Interview de Benjamin Guichard, chef du service des politiques et de l’accompagnement de l’ATIGIP réalisée par A. Dorange.

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  • 1re Parution: 14 mars 2023

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L’insertion par l’activité économique des personnes sous main de Justice : interview de Benjamin Guichard.

Au-delà de la récente réforme du travail pénitentiaire [1], l’insertion socioprofessionnelle des personnes placées sous main de Justice (PPSMJ) est à la fois un défi global d’inclusion, et un vecteur de réduction de la récidive. Pour en savoir davantage sur l’insertion par l’activité économique et la formation, nous nous sommes tournés vers Benjamin Guichard, chef du service des politiques et de l’accompagnement (SPAE) vers l’emploi au sein de l’Agence du Travail d’Intérêt Général et de l’Insertion Professionnelle (ATIGIP).

Pouvez-vous nous présenter l’ATIGIP et ses principales missions ?

Benjamin Guichard : Le positionnement de l’Agence est un peu spécifique, puisque c’est un service à compétence nationale qui est rattaché directement au garde des Sceaux. Cela s’explique par notre vocation à travailler pour l’ensemble des directions du ministère de la Justice, pour l’ensemble des personnes placées sous main de Justice (PPSMJ), majeures et mineures, en milieu fermé et en milieu ouvert.

L’Agence est organisée en trois services « opérationnels », plus un service « support » (juridique, RH, communication, comptabilité) : le service du SPAE dont je m’occupe, le service du TIG qui, comme son nom l’indique, s’occupe de cette peine et le service de l’emploi pénitentiaire, qui préexistait à l’Agence et qui gère les ateliers pénitentiaires.
L’une de nos missions générales est de développer les dispositifs d’insertion professionnelle dans leur globalité. Dans ce cadre, nous avons un volet partenarial très fort, avec toutes les structures qui développent des politiques publiques à destination des personnes éloignées de l’emploi. Nous sommes souvent en présence d’un tel public, avec d’autres problématiques cumulées, en termes de logement, d’accès à la santé, de rupture familiale et de qualification professionnelle : aujourd’hui 50 % des personnes détenues n’ont aucun diplôme, 80 % d’entre elles sont à un niveau infra bac, à l’exact inverse donc de la population générale. Parallèlement, le travail pénitentiaire a connu une chute assez impressionnante depuis le début des années 2000, passant environ 50 % de personnes détenues en situation de travail, à 30 % aujourd’hui.

« Nous avons un important enjeu de sensibilisation sur l’insertion par l’activité économique. »

Si vous nous permettez l’expression, les ateliers pénitentiaires ne font-ils pas ou plus « recette » ?

B.G : Je ne dirais pas ça, au contraire ! Rappelons peut-être pour commencer et comme je le disais tout à l’heure, que le service de l’emploi pénitentiaire gère les ateliers en régie publique. Ceux- ci permettent de proposer du travail plutôt qualifiant aux personnes détenues, soit sur des secteurs d’activité en tension et qui recrutent, soit des secteurs d’activité qui ont une vraie plus-value en termes d’offre de formation et d’accompagnement vers l’emploi.

Il y a les secteurs « historiques », avec la couture et la production de vêtements (uniformes des surveillants pénitentiaires et désormais la sous-traitance pour des marques de prêt-à-porter) ou la production de mobilier. Nous avons un catalogue qui s’étoffe, beaucoup au profit des collectivités territoriales et le secteur public, mais nous cherchons à nous diversifier. Plus généralement, le développement du travail pénitentiaire s’étudie plutôt en fonction des bassins d’emploi où sont présents les établissements pénitentiaires, mais globalement, nous avons trois thématiques « phare » : l’économie circulaire, les services à la personne et le numérique. Nous avons déjà expérimenté de nouvelles activités professionnelles, par exemple pour les centres d’appel (hotline), le dessin assisté par ordinateur (DAO) et le codage web, qui fonctionnent plutôt bien.

Quel regard portez-vous sur le contrat de travail pénitentiaire récemment créé ?

B.G : Je peux vous en parler d’autant plus facilement que nous sommes pilote sur cette réforme ! L’idée de créer une relation contractuelle, pour s’aligner notamment sur les standards européens, n’est pas très récente en réalité. Il s’agit de dépasser la vision du travail pénitentiaire en tant qu’outil purement occupationnel et de gestion de la détention, pour en faire un véritable outil d’insertion professionnelle, en gardant bien sûr à l’esprit les contraintes pénitentiaires.

L’objectif est à la fois d’assurer des conditions de travail qui soient les plus proches possibles de celles de l’extérieur et de faire en sorte que les entreprises s’y retrouvent ; le but n’est évidemment pas de les faire fuir, mais qu’elles s’impliquent dans le travail pénitentiaire et soient présentes à l’intérieur des établissements. L’entreprise est responsabilisée, puisque c’est elle par exemple qui gère le recrutement, mais l’Administration assume l’éventuel contentieux, sur la question de la rémunération (seuil minimum de rémunération à 45 % du SMIC dans les activités de production), les conditions hygiène et sécurité qui peuvent concerner l’entreprise, etc.

Outre les ateliers, il existe d’autres dispositifs. Un mot peut-être sur les services d’insertion par l’activité économique (SIAE) ?

B.G : La loi pénitentiaire de 2009 a en effet prévu l’implantation de SIAE en établissement pénitentiaire, dans le but de proposer un accompagnement socio- professionnel aux personnes détenues qui étaient très éloignées de l’emploi et du marché du travail avant leur incarcération. Cela se déroule en lien avec le travail du SPIP [2], dans le cadre de l’exécution de la peine, avec la signature de contrats de travail spécifiques [3]. Cela permet de travailler concrètement sur un projet professionnel, de lever les difficultés sociales qui freinent le retour à l’emploi au moment de la sortie, et aussi, de découvrir les usages et les « codes » de l’entreprise.

Faire entrer le droit commun à l’intérieur de la détention, plutôt que de recréer des dispositifs spécifiques à l’intérieur de la prison.

Ce travail s’inscrit dans le prolongement d’une dynamique qui est engagée dans l’Administration pénitentiaire depuis plus de 20 ans maintenant, qui est de faire entrer le droit commun à l’intérieur de la détention, plutôt que de recréer des dispositifs spécifiques à l’intérieur de la prison. Nous avons rapidement pu constater l’intérêt de ces structures, qui ont l’habitude d’accompagner des publics très éloignés de l’emploi sur deux pans, une activité de production et un accompagnement socio-professionnel [4]. Depuis les décrets d’application de 2016, il y a d’abord eu une phase pilote (2016-2019) sur l’implantation de SIAE en milieu pénitentiaire, avec évaluation et qui, aujourd’hui, est en phase d’essaimage ; 6 structures ont été lancées en 2016, nous en étions à plus de 20 fin 2022, avec un objectif de doubler ce nombre en 2023.

Avec tous ces dispositifs, il n’est pas évident de s’y retrouver !

B.G : C’est vrai que beaucoup de choses existent et qu’il y a une difficulté à appréhender tous les dispositifs. D’autant qu’au-delà de ce dont nous avons parlé, le contrat engagement jeune, l’apprentissage [5], etc. sont aussi à la disposition des SPIP et de nos partenaires (Pôle emploi, les missions locales...). Nous déployons aussi d’autres projets, avec les établissements InSERRE [6] par exemple, construits avec les entreprises et collectivités locales et dans lesquels la prison est conçue comme un espace de formation et de travail, qui s’appuie sur une responsabilisation de la personne détenue, à la fois dans son quotidien et dans son activité de travail.

Le programme ATIGIP 360° vise à faciliter cette connaissance. Avec la plateforme IPro360° (en parallèle de TIG 360°, auquel les avocats ont accès [7]), qui recense tous les lieux de travail et de formation professionnelle en détention. Une deuxième étape est à venir (fin du premier semestre 2023 en principe), pour cartographier tous les dispositifs d’insertion professionnelle au sens large du terme. Depuis la mi-janvier 2023, une nouvelle brique du système d’information est disponible, pour les acteurs du placement extérieur (PE 360°).

Nous sommes bien conscients de cet important enjeu de sensibilisation sur l’insertion par l’activité économique, pour former et rassurer sur l’ensemble des dispositifs d’insertion professionnelle. Nous le faisons déjà, notamment à l’ENM et à l’ENAP et les retours sont très positifs. C’est vraiment important pour les magistrats et les avocats, parce que tout ce panel de dispositifs est susceptible de nourrir le contenu de certains aménagements de peine.

Interview de Benjamin Guichard, chef du service des politiques et de l’accompagnement de l’ATIGIP réalisée par A. Dorange.

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[1Avec notamment la création du contrat d’emploi pénitentiaire (CEP) : L. n° 2021-1729, 22 déc. 2021 (JO 23 déc.) pour la confiance dans l’institution judiciaire ; D. n° 2022-655, 25 avr. 2022 (JO 26 avr.) relatif au travail des personnes détenues et modifiant le Code pénitentiaire.

[2Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation.

[3C. trav., art. L. 5232-1 et s.

[4Voir min. Just., min. Trav., ATIGIP et al., mai 2022, Implantation de structures d’insertion par l’activité économique, Guide pratique, https://www.atigip-justice. fr/static/updatables/Annexe_1_-_Guide_IAE_en_detention-versionMai2022.pdf.

[5Voir not. min. Justice, ATIGIP, L’apprentissage des personnes détenues, https://www.atigip-justice.fr/static/updatables/apprentissage.pdf.

[6Innover par des Structures Expérimentales de Responsabilisation et de Réinsertion par l’Emploi ; plaquette de présentation ici : https://www.atigip- justice.fr/static/updatables/Inserre_Plaquette.pdf.

[7CNB, TIG 360 - Manuel utilisateur, https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/ files/documents/cnb_guide_tig_360.pdf.

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