand, Chef de la mission d’analyse économique de la Dares et co-auteur de la note.

"La situation est donc de plus en plus favorable aux salariés. Les entreprises le disent, elles ont du mal à recruter, et doivent donc proposer des niveaux de rémunération plus élevés pour attirer les candidats. C’est un phénomène classique lorsque le marché du travail est dynamique. Il n’est pas spécialement lié à la crise Covid."

Le marché juridique est-il touché par le phénomène ?

Indubitablement. Selon une enquête du Village de la Justice en mai 2022, seuls 10% des recruteurs estiment trouver tous les profils qu’ils recherchent, et 56% trouvent la situation... catastrophique.
Et de fait le nombre de CVs disponibles a fondu de moitié en un an [2]. L’attentisme est constaté par tous, et les attentes des candidats semblent avoir évolué, ce qui n’est pas le cas de la majorité des profils de postes proposés (prise en compte du télétravail, description des équipes et perspectives, attractivité et valeurs de l’entreprise qui recrute, etc).

Soyons clairs, après des années de prospective sur le sujet, c’est fait : de profondes mutations se sont opérées dans le rapport des jeunes générations au travail, à l’entreprise et à l’avenir. Ceci dans tous les domaines d’activités mais il n’y a aucune raison que cela ait épargné les métiers du droit.
Les voies toutes tracées ne le sont plus, ou sont moins attractives, les conditions de travail (transport, télétravail, équipes, formation, intégration dans le projet de l’entreprise, etc.) prennent de l’importance, et deux tendances sociétales infusent chez nombre de candidats : une forme d’individualisme et en même temps une sensibilité accrue aux préoccupations de l’époque.

L’entreprise devient quant à elle responsable du sens que porte le travail qu’elle fournit, qu’elle confie aux jeunes recrues, et se doit de présenter une vision, des valeurs (RSE mais aussi transparence dans les salaires par exemple), qui "embarquent" les collaborateurs quel que soit leur niveau.

Et ceci est franchement accentué par ce que met en avant la Dares : il y a une activité forte, donc une importante demande des recruteurs, donc ceux-ci sont en concurrence entre eux et les candidats peuvent actuellement choisir, voire changer de secteur d’activité relativement simplement. Logique.

Quelles perspectives ?

A période nouvelle, prudence recommandée. Néanmoins, on peut proposer quelques pistes de réflexion... qui contiennent toutes une part de remise en question.

- Ne pas s’attendre à un phénomène court. Tout ceci semble structurant, même si un renversement de situation de l’économie peut pousser à l’avenir les candidats à moins d’exigences.

- Revoir votre processus de recrutement, à commencer par les fiches de postes, l’accueil des recrues, les outils de fidélisation, etc.

- Agir à court / moyen terme : Fluidifier les relations de collaboration, devenir vraiment attractif, diversifier vos façons de recruter (détails dans cet article)...

- Revoir en profondeur votre Management (action à moyen/long terme, un exemple ici).

Action ?

Christophe ALBERT
Rédaction du Village de la Justice

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

7 votes

Notes de l'article:

[1La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) est la direction du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion qui produit des analyses, des études et des statistiques sur les thèmes du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

[2Source : statistiques mensuelles Village de la Justice.

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par Sébastien Robineau , Le 11 octobre 2022 à 21:32

    Merci Christophe pour cet article.

    Difficile de se positionner sur cette question de la "Grande Démission" chez les professionnels du droit...

    Un constat, le nombre de professionnels du droit s’interrogeant sur leur devenir professionnel est très important... C’est le sujet de plus d’un protocole de coaching sur deux parmi mes clients, et pas seulement chez les jeunes professionnels... Ce phénomène est en constante augmentation depuis plusieurs mois...

    Sébastien Robineau

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 155 920 membres, 27258 articles, 127 156 messages sur les forums, 2 400 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Mise à jour 2025] La baisse du nombre d'avocats dans 50 barreaux représente-t-elle un danger ?

• Marché de l'emploi juridique : à quoi s'attendre en 2025 ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs