Fondements juridiques : le regard professionnel sous surveillance.
Le droit, dans sa rigueur, encadre avec précision les comportements à connotation sexuelle ou sexiste au travail. L’article L1153-1 du Code du travail érige le harcèlement sexuel en délit, définissant celui-ci comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (Légifrance).
Le regard, s’il devient insistant, intrusif ou accompagné de gestes ou propos équivoques, peut donc suffire à caractériser un harcèlement sexuel, même en l’absence de contact physique (Lefebvre Dalloz [1]).
Jurisprudence : le regard à l’épreuve des faits.
La jurisprudence ne cesse de rappeler la gravité de tels agissements. Ainsi, dans un arrêt du 13 mars 2024, la Cour de cassation a confirmé le licenciement pour faute grave d’un cadre dont les comportements à connotation sexuelle - regards, propos, messages - avaient créé un climat de gêne et d’intimidation pour plusieurs salariées sous son autorité (C. Cass., 13 mars 2024). La haute juridiction souligne que la répétition de tels actes, même sans contact physique, suffit à caractériser le harcèlement sexuel dès lors qu’ils portent atteinte à la dignité ou créent un environnement hostile.
Dans une autre affaire, la Cour de cassation a précisé que l’ambiance grivoise ou la participation de la victime à des échanges ambigus ne saurait exonérer l’auteur de sa responsabilité : la pression hiérarchique et la répétition des faits priment sur le contexte, et la victime n’a pas à démontrer une opposition explicite pour que le harcèlement soit reconnu (Lexbase [2]).
L’obligation de l’employeur : prévenir, agir, sanctionner.
L’employeur, tel un chef d’orchestre soucieux de l’harmonie de son ensemble, est tenu à une obligation de prévention et d’action. L’article L1153-5 du Code du travail impose à l’employeur de « prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner » (Légifrance). Cette obligation est renforcée par la jurisprudence : l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures possibles pour faire cesser le harcèlement ne saurait être condamné pour manquement à son obligation de sécurité [3].
Exemple marquant : dans un arrêt du 18 janvier 2023, la Cour de cassation a jugé que l’employeur, informé de faits de harcèlement sexuel, avait satisfait à son obligation en séparant les personnes concernées et en informant l’inspection du travail, évitant ainsi toute condamnation pour manquement à la sécurité dès lors que toutes les mesures avaient été prises [4].
Exemples jurisprudentiels précis.
Regards insistants et gestes déplacés : un salarié, auteur de regards appuyés et de gestes à connotation sexuelle envers plusieurs collègues, a été licencié pour faute grave. La Cour de cassation a confirmé que de tels comportements répétés, même sans contact physique, constituent un harcèlement sexuel dès lors qu’ils créent une situation intimidante ou offensante (C. Cass., 13 mars 2024).
Ambiance sexualisée : même si la victime a participé à des échanges ambigus, la responsabilité de l’auteur et de l’employeur demeure engagée si une pression hiérarchique ou une répétition des faits est constatée (Lexbase [5]).
Réaction de l’employeur : l’employeur qui, dès l’alerte, sépare les protagonistes, diligente une enquête et sanctionne le harceleur, remplit son obligation de sécurité et peut éviter une condamnation [6].
Conseils pratiques pour prévenir ces situations.
Informer et sensibiliser : afficher clairement les règles relatives au harcèlement sexuel et sexiste, organiser des formations régulières pour tous les salariés, y compris les managers [7]).
Désigner un référent : depuis 2019, la désignation d’un référent harcèlement sexuel est obligatoire dans les entreprises de plus de 250 salariés (INRS [8]).
Mettre en place une procédure de signalement : permettre aux victimes et témoins de signaler facilement et en toute confidentialité les faits, avec un traitement rapide et impartial des plaintes [9].
Enquêter et sanctionner : dès qu’un fait est signalé, diligenter une enquête interne, protéger la victime de toute mesure de rétorsion, et sanctionner le harceleur, y compris par un licenciement si nécessaire [10].
Politique de tolérance zéro : inscrire dans le règlement intérieur l’interdiction de tout comportement à connotation sexuelle ou sexiste, y compris les regards insistants, et rappeler que tout manquement pourra entraîner des sanctions disciplinaires [11]. En cas d’absence de règlement intérieur (entreprise de moins de 50 salariés), une charte est envisageable.
Dans l’univers feutré des bureaux, le regard, s’il n’est pas maîtrisé, peut devenir la première note d’une partition dissonante, prélude à la dégradation du climat professionnel. Le droit, dans sa sagesse, invite chacun à la retenue et à la vigilance. L’employeur, garant de l’équilibre social, doit veiller à prévenir, sanctionner et réparer, afin que le théâtre de l’entreprise reste un espace de respect, d’égalité et de dignité pour tous.