Existe-il une limite à la notion de véhicule impliqué au sens de la Loi Badinter ?

Par Alain Dahan, Avocat.

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Explorer : # loi badinter # responsabilité civile # accidents de la circulation # indemnisation des victimes

Au vu de l’évolution de la jurisprudence, on en vient à se demander si la notion d’implication n’est pas extensible à l’infini. L’objet de cet article est d’analyser cette tendance jurisprudentielle.

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Selon l’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :

« Sont régis par la présente loi les accidents de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur ».

Un arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2025 (pourvoi n° 23-19.534) vient confirmer une tendance à l’élargissement de la notion d’implication d’un véhicule qui existe depuis de nombreuses années, pour ne pas dire depuis la promulgation de la Loi.

Pour largement simplifier les explications, la loi Badinter, édictée dans l’intérêt des victimes, a créé un régime d’indemnisation spécialement adapté aux accidents de la circulation.

Par rapport au droit commun de la responsabilité civile, la condition du lien de causalité entre la faute, ou le fait générateur, et le dommage, a été supprimée.

Dès lors, c’est la seule implication d’un véhicule terrestre à moteur qui entraine la responsabilité de son conducteur et de son propriétaire et qui permet l’indemnisation des victimes.

On peut valablement considérer que, dès l’origine, le législateur de 1985 avait ouvert la porte, grâce au concept très large d’ « implication », à la création et au développement par les tribunaux d’une jurisprudence qui irait bien au-delà de la simple idée d’un contact direct d’un véhicule avec sa victime, dont le premier exemple qui vient à l’esprit est la collision, pour s’étendre à des situations de contact indirect, éloigné, voire pas de contact du tout.

Dès lors, cette notion étendue d’implication est plus facile à comprendre si on la remplace par celle de « rôle causal » joué par un véhicule dans la survenance des dommages subis par la victime.

Pour en revenir à l’arrêt du 3 avril 2025, la Cour de cassation a jugé comme suit :

« Pour écarter l’application de la loi du 5 juillet 1985 et l’exclusion de garantie invoquée par l’assureur relative aux dommages causés par tout véhicule assujetti à l’assurance obligatoire, l’arrêt constate que l’incendie est survenu, non pas du fait d’une étincelle provenant de la motocyclette, mais du fait de la flaque d’essence répandue sur le sol depuis les tuyaux de trop-plein du véhicule lorsque M. [G] a rempli le réservoir de ce dernier, cette flaque d’essence s’étant enflammée lors du déclenchement de la chaudière qui se trouvait à proximité.

Il en déduit que la motocyclette n’est pas impliquée dans l’accident de la circulation en cause.

En statuant ainsi, après avoir constaté que l’incendie était survenu du fait de la flaque d’essence qui s’était répandue sur le sol depuis les tuyaux de trop-plein de la motocyclette lors du remplissage de son réservoir, ce dont il résultait que ce véhicule, qui avait joué un rôle dans l’accident, était impliqué dans celui-ci, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Ainsi, dans cette affaire, une simple flaque d’essence s’écoulant sur le sol, à partir du réservoir d’une motocyclette, a suffi à entraîner l’application de la Loi Badinter.

On précisera que les dommages entrant dans le champ d’application de cette loi ne sont pas uniquement des dommages aux personnes, des dommages corporels, mais aussi, des dommages causés aux biens, comme dans l’affaire ici reportée où la flaque d’essence avait provoqué l’incendie d’une maison par l’intermédiaire d’une chaudière située à proximité de la motocyclette.

Cette décision du 3 avril 2025 n’est pas un cas isolé et elle ne constitue pas non plus un revirement de la jurisprudence.

Bien au contraire, comme déjà précisé plus haut, elle ne vient que confirmer une position déjà ancienne.

À titre d’exemple, il y a plus de dix ans, la Cour de cassation, Deuxième Chambre civile, avait rendu un arrêt nº 878 en date du 22 mai 2014, Pourvoi nº 13-10.561 qui concernait une tondeuse auto-portée en stationnement dans un garage privé à usage individuel et dont la fuite de carburant et les vapeurs d’essence avaient provoqué un dommage, une explosion gazeuse inflammable s’étant ainsi déclarée dans le garage d’une maison.

Dans cette décision, la Cour de cassation avait bien retenu l’implication de ce véhicule pour entrainer l’application de la loi Badinter.

Encore plus loin en arrière, en 1995, une roue qui s’était détachée d’un camion avait provoqué un accident de la circulation en chaîne et, il avait été jugé que même les victimes n’ayant eu aucun contact avec la roue vagabonde devaient bénéficier de la Loi Badinter (Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 28 juin 1995, 93-20.540).

Dans le même esprit et au niveau des juridictions du second degré, on pourra citer, par exemple, un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, Chambre civile 1-3, en date du 6 mai 2025, Répertoire général nº 21/04009.

La cour d’appel a confirmé une décision du tribunal judiciaire qui avait jugé comme suit :

« Partant notamment du fait que seul le véhicule de M. [S] stationné sur l’emplacement nº 8 et assuré par Axa a été entièrement détruit, le tribunal en a conclu que ce véhicule a été soit à l’origine du feu soit a contribué à sa propagation, matérialisant ainsi son implication au sens de la loi dite Badinter. »
(…)
En conséquence de l’ensemble de ces considérations, la décision déférée, qui a constaté la réunion des conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985, est confirmée et la société Axa condamnée à indemniser la SMA.
 »

Un arrêt de la Cour de cassation - Deuxième chambre civile 24 avril 2003 n° 01-13.017 a même retenu l’application de la Loi Badinter pour un véhicule qui avait projeté des gravillons sur la chaussée et alors que le véhicule n’était même plus présent sur les lieux, au moment de la chute de la victime.

On reproduira un extrait de cette décision ci-après :

« Mais attendu que l’arrêt retient qu’il n’est pas contesté que la balayeuse municipale de la commune de Perpignan est passée devant le domicile de Mme X... au cours de la journée du 25 octobre 1995 et plus précisément vers 18 heures, qu’il résulte de l’ensemble des témoignages que cette balayeuse a projeté des gravillons sur le trottoir devant la porte de son domicile, qu’il est constant que le même jour Mme X... a glissé sur ces gravillons , qu’en l’état de la date et de l’heure de passage de la balayeuse, il ne peut être soutenu qu’un laps de temps important s’est écoulé entre ces deux actions, qu’au contraire il est établi que Mme X... a chuté en voulant balayer les gravillons projetés devant son domicile, ce qui démontre que l’action de Mme X... se situe dans les instants qui ont suivi le passage de la balayeuse ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations d’où il résulte que la balayeuse est intervenue à quelque titre que ce soit dans la réalisation de l’ accident , et abstraction faite du motif justement critiqué par la première branche du moyen, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que le véhicule était impliqué dans l’ accident ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
 »

Pour terminer avec une petite réflexion :

On assiste depuis ces dernières années au développement des trottinettes électriques.

Ces créatures hybrides, mi- piéton, mi- véhicule, mini-minotaures des temps modernes, sont pourtant de véritables véhicules terrestres à moteur n’hésitant pas à circuler sur les chaussées, les trottoirs, les passages cloutés, les voies piétonnes, les routes secondaires et principales (j’en ai même vu récemment se déplacer sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute) et avec leurs batteries au lithium qui prennent feu dans les parkings et les garages, la jurisprudence « Badinter » a de beaux jours devant elle.

Alain Dahan, Avocat au barreau de Toulouse
http://www.avocat-dahan-alain.com/
maitre.dahan.alain chez free.fr

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