Evaluation des salariés sur des critères comportementaux : elle doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # évaluation des salariés # droit du travail # critères objectifs # procédure judiciaire

Si l’employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d’évaluer le travail de ses salariés, la méthode d’évaluation des salariés qu’il retient doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie.

C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 15 octobre 2025 (22-20.716) publié au bulletin.

C’est une confirmation de jurisprudence (Cass. soc. 14 déc 2015, 14-17.152).

La procédure d’évaluation « entretien de développement individuel » des salariés de la société Laitière de Vitré, qui utilisait des critères d’appréciation comportementaux, est jugé illicite.

Il est interdit à la société d’utiliser les entretiens d’évaluation.

Cet arrêt doit être approuvé.

-

1) Faits et procédure.

Le syndicat général agroalimentaire CFDT d’llle-et-Vilaine (le syndicat) a assigné à jour fixe la société Laitière de Vitré (la société) devant un tribunal de grande instance pour faire interdire un dispositif d’entretien de développement individuel des salariés mis en place à compter de janvier 2017 et annuler les entretiens déjà réalisés.

Par jugement du 28 mai 2018, le tribunal de grande instance a notamment dit que la procédure d’entretien de développement individuel (EDI) mise en œuvre en début d’année 2017, et à la fin 2017 après modification, était illicite, interdit à la société d’utiliser le dispositif d’évaluation EDI mis en œuvre à compter de la fin janvier 2017 et modifié fin 2017 et débouté le syndicat de sa demande d’annulation des évaluations déjà réalisées au sein de la société sur la base du dispositif EDI.

La Cour d’appel de Rennes a jugé que la procédure d’évaluation EDI de ses salariés mise en œuvre en début d’année 2017 et à la fin 2017, après modification, était illicite et elle lui a interdit d’utiliser ledit dispositif.

La société s’est pourvue en cassation.

2) Moyens.

La société fait grief à l’arrêt de dire que la procédure d’évaluation EDI de ses salariés mise en œuvre en début d’année 2017 et à la fin 2017, après modification, était illicite et de lui interdire d’utiliser ledit dispositif, alors :

« 2°/ qu’en déduisant néanmoins l’illicéité de la dernière fiche d’entretien de développement individuel éditée à la fin de l’année 2017 de ce que, dans sa partie consacrée à l’évaluation du comportement du salarié, cette fiche aurait employé la "notion [...] de bon sens", plus précisément, de ce qu’elle aurait entendu apprécier la capacité du salarié à "se montrer concret, actif et efficace en faisant preuve de bon sens", cependant que le recours à un tel critère précis et clair était pertinent pour juger de la capacité professionnelle du salarié, la cour d’appel a violé les articles L1222-2 et L1222-3 du Code du travail.
3°/ qu’en jugeant la procédure d’évaluation "entretien de développement individuel" illicite dans son entièreté, sans répondre aux conclusions par lesquelles l’employeur avait fait valoir que cette procédure était uniquement critiquée en sa partie relative à l’évaluation des compétences comportementales des salariés et non en sa partie principale relative à l’évaluation du travail et des objectifs, de sorte qu’interdire son utilisation dans son intégralité aurait constitué une sanction disproportionnée, la cour d’appel a méconnu l’article 455 du Code de procédure civile
 ».

3) Réponse de la cour.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Si l’employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d’évaluer le travail de ses salariés, la méthode d’évaluation des salariés qu’il retient doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie.

La Cour d’appel de Rennes a d’abord retenu, d’une part, que la partie expressément consacrée aux « compétences comportementales groupe » ne pouvait être considérée comme secondaire ou accessoire et, d’autre part, que l’abondance de critères et de sous-critères comportementaux, sans qu’il fût possible a priori de savoir dans quelle proportion exacte ils entraient en ligne de compte dans cette évaluation, ni s’il existait réellement en pratique dans leur mise en œuvre générale une certaine forme d’équilibre avec les critères d’appréciation purement techniques, posait question quant à la garantie d’un système d’évaluation suffisamment objectif et impartial.

Elle a ensuite retenu que les notions d’« optimisme », d’« honnêteté » et de « bon sens », utilisées sous les items « engagement » et « avec simplicité », dont la connotation moralisatrice rejaillissait sur la sphère personnelle des individus, apparaissaient comme trop vagues et imprécises pour établir un lien direct, suffisant et nécessaire avec l’activité des salariés en vue de l’appréciation de leurs compétences au travail, outre qu’elles conduisaient à une approche trop subjective de la part de l’évaluateur pour manquer d’objectivité et de transparence en s’éloignant de la finalité première qui est la juste mesure des aptitudes professionnelles des collaborateurs de l’entreprise.

De ces énonciations et constatations, la Cour d’appel de Rennes, répondant aux conclusions prétendument omises, a pu déduire que ces éléments d’informations ainsi recueillis ne pouvaient constituer des critères pertinents au regard de la finalité poursuivie qui est l’évaluation des compétences professionnelles des salariés au sens des articles L1222-2 et L1222-3 du Code du travail et a exactement décidé que la procédure d’évaluation « entretien de développement individuel » des salariés au sein de la société était illicite et qu’il lui était interdit d’utiliser ce dispositif.

4) Analyse.

La Cour de cassation encadre les évaluations annuelles qui utilise des critères comportementaux.

La méthode d’évaluation des salariés qu’il retient doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie.

Avant de mettre en œuvre un dispositif d’évaluation, l’employeur doit consulter le Comité d’entreprise [1].

A été jugé licite le critère d’évaluation fondé sur l’imagination et la clairvoyance du salarié [2].

En revanche, l’appréciation d’un salarié fondée sur le courage a été déclarée illicite [3].

La Cour d’appel de Rennes relevait que :

« La partie expressément consacrée aux 2 « Compétences comportementales groupe » à travers ses trois items suivants, subdivisés eux-mêmes en trois sous-catégories de comportements pour le premier, quatre pour le deuxième et trois pour le troisième :
"Ambition",
"Engagement" et
"Avec simplicité"
 ».

La Cour d’appel de Rennes relevait aussi que

« L’abondance de critères et de sous-critères comportementaux, tels que retenus dans l’évaluation globale des salariés, sans qu’il soit possible a priori de savoir dans quelle proportion exacte ils entrent en ligne de compte dans cette évaluation, ni s’il existe réellement en pratique dans leur mise en œuvre générale une certaine forme d’équilibre avec les critères d’appréciation purement techniques, pose question quant à la garantie d’un système d’évaluation suffisamment objectif et impartial, et duquel dépend pour les intéressés "l’attribution d’une promotion et/ou d’une revalorisation individuelle" comme énoncé dans le compte rendu de réunion du comité d’entreprise du 31 août 2017 ».

Certaines terminologies interrogent :

  • Item « Engagement »/sous-catégorie « Persévérance » : « faire preuve d’optimisme » (version fin janvier 2017).
  • Item « Avec Simplicite »/sous-catégorie « Transparence » : « Agir et communiquer avec honnêteté avec sa hiérarchie et ses collègues » (version fin janvier 2017).
  • Item « Avec Simplicité »/sous-catégorie « Etre pragmatique » : « se montrer concret en faisant preuve de bon sens » (dernière version fin 2017).

La Cour d’appel de Rennes concluait que les « notions « d’optimisme », d’« honnêteté » et de « bon sens » dont la connotation moralisatrice rejaillit de fait sur la sphère personnelle des individus apparaissent comme trop vagues et imprécises pour établir un lien direct, suffisant et nécessaire avec l’activité des salariés en vue de l’appréciation de leurs compétences au travail.

Elles conduisent à une approche trop subjective de la part de l’évaluateur pour manquer d’objectivité et de transparence en s’éloignant de la finalité première qui est la juste mesure des aptitudes professionnelles des collaborateurs de l’entreprise ».

Il faut approuver le contrôle des évaluations par le juge.

Cela met fin à certains abus.

Sources.

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1Cass. soc 28 nov. 2007, 06-21.964.

[2CA Versailles 2 oct. 2012.

[3CA Toulouse 21/09/2011.

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Discussion en cours :

  • par Michel FRANCO , Le 3 novembre à 16:20

    Voici un excellent article qui commente une jurisprudence de la Cour de cassation concernant l’évaluation contenue dans les entretiens annuels.
    L’analyse de la jurisprudence est très instructive et didactique.

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