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  • 1re Parution: 14 mai 2020

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L’impact de la Covid 19 dans le domaine juridique.

L’étude des conséquences de la Covid 19 dans différentes matières juridiques, s’est basée sur le droit OHADA et la législation sénégalaise, notamment sur le droit privé, comme le droit des assurances, le droit pénal et procédure pénale, le droit social, le droit fiscal, le droit bancaire, le droit des procédures collectives, le droit des sociétés, le droit civil, les procédures civiles d’exécution.

La crise sanitaire aura évidemment des conséquences dans différentes matières juridiques, notamment sur les entreprises et les salariés. Ce qui nous pousse à inciter le Président de la République à prendre par ordonnance des mesures juridiques exceptionnelles, suite à la loi d’habilitation votée par l’Assemblée nationale.

Dans le domaine du droit des assurances.

Si des entreprises ont subi une interruption forcée de leurs activités et des pertes de chiffre d’affaires, la couverture du risque de pandémie est à admettre. La pandémie pourra être considérée comme une catastrophe économique indemnisable. Elles doivent en effet pouvoir compter sur l’assurance perte d’exploitation, suite à l’arrêt de leurs activités et être remboursées par leurs compagnies d’assurance, par le biais des garanties des pertes d’exploitation. Le gouvernement pourrait élaborer un projet de loi qui reconnaît la situation de catastrophe naturelle de la Covid 19. Le cadre législatif permettra ainsi aux entreprises assurées, ayant souscrit l’option de garantie perte d’exploitation, d’obtenir une compensation de leur perte d’exploitation.
Pour les entreprises de spectacle, si elles ont souscrit une assurance annulation et que l’annulation est due à la Covid 19, elles devraient être indemnisées par leur assureur.

Dans le domaine du droit pénal et de la procédure pénale.

On a noté la mise en danger, parfois délibérée, de la vie d’autrui dans les lieux publics, et même dans les hôpitaux. S’il y a un lien de causalité entre le préjudice et un tel fait, l’agissement doit être considéré comme fautif et être puni.
Quant au Code de procédure pénale, il prévoit la suspension des délais, en cas de trouble majeur au fonctionnement normal de la justice.
Les délais applicables en matière pénale sont à aménager, de même l’adaptation des règles de procédure pénale, les suspendre, pour permettre la continuité de l’activité pénale essentielle au maintien de l’ordre public et même les allonger, à compter de la date de cessation de la crise.
La prorogation des délais échus et l’adaptation des procédures visant à tenir compte des difficultés d’exécution permettront de paralyser les astreintes et les clauses contractuelles qui ont pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur.

Dans le domaine du droit du travail et de la sécurité sociale.

Le gouvernement pourrait inclure la Covid 19 dans la liste des maladies professionnelles et accidents du travail. Ainsi, suite à la contamination d’un travailleur, il pourra bénéficier d’une prise en charge par la sécurité sociale.
Pour les personnels soignants et les forces de l’ordre qui sont au front, qui sont les plus exposés au virus, la reconnaissance est, en principe, automatique, si leur contamination éventuelle est liée à leurs conditions de travail.
Pour les autres salariés qui sont soumis au régime de droit commun, ils devront apporter la preuve de l’imputabilité au travail, de leur contamination due à la profession exercée et aux contacts rapprochés effectués dans le cadre de celle-ci. Le risque de contamination par les collègues de travail positives à la Covid 19 ou par le fait, au sein de l’entreprise, d’avoir touché un objet infecté, est réel.
Lorsque la contamination est survenu pendant ou à l’occasion du travail, la Covid pourra être qualifié d’accident du travail, si le travailleur prouve qu’il a été contaminé pendant le travail .
Le gouvernement pourrait aussi créer un fonds d’indemnisation financé par l’Etat et les employeurs.

Il faut noter au passage qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses travailleurs. S’il ne leur a pas fourni le matériel de protection pour éviter le risque de contamination, il aura commis une faute inexcusable, sera donc responsable de l’absence de protection et devra les indemniser pour le préjudice subi, que le juge appréciera in concreto.
Par ailleurs, lorsque le système de protection est défectueux ou si le travailleur a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail représente un danger grave et imminent pour sa santé,il doit pouvoir exercer son droit de retrait (article 104 de la Convention collective nationale interprofessionnelle) mais ce droit n’est pas consacré par l’ordonnance, ce qui est à regretter. L’article 103 a prévu un droit d’alerte du salarié si la situation présente un péril grave, imminent pour sa vie ou sa santé, mais pendant la crise, il serait bon de mentionner son droit de retrait et même ultérieurement dans le Code du travail.
L’inspection du travail et de la sécurité sociale doit vérifier si le service médical de l’entreprise fonctionne correctement, s’il y a effectivement un comité d’hygiène et de sécurité pour les entreprises ayant au moins 50 salariés.
Elle doit également vérifier si l’employeur n’a pas licencié un salarié pendant cette période. Si le licenciement n’est pas justifié pour faute lourde, il sera nul et de nul effet (ordonnance n° 001-2020). Il faut souligner aussi qu’un salarié ne doit pas être mis en quarantaine, parce qu’il est suspecté simplement d’avoir la Covid 19. Son employeur doit plutôt recourir au médecin du travail, qui est en effet seul habilité à prescrire un arrêt de travail.
La suspension des départs négociés pendant la période de la pandémie est aussi à interdire pour éviter leur recours abusif de la part de l’employeur.
Pour le télétravail, en ce moment pratiqué par le personnel cadre, n’est malheureusement pas prévu en l’état actuel par la législation sociale. Si le poste occupé le permet, il est à mettre en place pour assurer la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. Il est souhaitable, comme il n’est pas pris expressément en compte par le Code sénégalais du travail, que le gouvernement le règlemente. Les outils existent pour le faire.
Quant au chômage technique, il est également prévu par l’ordonnance n° 001-2020, mais la mesure est prévue temporairement (pendant la période de la pandémie). Osons espérer qu’après la crise sanitaire, le législateur mentionnera expressément la pandémie dans l’article L 65 Code du travail.

Dans le domaine du droit fiscal.

Les entreprises doivent s’acquitter, à bonne de date, de leurs obligations fiscales, pour éviter les pénalités et les mesures de recouvrement forcé par le trésor public.
La dématérialisation des procédures fiscales étant une réalité au Sénégal, le contribuable peut déclarer et payer ses impôts et taxes en ligne. Les grandes entreprises ont même l’obligation de souscrire en ligne, elles doivent alors pouvoir payer la TVA collectée. En revanche, les autres impôts, tel l’impôt sur le revenu, peuvent être tributaires des circonstances (suspension de contrats, annulation de commandes, retrait de salariés …). Il faudrait en tenir compte.
Le fisc pourrait octroyer des mesures d’exonération fiscale aux TPE, PME et PMI fortement touchées par la crise sanitaire , la réduction du taux de la patente sur le transport, l’exonération des droits et taxes de porte sur les équipements de santé, matériels et autres intrants sanitaires qui entrent dans le cadre de la lutte contre la Covid 19.
Le CGI prévoit que le contribuable peut bénéficier, suite à sa demande au fisc, d’une remise ou d’un effacement partiel ou total de sa dette fiscale, s’il prouve qu’il traverse des difficultés qui le privent de ressources. Le gouvernement pourrait consentir des plans d’échelonnement, suspendre les procédures fiscales, notamment les avis à tiers détenteurs. Il pourrait aussi exonérer la TVA à l’importation et la vente de produits de première nécessité.

Dans le domaine bancaire.

Il est possible que les PME et PMI soient confrontées à un problème d’endettement et de financement de leurs activités. La baisse des taux d’intérêt des banques privées et des institutions de micro finance qui sont excessifs est à préconiser, d’autant plus que la BCEAO a baissé son taux directeur.

Dans le cadre du droit communautaire OHADA

Le domaine du droit des procédures collectives d’apurement du passif.

La crise sanitaire risque d’engendrer la défaillance de pas mal de TPE, PME et PMI , malgré les mesures, notamment fiscales et financières, prises par le gouvernement en leur faveur.
Pour cette matière, il faut se référer à l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, puisqu’aucune dérogation ne peut être prise au plan national.
S’il y a arrêt des activités et dépôt de bilan, l’entreprise en cessation d’activités se trouvera dans un état d’insolvabilité. Le débiteur d’une créance affecté par la crise peut alors se retrouver en cessation de paiement. Il serait donc judicieux de modifier temporairement les règles existantes en matière de procédures collectives pour adapter leur mise en œuvre.

Les mesures à prendre :
- demander au Conseil des Ministres de se réunir, dans les plus brefs délais, par visioconférence. Ainsi, les décisions qu’il prendra s’appliqueront à toutes les sociétés commerciales de l’espace OHADA.
- donner la possibilité au débiteur de pouvoir présenter la procédure de redressement au-delà du délai imparti. Ainsi, les créanciers qui n’ont pas pu produire leur créance dans le délai requis, pourront demander au juge un relevé de forclusion.
Pour la procédure de conciliation, comme la durée maximale est de 4 mois, l’OHADA pourrait envisager de proroger le délai à 6 mois.

Le domaine du droit des sociétés.

L’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE n’a pas prévu la pandémie. On pourrait toutefois reconnaître la Covid 19 comme une pandémie.
Des décisions stratégiques devront alors être prises pour s’adapter à la crise. L’assouplissement temporaire des textes est souhaitable, notamment la révision des statuts pour permettre le report des délais d’arrêté et d’approbation des comptes sociaux annuels et d’affectation des résultats de 2019.

Des mesures qui pourraient être prises :
- adapter l’application du droit des sociétés
- revoir les modalités de tenue des réunions des organes de gouvernance
- mettre l’accent sur le vote par correspondance, le vote à distance, la vidéoconférence, prévue par l’AU.

Dans le secteur bancaire, la BCEAO pourrait permettre aux banques de tenir les réunions, sans la nécessité d’une présence physique pendant la crise.
Le Centre régional de l’épargne publique et des marchés financiers pourrait prendre des mesures spéciales pour les sociétés cotées à la BRVM de l’UEMOA.
Il est souhaitable que le gouvernement n’applique pas de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance ou d’activation des garanties ou cautions.

Le système actuel de l’OHADA est à adapter, on pourrait adopter dans les plus brefs délais, un acte uniforme portant mesures urgentes en cas de crise, pour ne plus être pris au dépourvu.

Dans le domaine du droit civil.

La crise sanitaire risque d’entraîner de nombreux contentieux.
Le gouvernement peut bien déclarer la Covid 19 comme un cas de force majeure (article 129 du COCC). Pour le contrat de longue durée, la force majeure temporaire peut entraîner la suspension du contrat jusqu’à la cessation de la pandémie. En cas de litige, il appartiendra au juge d’apprécier cas par cas, si les circonstances justifient l’usage de la force majeure, d’étudier si le covid 19 est suffisant pour annuler le contrat. Les parties pourront aussi faire appel à l’arbitrage international, s’il est prévu une clause d’arbitrage dans le contrat.
Pour ce qui est de l’exécution des contrats, il est temps que le Conseil des Ministres de l’OHADA adopte l’Acte uniforme relatif au droit des obligations et d’y consacrer l’imprévision prévue d’ailleurs par le projet d’Acte uniforme. Cela permettra ainsi le recours soit à la force majeure, soit à l’imprévision.

Dans le domaine des procédures civiles d’exécution.

Dans le cadre d’une mesure d’exécution forcée ou d’une saisie conservatoire, il peut y avoir un problème de respect des délais.
S’il y a carence ou refus du concours de la force publique à l’exécution forcée du titre exécutoire, au sens de l’AU portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la responsabilité de l’Etat ne pourra être retenue, vu la situation de pandémie.
Les recours et voies de recours peuvent être effectuées par voie électronique, de même que les tâches administratives des greffes (les conclusions d’avocats, les actes d’huissier, la communication de pièces) nécessaires à la tenue des audiences.

Dans le domaine du médicament.

Le Sénégal ne produisant presque pas de médicaments, il serait judicieux que l’État accompagne le secteur pharmaceutique, pour répondre aux défis de la santé. Pour cela, il pourrait prendre les mesures suivantes :
- développer une industrie locale de fabrication de médicaments et de matériel médical, - être actionnaire dans les entreprises pharmaceutiques,
- mettre en place rapidement le centre d’incubation et de recherche,
- exonérer de taxes les matières premières importées (qui entrent dans la fabrication de médicaments),
- inciter les investisseurs privés à investir dans le secteur pharmaceutique en leur accordant des exonérations fiscales conséquentes,
- abaisser le taux minimal de 51% du capital social d’une industrie pharmaceutique exigé aux pharmaciens qui ne disposent pas très souvent d’une grande capacité financière (très peu peut acquérir des actions, le secteur demande d’énormes moyens financiers),
- créer une fondation pour la recherche médicale,
- augmenter considérablement le budget très faible octroyé à la recherche scientifique,
- aider au financement direct d’entreprises pharmaceutiques,
- encourager le transfert de technologies.

L’UA pourrait harmoniser le droit pharmaceutique et créer une agence africaine chargée du médicament et de la santé.
Pendant une crise, le Gouvernement peut certes légiférer dans l’urgence, après autorisation du Parlement par une loi d’habilitation, mais au sortir de la pandémie qui, comme on le sait, a surpris le monde, le droit doit nécessairement prendre son temps, pour avoir un droit bien réfléchi, tenant compte des leçons apprises de cette pandémie.

Marie-Pierre SARR
Docteur en droit.

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