En dépit de leur caractère nébuleux, le volume des transactions portant sur les cryptomonnaies s’élève à plus près de 2 millions par jour [3]. La volatilité des cryptomonnaies est attractive pour un grand nombre d’investisseurs spéculatifs, et par conséquent, leur encadrement reste un sujet sensible. Pour autant, en conséquence de l’anonymat qui caractérise ces transactions, le Conseil et le Parlement européen ont récemment proposé un Règlement permettant une meilleure traçabilité desdites opérations [4].
Si la définition d’une cryptomonnaie se trouve obfusquée par la diversité du marché d’aujourd’hui, certaines caractéristiques communes peuvent être repérées. Il s’agit d’un actif dématérialisé, stocké dans des « blockchains » [5], avec un prix flexible, qui peut être utilisé comme un moyen de paiement anonyme et n’est soumis à aucune autorité de régulation.
Cet actif se distingue des autres par le fait qu’il peut être « miné », c’est-à-dire qu’il peut être créé par des particuliers et entrer en circulation [6]. Cette dernière caractéristique rendrait extrêmement difficile son encadrement par une autorité nationale.
En effet, comment contrôler une monnaie qui peut être créée ?
Néanmoins, le droit français a aujourd’hui classé la cryptomonnaie dans une catégorie d’actif imposable. Par conséquent, il est nécessaire de tracer son évolution. La première classification ne datant que de 2014, il en ressort que le passé pourrait permettre d’anticiper des éventuels changements (I). De plus, la cryptomonnaie faisant désormais partie du quotidien, des Etats offrent des avantages fiscaux attirant dans le cadre desdites transactions (II).
I. L’évolution de la classification des cryptomonnaies en droit français.
Si la qualification des bénéfices réalisés au moyen des cryptomonnaies ne fait désormais point de doute (A), certains auteurs se sont interrogés sur la viabilité des critères retenus, qui pourrait conduire à une nouvelle évolution (B).
A. Les classifications antérieures à la loi de finances pour l’année de 2019.
La première tentative de classification des cryptomonnaies date du 11 juillet 2014, par l’entrée en vigueur du bulletin officiel des finances publiques (ci-après, le « BOFiP ») n°1080 [7]. Ce texte appréhendait les cryptomonnaies comme des « unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique ».
En conséquence de ce qui précède, le bénéfice issu des transactions portant sur des cryptomonnaies était toujours assujetti à l’IR. Il était soumis soit au régime des bénéfices commerciaux et industriels (ci-après, « BIC »), lorsque ses transactions étaient faites de manière habituelles, soit au régime des bénéfices non-commerciaux (ci-après, « BNC »), lorsqu’elles étaient faites de manière occasionnelle. L’administration portait une attention particulière sur la fréquence des opérations, les délais séparant les dates d’achat et de revente, le nombre d’unités vendues, ainsi que les conditions de leur acquisition [8].
A ce stade de l’évolution, le minage n’était point pris en compte par l’Administration fiscale.
Le second régime est entré en vigueur par l’arrêt du 26 avril 2018 du Conseil d’État [9]. Ce régime avait pour principale innovation la prise en compte du minage, et subsidiairement, d’un changement du régime d’imposition. Cet arrêt a été propulsé par le cabinet Bornhauser, qui a également invoqué l’inconstitutionnalité du régime créé par l’administration fiscale, mais le Conseil d’Etat a refusé de renvoyer ladite question devant les Sages.
Dorénavant, l’imposition des cryptomonnaies se trouvait fracturée. Une distinction était opérée entre l’imposition des bénéfices issus des transactions d’achat et de revente à titre spéculatif, et celle des bénéfices réalisés à l’occasion de l’activité de minage.
Les transactions susmentionnées étaient assujetties à l’imposition au titre des plus-values sur les biens meubles.
Le minage était assujetti par deux régimes distincts : s’il était effectué de manière occasionnelle, l’imposition était effectuée au titre des bénéfices non-commerciaux ; s’il était effectué de manière habituelle, comme dans le cadre d’une activité de trading, il était imposé au titre des bénéfices commerciaux.
Cependant, ce nouveau régime avait une défaillance majeure. Par sa nature, le régime de l’imposition des plus-values sur les biens meubles avait pour objectif l’imposition des biens, alors que les cryptomonnaies peuvent justement être analysées comme des monnaies.
Par conséquent, la doctrine désapprouvait ce régime, qui ne permettait pas une prise en compte de la liquidité et de la fongibilité desdits biens, ainsi que de l’importance du nombre et de la complexité des opérations susceptibles d’intervenir sur une durée minime [10].
Si un changement de régime s’est opéré sous la plume du législateur, il n’a pas permis de pallier toutes ses défaillances.
B. Une fracturation des régimes applicables aux cryptomonnaies.
Le régime créé par loi de finances pour l’année de 2019 a permis de consolider le statut des cryptomonnaies dans le droit fiscal français. De plus, la loi de 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises [11] a consacré la notion d’actif numérique, définie par l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier.
Cet article dispose qu’un actif numérique peut être
« […] Les jetons mentionnés à l’article L552-2, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L211-1 et des bons de caisse mentionnés à l’article L223-1 ;
[…] Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».
Cependant, cette consolidation légale n’a en réalité que fracturée l’imposition des cryptomonnaies. Selon la fréquence des opérations réalisées par les personnes physiques, son application peut être exclue (i). Par surcroit, les sociétés de personnes soumises à l’IS le sont automatiquement, et relèvent du régime des plus-values professionnelles (ii).
i. Le régime applicable aux personnes physiques réalisant des transactions dans le cadre des cryptomonnaies.
Comme dans l’état du droit antérieur, le régime applicable aux personnes physiques distingue entre les opérations conclues à titre ponctuel (a) et celles conclues à titre habituel (b).
a. La soumission des opérations conclues à titre ponctuel au régime spécial.
L’article 41 de la loi susmentionnée, par la création de l’article 150 VH bis du Code général des impôts, dispose que les cryptomonnaies sont désormais assimilées à des biens meubles corporels.
Les plus-values de cession d’actifs numériques bénéficient du même prélèvement forfaitaire unique que les revenus de capitaux mobiliers, à savoir un taux forfaitaire de 12,8%, auquel il faut ajouter 17,2% de prélèvements sociaux (une flat tax de 30%).
De plus, une franchise d’imposition s’applique lorsque le montant annuel brut des cessions est inférieur à 305 euros.
Quant aux critères d’impositions, ils sont au nombre de quatre :
Il suffit qu’une activité en lien avec les cryptomonnaies soit réalisée, indépendamment du lucre tiré de celle-ci,
Il est à réitérer que la nature ponctuelle de l’activité n’a aucun effet sur son imposition,
Il est nécessaire d’être domicilié en France, au sens des articles 4A et 4B du Code général des impôts,
Quant au fait générateur, l’administration fiscale n’impose les cryptomonnaies que lorsqu’elles sont converties en devise ayant cours légal, ainsi que lorsqu’elles sont échangées contre un bien ou un service [12].
A contrario, la simple détention de la cryptomonnaie ne fait pas entrer celle-ci dans l’assiette d’imposition des actifs détenus. En conséquence de l’unicité du fait générateur retenu, le législateur a permis une meilleure appréhension du nature liquide et fongible de lesdites monnaies.
Cependant, un contribuable pourrait être induit en erreur en raison de la formulation de l’article 150 UA du Code général des impôts, qui dispose que les cessions dont le prix est inférieur à 5 000 euros ne sont pas imposées.
Cette analyse ne saurait être retenue. Il en ressort du BOFiP du 2 septembre 2019, que l’exonération ne vaut que pour les opérations réalisées antérieurement au 1er janvier 2019, à savoir, avant l’entrée en vigueur de la loi de finances susmentionnée.
De plus, en raison de l’exonération fiscale de 350 euros prévue par l’article 150 VH bis dudit Code, il ne peut être soutenu que le législateur ait prévu, par une lecture combinée desdits articles, deux exonérations dont l’un rendrait caduque l’autre.
En vertu de l’article 1649 bis C du Code général des impôts, les particuliers sont soumis à une obligation de déclaration. Les particuliers disposent à cet effet deux formulaires CERFAs, le 2086 et le 3916-Bis, qui permettent respectivement de déclarer les plus-values en cryptomonnaies et celles détenues à l’étranger. Les bénéfices réalisées au cours desdites transactions doivent également figurer sur le formulaire CERFA 2042 C, relatif au déclaration des revenus.
En vertu de l’article 1736 du Code général des impôts, le non-respect desdites obligations entraine une amende de 750 euros par compte non déclaré, ou 125 euros par omission ou inexactitude, dans la limite de 10.000 euros par déclaration. Exception faite aux comptes étrangers dont la valeur vénale est supérieure à 50.000 euros. Les montants sont respectivement reportés à 1.500 et 250 euros.
Pour déceler la temporalité desdites opération, l’administration fiscale portera une analyse équivalente à celle effectuée durant l’application de sa doctrine de 2014. Pour réitérer, elle examinera la fréquence des opérations, les délais séparant les dates d’achat et de revente, le nombre d’unités vendues, ainsi que les conditions de leur acquisition.
S’il s’avère que les opérations sont effectuées de manière courante, un autre régime trouvera à s’appliquer.
b. La soumission des opérations conclues à titre habituel aux régimes des BIC et BNC.
L’administration fiscale précise que les opérations exercées à titre habituel restent soumises au régime des BIC. Par surcroit, l’exception selon laquelle le minage est assujetti au titre de l’impôt sur les BNC est maintenue.
Dans ce dernier cas, le contribuable aura l’option de se soumettre au régime des micro-entreprises, si le chiffre d’affaires de son activité est inférieur à 72 600 euros. Le cas échéant, il pourra, sous condition, opter pour le versement forfaitaire libératoire, qui permet d’être soumis à un taux d’imposition mensuel ou trimestriel de 2,2% [13].
Ce régime pourrait s’avérer avantageux si les bénéfices réalisés par le contribuable ne sont que subsidiaires, en raison des faibles gains réalisés mensuellement. De plus, un doute existe quant au fait générateur dudit impôt. S’il peut être considéré que le « minage » crée un bien, alors il se peut qu’un contribuable puisse déclarer le bénéfice seulement au moment où il le vend.
Les personnes morales relevant de l’IS se trouvent quant à un autre régime, dont les critères méritent d’être soulevé pour permettre de déceler lequel des régimes est plus avantageux dans le cadre de la cryptomonnaie.
ii. Le régime applicable aux personnes morales réalisant des transaction dans le cadre des cryptomonnaies.
Le BOFiP de 2019 précise que les sociétés soumises à l’IS sont imposées au titre du régime des plus-values professionnelles. Les sociétés interposées, c’est-à-dire les sociétés relevant des articles 8, 8 bis et 8 ter du Code général des impôts, ou plus précisément celles qui ne sont pas soumises à l’IS et qui exercent une activité non professionnelle, restent soumises au régime détaillé ci-dessus.
Le fait générateur des plus-values professionnelles coïncide en règle générale avec celle du transfert de propriété de l’élément concerné. Par conséquent, les sociétés soumises à l’IS semblent jouir des mêmes avantages que les particuliers : la simple détention de la cryptomonnaie ne fait pas entrer celle-ci dans l’assiette d’imposition des actifs détenus.
Il en ressort des éléments susmentionnés que toute personne souhaitant effectuer des transactions dans le cadre des cryptomonnaies devra veiller à ce qu’il ne la convertit point en monnaie ayant cours légal, sauf s’il est définitivement satisfait du gain qu’il en a tiré.
De plus, si l’activité entre dans le cadre de l’article 150VH susmentionné, il est plus avantageux de la convertir en une cryptomonnaie plus stable. Vu la volatilité du marché, il pourrait être avantageux de la convertir en une cryptomonnaie qui est adossée à l’or, tel que la crypto « Ekon » [14]. En effet, l’Administration fiscale précise que « les opérations d’échanges sans soulte entre actifs numériques ou droits s’y rapportant bénéficient d’un sursis d’imposition » [15].
II. Les régimes fiscaux étrangers plus favorables aux transactions portant sur les cryptomonnaies.
La fiscalité étant aujourd’hui un des principaux moyens ouvert aux Etats pour favoriser l’implantation des entreprises internationales [16], il n’est point surprenant que des mesures visant à favoriser les investissements dans les cryptomonnaies ont été mise en place (A).
Entre tous ces régimes, le plus ouvert aux contribuables français est celui offert par l’Allemagne (B).
A. L’analyse de la fiscalité des autres Etats.
Tout d’abord, il est à noter que les régimes fiscaux appliqués dans d’autres Etats membres ne se distinguent point par la qualification juridique qu’ils attribuent au bénéfice tiré de la volatilité des cryptomonnaies. Tous les régimes semblent suivre celui appliqué en droit Français, à savoir, celui des plus-values ou « capital gains ». Les Etats-Unis traitent l’ensemble desdites transactions dans le cadre de ce régime [17].
La définition juridique de ce que constitue une cryptomonnaie est extrêmement hétérogène.
Un vif débat existe aujourd’hui sur sa qualification en tant que valeur mobilière ou « security » tant par les institutions françaises qu’étrangères. En effet, dans le cadre des « initial coin offerings » (ci-après, « ICO »), leur utilité principale est de financer l’activité des entreprises.
Dans l’objectif louable de la protection des investisseurs, l’AMF s’est élancé dans une étude approfondie de la qualification que les ICO seraient susceptibles de revêtir.
Actuellement, la mise en place d’une législation non contraignante semble être favorisée par les personnes consultées par l’AMF [18]. Il reste à voir si l’Administration suivra leur avis.
Il est également à noter qu’une semblable étude avait été menée par l’Autorité européenne des marchés financiers. Elle avait pour objectif principal d’analyser la qualification donnée aux ICO par les Etats membres, dans le cadre de la directive MiFIP II [19]. Un consensus n’existe toujours point.
Si le régime applicable aux ICO fait encore doute, les actuels propriétaires des actifs numériques peuvent se réjouir de l’accessibilité d’un régime infiniment plus favorable, applicable aux gains tirés des cryptomonnaies.
B. Le régime favorable offert par l’Allemagne.
Le régime Allemand permet à toute personne physique de prétendre à une exonération de l’impôt sur la plus-value, lorsque le bien a été détenu pour une durée supérieure à un an.
Par conséquent, des actionnaires français percevant des dividendes d’une société ayant réalisé une plus-value sur des actifs numériques, qui ont été détenu pour une durée supérieure à un an, peuvent in fine payer moins d’impôts. Le bénéfice global tiré de la transaction n’étant point imposé.
Ce régime est intéressant pour les personnes souhaitant se regrouper, pour réaliser des investissements à court terme dans les cryptomonnaies. Cependant, le risque de la volatilité persiste, et les contribuables devront maintenir leur position pendant une année révolue, ce qui pourrait s’avérer un risque trop important pour un certain nombre d’investisseurs.
Discussion en cours :
Bravo, excellent article