I. Les régimes juridiques de l’arrêté de mise en sécurité et de l’arrêté de péril.
A. L’arrêté de mise en sécurité : une procédure ordinaire pour remédier aux désordres.
Lorsque le rapport d’expertise conclut à l’existence de désordres susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique, sans pour autant caractériser une situation d’urgence absolue, le maire peut avoir recours à l’arrêté de mise en sécurité.
Fondé sur l’article L511-10 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), ce type d’arrêté s’inscrit dans une procédure que l’on peut qualifier d’ordinaire, en ce sens qu’elle ménage une place importante au principe du contradictoire.
Avant de prescrire les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés par l’expert, le maire doit en effet mettre les propriétaires de l’immeuble en mesure de présenter leurs observations dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois, conformément à l’article R511-3 du CCH.
Cette phase contradictoire est essentielle, car elle permet aux propriétaires non seulement de faire valoir leur point de vue sur les désordres et les travaux envisagés, mais aussi de proposer des solutions alternatives pour y remédier. Le maire devra tenir compte de ces observations avant d’arrêter sa décision, ce qui constitue une garantie importante pour les droits des propriétaires.
Une fois l’arrêté de mise en sécurité pris, les propriétaires sont tenus de réaliser les travaux prescrits dans le délai imparti. A défaut, ils s’exposent aux sanctions prévues par l’article L511-15 du CCH, notamment des astreintes financières et l’exécution d’office des travaux à leurs frais.
L’arrêté de mise en sécurité apparaît donc comme un outil juridique mesuré, permettant à l’administration d’imposer la réalisation des travaux indispensables à la sécurité de l’immeuble et de ses occupants, tout en respectant les droits des propriétaires grâce à la phase contradictoire préalable obligatoire.
B. L’arrêté de péril : une procédure d’urgence pour les situations de danger imminent et manifeste.
Il en va différemment lorsque l’expert judiciaire constate l’imminence d’un danger pour la sécurité publique, rendant nécessaire une intervention sans délai des autorités.
Dans cette hypothèse, le maire peut - et même doit - avoir recours à la procédure d’urgence de l’arrêté de péril, sur le fondement de l’article L511-19 du CCH.
Contrairement à l’arrêté de mise en sécurité, l’édiction d’un arrêté de péril n’est précédée d’aucune procédure contradictoire. Face à l’urgence de la situation, le maire prescrit directement toutes les mesures provisoires nécessaires pour écarter le péril, y compris l’interdiction temporaire ou définitive d’occuper les lieux si l’expert l’a préconisée dans son rapport.
Le critère de l’urgence s’avère donc déterminant pour tracer la frontière entre l’arrêté de mise en sécurité et l’arrêté de péril. C’est l’imminence avérée du danger qui va justifier la mise à l’écart du principe du contradictoire, normalement consubstantiel à toute procédure administrative.
Toutefois, ces procédures se révèlent particulièrement couteuses pour les propriétaires qui doivent conduire en urgence des travaux.
On le voit, la différence entre ces deux types d’arrêtés ne réside pas tant dans leur finalité - prévenir les atteintes à la sécurité publique - que dans leurs modalités procédurales. Là où l’arrêté de mise en sécurité se veut respectueux des droits de la défense, l’arrêté de péril fait prévaloir l’efficacité de l’action administrative sur les garanties offertes aux propriétaires.
Pour autant, cette mise à l’écart du contradictoire dans le cadre de la procédure de péril n’est pas sans contrepartie. Elle implique une obligation accrue pour l’administration de motiver sa décision au regard des préconisations de l’expert, seules à même de justifier l’urgence. Le juge administratif, s’il est saisi par un propriétaire ou un occupant, devra exercer un contrôle d’autant plus strict sur la légalité de l’arrêté.
C. L’exécution d’office des travaux : l’ultime recours face à la carence des propriétaires.
Lorsque les propriétaires n’exécutent pas les travaux prescrits par un arrêté de mise en sécurité ou de péril dans le délai imparti, l’article L511-16 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) autorise l’autorité compétente, par décision motivée, à faire procéder d’office à leur exécution aux frais du propriétaire. Elle peut prendre toute mesure nécessaire à cette fin et même faire procéder à la démolition prescrite sur jugement du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond.
Si l’inexécution de mesures prescrites portant sur les parties communes d’un immeuble en copropriété résulte de la défaillance de certains copropriétaires, l’autorité compétente peut, sur décision motivée, se substituer à ceux-ci pour les sommes exigibles à la date votée par l’assemblée générale des copropriétaires.
Elle est alors subrogée dans les droits et actions du syndicat des copropriétaires à concurrence des sommes versées.
Selon l’article L511-17 du CCH, les frais engagés par l’autorité compétente dans le cadre de cette procédure d’exécution d’office sont recouvrés au même titre que des contributions directes fiscales.
En copropriété, le titre de recouvrement est émis à l’encontre de chaque copropriétaire pour sa quote-part. Lorsque l’autorité compétente s’est substituée à certains copropriétaires défaillants, leur créance est majorée des intérêts moratoires au taux légal.
Cette procédure d’exécution d’office demeure une prérogative indispensable pour surmonter l’inertie des propriétaires face à leurs obligations légales. Au final, ces derniers seront contraints payer une somme plus importante que s’ils avaient conduit les travaux de leur plein gré.
Combinée avec la possibilité de prononcer des astreintes prévues à l’article L511-15 du CCH, elle forme un dispositif juridique dissuasif pour imposer la réalisation des travaux de sécurité.
En définitive, l’exécution d’office rappelle la primauté de l’impératif de sécurité publique sur le droit de propriété. Dotées de cette compétence, les autorités publiques disposent d’un moyen ultime pour prévenir les risques liés aux immeubles dangereux lorsque leurs propriétaires démontrent une carence manifeste dans l’exercice de leurs responsabilités.
II. Les conséquences des arrêtés de mise en sécurité et de péril pour les occupants et les propriétaires.
A. Les mesures de protection des occupants.
Qu’ils soient émis dans le cadre de procédures ordinaires ou d’urgence, les arrêtés plaçant un immeuble sous le régime des immeubles menaçant ruine entraînent des conséquences importantes pour les occupants, qu’il s’agisse des propriétaires occupants, des locataires ou des sous-locataires de bonne foi.
La mesure la plus grave susceptible d’être ordonnée par l’autorité administrative est l’évacuation sans délai de l’immeuble, assortie d’une interdiction temporaire ou définitive d’occuper les lieux (L184-1 CCH). En contrepartie, les occupants non-propriétaires bénéficient de mesures protectrices, imposant au propriétaire ou à l’exploitant une obligation de relogement ou d’hébergement et une participation financière à ces opérations (L521-1 CCH).
En outre, le loyer ou toute autre contrepartie financière pour l’occupation de l’immeuble cesse d’être due lorsque l’immeuble est soumis à un arrêté de péril (L521-2 CCH). Seules les charges locatives demeurent exigibles. En cas d’interdiction définitive d’habiter, les baux et contrats d’occupation sont résiliés de plein droit aux torts du bailleur.
Des sanctions pénales sont également prévues en cas d’atteinte aux droits des occupants ou de perception indue de loyers par les propriétaires.
B. Les obligations des propriétaires.
Les propriétaires d’immeubles frappés d’un arrêté de mise en sécurité ou de péril sont tenus d’exécuter dans les délais impartis les travaux prescrits pour remédier aux désordres constatés.
A défaut, ils s’exposent à des sanctions administratives et pénales, telles que des astreintes et l’exécution d’office des travaux à leurs frais.
En cas d’évacuation de l’immeuble, les propriétaires bailleurs doivent assumer l’obligation de relogement ou d’hébergement des occupants évincés et la suspension des loyers. Le non-respect de ces obligations est sévèrement sanctionné.
En cas d’arrêté de péril, le propriétaire ne peut percevoir de loyer de la part de son locataire, sous peine de poursuites pénales. Dans le cas d’un arrêté de mise en demeure, il peut continuer à percevoir les loyers.
Par ailleurs, lorsque l’immeuble relève du statut de la copropriété, l’existence de désordres, même limités à certains lots, suffit à placer l’intégralité de la copropriété sous le régime des immeubles menaçant ruine. Cette situation peut se révéler problématique dans le cas de grande copropriété subissant un désordre grave, mais localisé sur quelques lots.
Le syndicat des copropriétaires devra alors prendre les mesures nécessaires pour exécuter les travaux prescrits par l’arrêté.
Conclusion.
Au terme de cette analyse, il apparaît que le droit des immeubles menaçant ruine se trouve au carrefour des impératifs de sécurité publique, de protection des occupants et de respect du droit de propriété. Face à ce délicat équilibre, le législateur a doté les autorités publiques d’un arsenal juridique gradué, allant de l’arrêté de mise en sécurité à l’arrêté de péril, en passant par l’exécution d’office des travaux.
La distinction entre ces différents outils réside essentiellement dans leur caractère plus ou moins attentatoire aux droits des propriétaires et des occupants, en fonction de l’urgence de la situation. Si l’arrêté de mise en sécurité laisse une place importante au contradictoire et au dialogue avec les intéressés, l’arrêté de péril permet une intervention immédiate pour prévenir un danger imminent.
Mais quel que soit l’outil utilisé, la finalité reste la même : garantir la sécurité des occupants et du public tout en préservant autant que possible les droits des propriétaires. C’est pourquoi la loi encadre strictement les pouvoirs de l’administration, en imposant une motivation rigoureuse des décisions et en ménageant des garanties procédurales.
In fine, le régime des immeubles met en lumière la fonction protectrice du droit, qui vise à prémunir les personnes contre les risques liés à l’habitat dégradé, tout en s’efforçant de ne pas porter une atteinte excessive aux libertés individuelles. Une gageure qui appelle une vigilance constante des acteurs publics comme privés.
Discussion en cours :
Bonjour,
Les loyers sont suspendus même en cas d’arrêté de mise en sécurité ordinaire, et pas seulement d’urgence.