Ces arrêts marquent une évolution notable dans l’appréciation de l’obligation de vigilance des acteurs du secteur bancaire, qui s’en trouve considérablement renforcée.
Ils ouvrent ainsi la voie à une reconnaissance accrue de la responsabilité des banques tant françaises qu’étrangères titulaires de comptes ouverts par des sociétés frauduleuses pour percevoir les fonds des victimes d’escroqueries aux investissements.
Ces arrêts marquent également un tournant quant à la détermination de la loi applicable, la loi française s’imposant désormais même lorsque les comptes bénéficiaires des opérations sont situés à l’étranger.
1. Les faits : la mise en place d’un montage ayant contribué aux placements litigieux.
De nombreuses sociétés frauduleuses proposant de faux investissements (Forex, options binaires etc) avaient mis en place un montage permettant de détourner les fonds des victimes : la société Seroph Holding, prétendument spécialisée dans les prestations de services de paiement, offrait aux sociétés frauduleuses un service consistant à réceptionner pour leur compte les fonds versés par les investisseurs. Ces fonds transitaient par le compte bancaire d’un autre prestataire de services de paiement, en l’occurrence Worldpay, qui les recevait directement des investisseurs, et qui, à travers un service de référencement, les reversait ensuite à Seroph Holding, laquelle les reversait aux sociétés frauduleuses.
La société Seroph Holding ne disposait d’aucun agrément pour exercer l’activité de prestataire de services de paiement.
La société Worldpay disposait d’un agrément mais avait mis son compte bancaire à la disposition de cette société Seroph Holding sans vérifier et/ou exiger que celle-ci dispose d’un agrément.
2. La condamnation des prestataires de services de paiement par la Cour d’appel de Paris (les arrêts du 18 octobre 2022).
Devant la cour d’appel, il a été démontré qu’en mettant à la disposition de la société Seroph Holding BV son réseau bancaire, et en faisant ainsi écran entre les victimes de la fraude et les bénéficiaires finaux des opérations, la société Worldpay avait manqué à son obligation de vigilance et était ainsi à l’origine de la perte des fonds des investisseurs.
En défense, Worldpay a soutenu que la loi française n’était pas applicable et a prétendu qu’elle n’était pas tenue de vérifier l’agrément de Seroph Holding et n’avait donc pas manqué à son obligation de vigilance.
Par quatre arrêts en date du 18 octobre 2022, la Cour d’appel de Paris a condamné in solidum Seroph Holding et Worldpay à indemniser les victimes à hauteur de 50% de leurs pertes.
Elle a en effet jugé que :
- La loi française est applicable dès lors que le préjudice avait été subi en France puisque les fonds avaient disparu du compte bancaire des victimes, lesquelles avaient été démarchées en France par les sociétés frauduleuses.
- Seroph Holding a exercé l’activité de prestataire de services de paiement sans agrément et a transféré les fonds des victimes aux sociétés frauduleuses
- En ne s’assurant pas que Seroph Holding disposait d’un agrément pour exercer l’activité de prestataire de services de paiement, la société Worldpay a violé ses obligations générales de vigilance.
3. La confirmation de cette condamnation par la Cour de cassation (les arrêts du 1ᵉʳ octobre 2025).
La société Worldpay s’est pourvue en cassation. Au soutien de son pourvoi, elle prétendait d’une part que la loi française n’était pas applicable et d’autre part qu’aucune obligation de vigilance générale n’imposait au prestataire de service de paiement, tenu à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, de procéder à des investigations sur les conditions dans lesquelles son client exerce son activité et notamment de s’assurer qu’il bénéficie d’un agrément.
La Cour de cassation a rejeté ces deux moyens et a jugé que :
- La loi française est applicable dès lors que les victimes étaient titulaires d’un compte bancaire en France à partir desquels les virements avaient été ordonnés pour réaliser des investissements à la suite d’un démarchage dont elles avaient fait l’objet en France
- La cour d’appel a caractérisé l’existence d’anomalies apparentes résultant du fait que Worldpay ne pouvait ignorer que Seroph Holding relevait des professions réglementées et que le fonctionnement de son compte présentait des virements au bénéfice de sociétés inscrites sur la liste noire de l’Autorité des Marchés Financiers de sorte que Worldpay a manqué à ses obligations de vigilance.


