Le droit de la santé au travail évolue par touches successives, souvent techniques, parfois méconnues des praticiens. Plusieurs réformes récentes modifient substantiellement les obligations patronales, créant de nouveaux risques juridiques pour les entreprises non informées.
1. Signature électronique des avis médicaux : une révolution procédurale.
La nouveauté depuis juillet 2025.
Depuis le 1ᵉʳ juillet 2025, certains documents délivrés par un professionnel de santé au travail à l’issue d’une visite médicale doivent être signés via un code sms [1]. Cette dématérialisation concerne les avis d’aptitude, d’inaptitude et les propositions d’aménagement de poste.
Ces ajustements visent à renforcer la clarté et la traçabilité des échanges entre les Services de Prévention et de Santé au Travail, les salariés et les employeurs [2].
Impact juridique crucial pour les employeurs.
Le changement majeur réside dans la temporalité des recours. La date de signature électronique marque le début du délai de 15 jours pour une éventuelle contestation devant le Conseil des Prud’hommes (en référé) [3]. Cette précision élimine les incertitudes sur le point de départ des délais de contestation qui généraient jusqu’alors des contentieux sur la recevabilité.
Conséquence pratique : les services RH doivent désormais traiter les avis médicaux dans des délais contraints et certains, particulièrement pour les procédures d’inaptitude nécessitant un reclassement.
Adaptation organisationnelle nécessaire.
Il est recommandé aux salariés de se présenter à leur visite médicale avec leur téléphone portable [4] pour faciliter la signature. Cette recommandation crée une obligation d’information de l’employeur envers ses salariés.
Actions requises :
- Informer systématiquement les salariés de l’obligation d’apporter leur téléphone
- Adapter les procédures RH pour respecter les nouveaux délais de contestation
- Former les équipes à la gestion des avis signés électroniquement.
2. Évolution des modèles de documents médicaux.
Standardisation des formulaires.
Les modèles d’avis d’aptitude, inaptitude, d’attestation de suivi individuel de l’état de santé et de proposition de mesures d’aménagement de poste ont évolué [5] pour s’harmoniser avec la signature électronique.
Nouvelle flexibilité pour les médecins du travail.
Le médecin du travail peut désormais acter la dispense de reclassement en employant une formule équivalente aux mentions prévues par le Code du travail [6]. Cette évolution offre plus de souplesse rédactionnelle tout en maintenant la sécurité juridique des avis.
Impact pour l’employeur : les avis d’inaptitude peuvent désormais présenter des formulations variées mais équivalentes. Les services RH doivent être formés à interpréter ces nouvelles rédactions.
Actions requises :
- Vérifier que votre service de santé au travail utilise les nouveaux modèles
- Former les managers et RH aux nouvelles formulations possibles
- Adapter les grilles de lecture des avis médicaux.
3. Renforcement des obligations en matière de risques psychosociaux.
Contexte : la santé mentale, grande cause nationale 2025.
Alors que 13 millions de personnes présentent un trouble psychique chaque année en France et que 53% des Français indiquent avoir connu un épisode de souffrance psychique au cours des 12 derniers mois, le Gouvernement identifie plusieurs objectifs [7] incluant le développement de la prévention dans toutes les sphères de la société.
Obligations renforcées en entreprise.
Les risques psycho-sociaux inhérents à l’activité de l’entreprise doivent être mentionnés dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), préalable essentiel à toute démarche de prévention [8].
Cette obligation, déjà existante, fait l’objet d’une attention accrue des services de contrôle. Les professionnels du secteur rappellent que cette exigence documentaire expose les entreprises à un contentieux croissant avec la sensibilisation grandissante aux questions de santé mentale.
Cela implique une organisation du travail adaptée et des stratégies particulières pour prévenir différents risques majeurs : les violences, physiques et psychologiques (harcèlement moral, violences sexistes et sexuelles, discriminations…) ; le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel [9].
Actions requises :
- Mettre à jour le DUERP en intégrant spécifiquement l’évaluation des RPS
- Documenter les mesures de prévention mises en œuvre
- Former l’encadrement à la détection des signaux de souffrance au travail.
4. Nouvelles obligations liées au télétravail.
Prévention étendue au domicile du salarié.
Lorsque le télétravail s’effectue au domicile du salarié, l’employeur ne peut agir directement sur les conditions de conception et d’aménagement de cet espace à caractère privé [10]. Cette limitation juridique ne supprime pas l’obligation de prévention.
Il doit néanmoins porter une attention particulière au poste de travail du télétravailleur, afin qu’il offre des caractéristiques satisfaisantes en termes notamment d’éclairage, d’aération, de sécurité de circulation, de sécurité électrique, de sécurité incendie, d’hygiène [11].
Obligation positive de formation.
L’accent doit être mis sur les actions de sensibilisation, d’information et de formation des salariés aux risques présentés par le télétravail [12]. Cette obligation engage la responsabilité patronale en cas d’accident ou de maladie professionnelle liés au travail à distance.
Celles-ci permettront notamment de revenir sur les bonnes pratiques d’implantation et d’installation du poste informatique (positionnement de l’écran, réglage du siège, mobilier…) et d’organisation de la journée de télétravail (alternance des tâches, respect des temps de pause…) [13].
Vigilance particulière sur la durée du travail.
Un autre point central est la prévention des risques liés à la durée du travail. Si le télétravailleur a de fait plus de souplesse et d’autonomie dans l’organisation de son temps de travail, l’employeur est néanmoins tenu de faire respecter les durées maximales [14].
Actions requises :
- Élaborer un guide de bonnes pratiques du télétravail
- Organiser des formations spécifiques sur l’ergonomie du poste à domicile
- Intégrer les risques du télétravail dans l’évaluation des risques professionnels
- Mettre en place des outils de suivi du temps de travail à distance.
5. Extension de la visite de mi-carrière : la ménopause intégrée.
Évolution programmée du contenu médical.
La proposition de loi envisage, en tout premier lieu, de faire doublement évoluer les modalités de réalisation de la visite médicale de mi-carrière [15]. Cette visite, réalisée, en l’absence de disposition conventionnelle et sauf exception, durant l’année civile du 45e anniversaire du salarié [16], va intégrer de nouveaux enjeux.
L’évolution majeure concerne l’intégration de la ménopause parmi les sujets abordés.
87% des femmes ressentent des symptômes liés à la ménopause, parfois très invalidants, comme les bouffées de chaleur, les douleurs articulaires, les troubles cognitifs ou encore la fatigue chronique [17].
Implications pour l’organisation du travail.
Cette prise en compte médicale annonce une évolution des demandes d’aménagement de postes. Une femme sur deux estime que la ménopause a un impact sur sa vie professionnelle [18], nécessitant une adaptation de l’environnement professionnel.
Les aménagements susceptibles d’être préconisés incluent : climatisation, accès à l’eau, flexibilité horaire, télétravail [19], selon les recommandations du rapport parlementaire sur le sujet.
Actions requises :
- Anticiper les demandes d’aménagement liées à la ménopause
- Sensibiliser l’encadrement aux enjeux de cette transition physiologique
- Adapter les espaces de travail (température, points d’eau accessibles)
- Intégrer cette problématique dans les accords télétravail.
6. Surveillance médicale renforcée des apprentis.
Obligation de visite précoce.
Pour les apprentis la visite doit avoir lieu dans les deux mois qui suivent l’embauche [20]. Cette obligation, souvent négligée dans les TPE-PME, fait l’objet d’une attention accrue des services de contrôle.
Enjeux de responsabilité.
Le non-respect de cette obligation expose l’employeur à des sanctions, mais surtout fragilise juridiquement l’entreprise en cas d’accident du travail d’un apprenti non suivi médicalement.
Actions requises :
- Systématiser la programmation immédiate des visites d’embauche d’apprentis
- Documenter le respect de cette obligation
- Former les tuteurs d’apprentis aux spécificités du suivi médical des mineurs.
Checklist de mise en conformité prioritaire.
Actions immédiates (avant fin mars 2026) :
- Vérifier l’adaptation de vos procédures à la signature électronique
- Contrôler la conformité de votre DUERP sur les RPS
- Auditer vos obligations de formation des télétravailleurs
- Programmer les visites médicales des apprentis embauchés.
Actions à programmer (2e trimestre 2026) :
- Former les équipes RH aux nouveaux modèles de documents médicaux
- Anticiper les aménagements liés à la ménopause au travail
- Réviser les accords télétravail si nécessaire.
Actions d’amélioration continue :
- Veille réglementaire renforcée sur les évolutions santé-travail
- Formation continue de l’encadrement aux nouveaux risques
- Documentation systématique des démarches de prévention.
Perspectives : vers une approche préventive renforcée.
Ces évolutions réglementaires convergent vers une même logique : le renforcement de la prévention primaire et la responsabilisation accrue des employeurs. La dématérialisation des procédures, loin de simplifier les obligations, les rend plus contraignantes en termes de délais et de traçabilité.
Les professionnels du secteur observent une évolution jurisprudentielle vers une appréciation plus stricte des manquements aux obligations de prévention, particulièrement en matière de risques psychosociaux et d’adaptation aux évolutions démographiques de la population active.
Conclusion : anticiper plutôt que subir.
Ces nouvelles obligations dessinent les contours d’une responsabilité patronale élargie et plus précisément encadrée. Au-delà de la simple mise en conformité, elles invitent les entreprises à repenser leur approche de la santé au travail comme un investissement stratégique.
La complexité croissante de ces obligations justifie plus que jamais l’accompagnement par des professionnels spécialisés pour éviter les écueils juridiques et transformer ces contraintes en opportunités d’amélioration du climat social.


