Depuis 1996, la surveillance du SHU pédiatrique (Syndrome hémolytique et urémique) repose sur un réseau hospitalier de 32 services volontaires de néphrologie pédiatrique et de pédiatrie répartis sur le territoire métropolitain. Il en résulte des remontées de données très incomplètes vers Santé publique France qui coordonne ce réseau.
Ainsi, en dehors du seul cas où il entre dans la définition de la toxi-infection alimentaire collective, c’est-à-dire en pratique lorsque plusieurs cas ont pu être identifiés dans une même famille, le SHU n’est pas une maladie à déclaration obligatoire.
Or du fait de la particulière vulnérabilité des très jeunes enfants à ce syndrome (âge médian au diagnostic de 25 mois en 2020), il est extrêmement fréquent de ne trouver qu’un seul cas dans une famille.
Il résulte de ces éléments que lorsqu’un aliment contaminé par Escherichia coli producteur de Shiga-toxines (STEC) est en circulation et provoque des cas de Syndrome Hémolytique et Urémique, ces cas sont isolés dans leurs familles et leur mise en lien est très difficile, voire impossible, lorsque leur hospitalisation n’est pas effectuée dans l’un des 32 services hospitaliers volontaires. Or il existe des centaines de services hospitaliers pédiatriques dans lesquels ces enfants sont susceptibles d’être pris en charge.
Ensuite, même lorsque l’un des services volontaires a signalé un cas, l’absence de caractère obligatoire de la déclaration conduit à une absence de transmission des éléments de cette déclaration aux services en charge des enquêtes sur les aliments potentiellement en cause, à savoir en pratique les services des Directions départementales de la protection des populations (DDPP).
Aucune enquête n’est donc réalisée par ces services pour identifier l’aliment en cause dans la majorité des cas.
C’est seulement quand il devient évident que certains cas, parmi ceux ayant fait l’objet de déclarations volontaires, pourraient être mis en lien, qu’une enquête alimentaire peut être déclenchée. Mais elle l’est alors avec un retard qui a pour conséquence la multiplication du nombre des victimes due à une exposition prolongée à l’aliment en cause.
C’est ainsi qu’en février 2022 ont commencé des investigations concernant des cas de SHU près de 4 semaines après le début de l’épidémie liée à la commercialisation de pizzas Buitoni.
Un tel délai n’est pas acceptable.
De nombreuses victimes pourraient être évitées si les investigations sur les aliments étaient immédiates et systématiques, dès le premier cas de SHU, et qu’elles conduisaient à identifier de manière plus fréquente et plus précoce l’aliment en cause.
C’est pour ces raisons qu’il est nécessaire d’ajouter le Syndrome hémolytique et urémique à la liste des maladies à déclaration obligatoire.
Sur le contexte du SHU et les enjeux qui en découlent.
Les rapports de Santé publique France Surveillance du syndrome hémolytique et urémique post-diarrhéique chez l’enfant de moins de 15 ans en France font état de 172 cas de SHU en moyenne sur les cinq dernières années.
En 2022, ils ont été bien supérieurs du fait de l’épidémie Buitoni (252).
Or ces chiffres émanent des notifications volontaires du réseau mis en place. Il y a donc tout lieu de penser qu’ils sont très largement sous-estimés.
Même si l’on s’en tient à 172 cas pour une année, il en résulte que le Syndrome Hémolytique et Urémique fait au moins une victime tous les 2 jours en moyenne en France.
Et la situation vécue par ces victimes est dramatique à double titre au regard des souffrances endurées. D’abord parce que les effets sur la santé du SHU sont terribles et conduisent à des souffrances physiques très importantes.
Ensuite, parce qu’à celles-ci, s’ajoute la souffrance morale de ne pas connaître la cause de tels maux.
Enfin, l’absence d’enquête conduit en pratique à priver la victime de SHU du droit au recours qu’elle pourrait exercer contre le responsable. En effet, plus l’enquête alimentaire prend du temps, plus les chances de retrouver en pratique des restes de l’aliment à l’origine de l’intoxication s’amenuisent.
Or c’est justement lorsqu’un cas est isolé, et que la preuve du lien de causalité par la statistique n’est pas possible, que l’analyse des restes d’aliments est primordiale en vue d’établir un lien de causalité par la biologie.
Lorsque par exemple un SHU a pour origine un lot de fromage au lait cru contaminé, l’enquête rapide permet de recueillir des restes de ce fromage dans le réfrigérateur de la victime, ou permet d’avoir une meilleure chance de retrouver dans les commerces fréquentés par cette victime le même lot de fromage que celui qui a été consommé.
En pratique, dans un cas isolé de SHU tel qu’il en arrive en France chaque semaine, l’enquête qui conduit au prélèvement des aliments suspects nécessite, pour être efficace, d’être immédiate. Plus le temps passe, plus les chances de retrouver des restes d’aliments se réduisent. Il s’agit d’une véritable urgence, qui s’inscrit dans une mission de protection de la sécurité publique, car rien ne permet de savoir à ce stade si de potentielles victimes sont toujours exposées à l’aliment en cause.
L’exposition à des aliments contaminés par des Escherichia coli producteurs de Shiga-toxines (STEC) constitue donc une menace réelle et quotidienne en France, dont les conséquences peuvent être dévastatrices, et que plusieurs épidémies ont révélé.
Le droit à la vie, liberté fondamentale.
Le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale.
Il existe en outre des obligations positives à la charge des Etats parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, celles de prendre les mesures nécessaires pour mettre les personnes en mesure de jouir de leurs droits conventionnels de manière effective. S’il s’agit souvent d’obligations matérielles, La Cour européenne des droits de l’homme a également dégagé des obligations normatives à la charge de l’État c’est-à-dire des obligations d’édicter les normes nécessaires pour assurer la protection d’un droit. Elle a ainsi affirmé par exemple l’obligation pour les Etats d’adopter des normes garantissant la protection des personnes dans les espaces publics [2].
L’exposition à des aliments contaminés par des Escherichia coli producteurs de Shigatoxines (STEC) constitue en France une atteinte au droit à la vie démontrée par les statistiques, du fait de la létalité de 1 à 5% de l’affection que ce danger biologique entraîne.
Vers un droit à une sécurité sanitaire alimentaire ?
La préservation de la sécurité et de la santé des personnes est une obligation à la charge des autorités étatiques en vue de garantir le droit à la vie. C’est une des composantes de ce droit fondamental, dans la mesure où l’altération de la sécurité et/ou de la santé conduit inévitablement à menacer la vie.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les obligations positives garantissant le droit à la vie conduit déjà à reconnaître aux individus une créance de sécurité à l’égard des autorités publiques, ainsi qu’un droit à la sécurité [3].
Le contexte lié à l’épidémie de Covid a montré l’intérêt de cette notion de créance de sécurité [4].
Le droit à la sécurité sanitaire alimentaire, qui consiste à pouvoir consommer en toute sécurité des aliments grâce à un cadre légal approprié qui permet d’en garantir l’innocuité, devrait être considéré comme une autre composante de ce droit à la sécurité.
Le droit au recours effectif.
Le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction est protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il constitue une liberté fondamentale.
Or en l’absence d’enquête qui permet d’identifier l’aliment à l’origine du SHU, la victime est tout simplement dans l’impossibilité de se retourner contre le responsable.
Son droit d’exercer un recours effectif s’en trouve paralysé.
Le cadre légal de la sécurité alimentaire en Europe.
Intitulé la « Food Law », le Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires est le texte clé de la législation alimentaire européenne.
Il édicte les principes généraux du corpus réglementaire et est applicable à tous les acteurs des filières alimentaires. Il assigne la responsabilité de la sécurité des denrées aux professionnels qui les placent sur le marché. Il définit des obligations spécifiques de traçabilité, de retrait de produits susceptibles de présenter un risque pour la santé publique, d’information des services de contrôle à la charge de l’exploitant.
Les considérants 10, 22 et 60 de ce texte en évoquent l’origine et la finalité :
(10) L’expérience a montré qu’il est nécessaire d’adopter des mesures visant à garantir que des denrées alimentaires dangereuses ne soient pas mises sur le marché et qu’il existe des systèmes permettant d’identifier les problèmes de sécurité des denrées alimentaires et d’y faire face, dans le but d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et de protéger la santé humaine (…).
(22) La sécurité des denrées alimentaires et la protection des intérêts des consommateurs constituent une préoccupation croissante du grand public, des organisations non gouvernementales, des associations professionnelles, des partenaires commerciaux internationaux et des organisations du commerce international. Il est nécessaire d’assurer la confiance des consommateurs et des partenaires commerciaux à travers un processus ouvert et transparent d’élaboration de la législation alimentaire et à travers l’adoption, par les autorités publiques, des mesures appropriées en vue d’informer la population lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que des denrées alimentaires peuvent présenter un risque pour la santé.
(60) Les incidents récents liés à la sécurité des denrées alimentaires ont démontré qu’il est nécessaire d’établir des mesures appropriées dans les situations d’urgence assurant que l’ensemble des denrées alimentaires, quel qu’en soit le type ou l’origine, et tous les aliments pour animaux puissent faire l’objet de mesures communes en cas de risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Cette approche globale des mesures d’urgence en matière de sécurité des denrées alimentaires doit permettre de conduire une action efficace et éviter des disparités artificielles dans la prise en charge d’un risque grave lié aux denrées alimentaires ou aux aliments pour animaux.
Puis le Règlement contient les dispositions essentielles permettant d’assurer, en ce qui concerne les denrées alimentaires, un niveau élevé de protection de la santé des personnes et des intérêts des consommateurs.
C’est ainsi qu’il précise à l’article 14 : « aucune denrée alimentaire n’est mise sur le marché si elle est dangereuse ».
Puis son article 17 définit les responsabilités : « 1. Les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions.
2. Les États membres assurent l’application de la législation alimentaire ; ils contrôlent et vérifient le respect par les exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale des prescriptions applicables de la législation alimentaire à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution ».
À cette fin, ils maintiennent un système de contrôles officiels et d’autres activités appropriées selon les circonstances, y compris des activités de communication publique sur la sécurité et les risques des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, de surveillance de la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux et d’autres activités de contrôle couvrant toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution.
Les États membres fixent également les règles relatives aux mesures et sanctions applicables en cas de violation de la législation relative aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux. Les mesures et sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
Il apparaît donc que la France en tant qu’Etat membre est tenue d’assurer un rôle actif dans la gestion du risque alimentaire, et de mettre en place les dispositifs appropriés lorsque ceux-ci sont en mesure de faire cesser un risque ou de le réduire à un niveau acceptable et proportionné pour une catégorie de consommateurs.
L’investigation des cas d’intoxications alimentaires s’inscrit tout à fait dans cette obligation, d’autant plus lorsque, comme dans le cas du SHU, une enquête est nécessaire en vue d’identifier l’aliment qui doit faire l’objet d’une alerte en vue de faire cesser l’exposition des consommateurs à l’aliment dangereux.
Le cadre légal de la gestion des intoxications alimentaires en France.
Les intoxications alimentaires qui font l’objet d’enquêtes sont gérées conjointement par les Agences régionales de Santé et les Directions départementales en charge de la protection des populations.
La déclaration d’une TIAC auprès de l’administration (Agence régionale de Santé (ARS) et/ou Direction départementale (de la Cohésion Sociale) de la protection des populations (DD(CS)PP)) est obligatoire pour les médecins et établissements hospitaliers effectuant le diagnostic. Cette déclaration entraîne au niveau local l’information de l’autre structure (ARS ou DD(CS)PP).
Des investigations conjointes sont réalisées pour confirmer la TIAC et en identifier l’origine afin d’appliquer les mesures préventives et correctives nécessaires.
Lors d’intoxications alimentaires collectives, les Agences régionales de santé (ARS) réalisent la partie épidémiologique de l’enquête. Elles récoltent les données sur les malades, leurs symptômes et leurs habitudes alimentaires. Ces données sont précieuses car leur recoupement permet d’identifier une cause possible.
Si les éléments récoltés permettent de suspecter un ou des aliments à l’origine de l’intoxication, ce sont alors les agents des services vétérinaires des Directions départementales de la protection des populations (DDPP) qui réalisent l’enquête auprès du producteur et/ou du distributeur de l’aliment, et qui mettent en place l’éventuelle alerte sur le produit identifié.
En pratique, ces deux enquêtes ont pour point de départ l’obligation déclarative imposée par le Code de la santé publique dans le cas des toxi-infections alimentaires collectives, et c’est l’article D3113-6 du Code de la santé publique qui définit la liste des maladies à déclaration obligatoire, qui sont à ce jour au nombre de 36.
Parmi elles, on retrouve :
- La toxi-infection alimentaire collective (TIAC), c’est-à-dire l’apparition d’au moins deux cas similaires d’une symptomatologie, en général gastro-intestinale, dont on peut rapporter la cause à une même origine alimentaire.
- La listériose, infection grave d’origine alimentaire, due à la bactérie Listeria monocytogenes, et qui est donc à déclaration obligatoire dès le premier cas.
Cette exception est logique du fait des spécificités de cette bactérie, et notamment du délai de son incubation très long, qui entraîne une réelle difficulté à mettre les cas en lien et à identifier l’aliment responsable.
Lorsqu’une maladie est soumise à une déclaration obligatoire, celle-ci s’impose légalement à tous (médecins, chefs de laboratoires…).
D’un point de vue politique, cela traduit une volonté forte de l’autorité sanitaire d’intervenir pour protéger la santé d’autrui et de disposer de toutes les informations nécessaires sur un problème de santé publique qu’elle juge grave.
Mais en pratique, cela permet surtout un recensement exhaustif des cas, et leur nécessaire mise en lien.
L’insuffisance de ce cadre légal dans le cas du SHU.
Lorsqu’un aliment est contaminé par l’Escherichia coli et provoque de graves symptômes tels que le SHU, il est très fréquent que chaque cas soit isolé dans sa famille, du fait de la plus grande sensibilité des très jeunes enfants. Il existe une réelle difficulté à mettre les cas en lien les uns avec les autres, d’autant plus quand ils sont éloignés géographiquement.
Pour cette raison, il est très fréquent qu’un même aliment fasse de nombreuses victimes, ce qui correspond à la définition de la toxi-infection alimentaire collective, mais comme chacun de ces cas est isolé, la déclaration n’est jamais réalisée dans les faits.
Aucune enquête n’est diligentée.
C’est ce qui conduit chaque année à un nombre de victimes en France qui représente l’équivalent de 3 affaires Buitoni, parce que le SHU ne bénéficie pas, en pratique, du cadre légal de la déclaration obligatoire alors qu’il s’agit bien de TIAC.
La spécificité du SHU n’a jamais été prise en compte en rendant sa déclaration obligatoire dès le premier cas, comme cela a pourtant été fait pour la listériose.
L’amplification du nombre de victimes du fait de cette carence.
Le nombre de victimes se trouve très largement amplifié du fait de l’absence d’enquête dans un grand nombre de cas. Lorsqu’une famille dont un membre est touché par un Syndrome Hémolytique et Urémique se tourne vers la DDPP de son département pour demander une enquête qui permettrait de déterminer la cause de cette intoxication, il lui est opposé un refus fréquent au motif que son cas est isolé et n’entre pas dans la définition de la toxi-infection alimentaire collective.
Une alerte n’est donc pas systématiquement déclenchée et certaines victimes qui pourraient être épargnées grâce à ce système d’alerte ne le sont pas.
Plusieurs affaires récentes permettent d’illustrer de manière dramatique les conséquences du retard de l’enquête, qui ne débute que lorsqu’il devient évident, par l’afflux de données pourtant partielles sur l’épidémie en cours, que des cas de SHU doivent être mis en lien.
C’est alors avec un retard important que les investigations sont enclenchées.
Lorsque celles-ci permettent enfin de déterminer la cause de l’épidémie, l’alerte et le retrait/rappel du produit en question interviennent alors que de nombreuses victimes auraient sans doute pu être évitées.
Alors que des contraintes de grande célérité sont imposées à tous les opérateurs du secteur alimentaire dans la gestion des alertes sur leurs produits, lorsque ceux-ci sont évalués comme dangereux ou susceptibles d’être dangereux, il convient d’étendre cette exigence aux enquêtes réalisées par les services de contrôle afin d’identifier certains de ces aliments plus rapidement en amont, grâce à l’inscription du SHU sur la liste des maladies à déclaration obligatoire.
Discussion en cours :
Très bon article , complet qui fait le tour de la question , je suis futur étudiant en droit et le village de la justice constitue un préambule agréable dans mon apprentissage futur