L’impact de l’IA sur les entreprises SaaS : opportunités et risques juridiques (2024-2025).

Par Mustapha Barry, Avocat.

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Le marché du SaaS connaît une croissance rapide, atteignant 344 milliards de dollars d'ici 2027. L'IA transforme ce secteur, offrant des opportunités d'automatisation et de personnalisation. Cependant, des défis juridiques subsistent, notamment la conformité au RGPD, les biais algorithmiques et les questions de propriété intellectuelle. La préparation contractuelle est essentielle.
Description rédigée par l'IA du Village

L’intelligence artificielle connaît une adoption explosive dans le secteur des logiciels SaaS depuis 2023, portée notamment par les avancées en IA générative (ex. chatbots type ChatGPT). En 2024, les investissements des entreprises dans l’IA générative ont atteint 13,8 milliards de dollars, soit 6 fois plus qu’en 2023, signe d’un passage des expérimentations aux déploiements à grande échelle. 76% des éditeurs de logiciels et plateformes cloud indiquent avoir déjà intégré ou prévu d’intégrer de l’IA générative à leurs offres, témoignant de la généralisation rapide de ces technologies dans les solutions SaaS. Les effets sur la productivité sont tangibles : près de la moitié des entreprises ayant adopté l’IA signalent des gains de productivité de 5 à 10%, et un quart espèrent des gains de 11 à 22%.

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Cette dynamique de marché s’inscrit dans un contexte de croissance soutenue du SaaS. Le secteur atteindra un volume mondial estimé à 344 milliards de dollars d’ici 2027. Les géants du logiciel (Salesforce, Adobe, Microsoft, etc.) intègrent déjà l’IA pour optimiser leurs produits. Cinq tendances majeures tirent la transformation numérique en France : le cloud, la cybersécurité, le big data, les services d’IA et le numérique responsable. En 2024, le marché français des services d’IA est évalué à 1,8 milliard d’euros (+5% de croissance), accéléré par la démocratisation de nouvelles technologies d’IA. Toutefois, des obstacles subsistent : 39% des entreprises peinent à identifier des cas d’usage à forte valeur, 35% font face à une pénurie de talents en IA, et 45% avouent méconnaître le nouveau cadre réglementaire (futur AI Act européen) encadrant l’IA.

Opportunités offertes par l’IA pour les acteurs SaaS.

L’essor de l’IA représente un levier d’innovation majeur pour les éditeurs SaaS. Parmi les principales opportunités offertes, on peut citer :

  • Automatisation des processus : l’IA permet d’automatiser de nombreuses tâches répétitives au sein des logiciels SaaS, des chatbots de support client aux workflows métier optimisés. Cette automatisation réduit l’intervention manuelle, limite les erreurs humaines et accélère les processus, libérant les équipes pour des missions à plus forte valeur ajoutée. Les entreprises gagnent en efficacité opérationnelle et en réactivité face aux besoins clients.
  • Personnalisation et expérience utilisateur : en analysant de vastes ensembles de données, l’IA favorise l’hyperpersonnalisation des services SaaS. Les algorithmes d’apprentissage peuvent adapter en temps réel l’interface, les recommandations ou le contenu proposé à chaque utilisateur en fonction de son profil et de ses actions. Cette personnalisation accrue améliore l’expérience utilisateur et la satisfaction client, ce qui constitue un avantage concurrentiel notable pour les éditeurs SaaS.
  • Gains de productivité et nouvelles fonctionnalités : l’IA génère des gains de productivité internes (aide à la rédaction de code, assistants virtuels pour les employés, analyse prédictive facilitant la prise de décision) et permet de développer de nouvelles fonctionnalités intelligentes. Par exemple, des modules d’analyse prédictive peuvent anticiper les tendances ou le churn client, et l’IA conversationnelle intégrée améliore le support 24/7. Presque tous les métiers tirent parti de ces avancées : développeurs (assistants de codage), commerciaux (scoring automatisé), marketing (contenus générés automatiquement), etc. Les solutions SaaS deviennent plus riches, proactives et “intelligentes”, ouvrant des opportunités de revenus additionnels pour les éditeurs qui les adoptent.

Risques juridiques spécifiques posés par l’IA aux entreprises SaaS.

Malgré ces opportunités, l’intégration de l’IA dans un SaaS soulève des enjeux juridiques inédits qu’il convient d’anticiper. Parmi les principaux risques juridiques spécifiques à l’IA figurent :

Conformité RGPD et protection des données personnelles.

L’utilisation de l’IA peut impliquer le traitement massif de données, dont des données personnelles, ce qui soumet les éditeurs SaaS aux exigences strictes du RGPD. Le Règlement général sur la protection des données s’applique pleinement dès lors qu’un modèle d’IA traite des données personnelles, que ce soit dans les données d’entraînement du modèle ou via les requêtes (prompts) des utilisateurs. La CNIL a rappelé que le RGPD, bien qu’exigeant, n’entrave pas l’innovation en IA mais impose de l’adapter aux spécificités de ces systèmes. Ainsi, les principes de base doivent être déclinés au contexte de l’IA :

  • Finalité déterminée : même pour un modèle d’IA généraliste, le fournisseur doit définir l’objectif du traitement et les usages envisagés aussi précisément que possible (ex. type de fonctionnalités prévues).
  • Minimisation des données : l’entraînement peut nécessiter de larges volumes de données, ce qui est admissible tant que les données sont sélectionnées et nettoyées pour écarter les informations inutiles.
  • Transparence et information : si des données personnelles de tiers sont utilisées pour entraîner un modèle, les personnes concernées doivent être informées même si le contact individuel est impossible. La CNIL admet qu’une information générale publique (par exemple sur le site web) mentionnant les catégories de sources de données employées peut suffire dans ce cas.
  • Droits des personnes : en théorie, les individus conservent leurs droits d’accès, rectification, opposition, effacement de leurs données. En pratique, il est souvent difficile d’extraire ou de modifier des données “embarquées” dans un modèle d’IA. La CNIL recommande d’intégrer la protection de la vie privée dès la conception (Privacy by Design) et d’anonymiser les modèles autant que possible. Les acteurs doivent aussi implémenter des mécanismes pour empêcher la révélation par l’IA de données personnelles sensibles mémorisées dans le modèle. Si malgré tous les efforts, l’exercice effectif de certains droits (ex. effacement) s’avère impossible ou disproportionné, le responsable du traitement doit pouvoir le justifier - la CNIL se montrera pragmatique si des solutions raisonnables ont été tentées et que la technologie actuelle ne permet pas mieux.

Le non-respect du RGPD expose les entreprises SaaS à des sanctions élevées (amendes jusqu’à 4% du CA mondial) et à un risque d’atteinte à la réputation. De plus, les autorités comme la CNIL surveillent de près les usages de l’IA : en 2023, l’Italie a même temporairement suspendu ChatGPT pour non-conformité, montrant la vigilance européenne. Il est donc crucial d’effectuer des analyses d’impact (AIPD/DPIA) avant de déployer des fonctionnalités d’IA traitant des données personnelles sensibles, de documenter les traitements et de mettre en place des garanties (chiffrement, gouvernance des données, contrôle des accès) appropriées.

Biais algorithmiques, discrimination et éthique de l’IA.

Les modèles d’IA peuvent involontairement reproduire ou aggraver des biais algorithmiques présents dans les données d’entraînement, posant un risque de discrimination illégale. Par exemple, un SaaS RH utilisant l’IA pour filtrer des CV pourrait défavoriser systématiquement certains profils (genre, origine, âge…) si son modèle n’a pas été entraîné de manière neutre. De tels biais peuvent engager la responsabilité de l’éditeur au titre de la non-discrimination (droit du travail, égalité devant le service, etc.) ou constituer des pratiques commerciales trompeuses. Aux États-Unis, la FTC a mis en garde les entreprises contre les IA biaisées ou trompeuses, rappelant qu’elles pourraient violer les lois sur la protection du consommateur ou anti-discrimination existantes.

En Europe, le futur Règlement IA (AI Act) - adopté politiquement fin 2023 - classera certains usages d’IA comme “à haut risque” (notamment ceux affectant l’accès à l’emploi, au crédit, aux services publics, etc.). Les systèmes d’IA à haut risque devront faire l’objet d’évaluations rigoureuses, incluant des tests pour prévenir les biais et assurer la non-discrimination. Même pour des outils IA de moindre risque intégrés à un SaaS, les éditeurs ont tout intérêt à adopter une démarche éthique proactive : audit des algorithmes, équipes diversifiées pour les entraîner, et possibilité d’intervention humaine en cas de décision automatisée affectant significativement un utilisateur (conformément à l’article 22 RGPD). En 2024-2025, les professionnels attendent des éditeurs qu’ils garantissent une IA explicable, transparente et équitable. À défaut, outre les contentieux juridiques, le risque est aussi réputationnel dans un contexte où les clients finaux se montrent de plus en plus sensibles à l’éthique numérique.

Propriété intellectuelle : données d’entraînement et contenus générés.

L’IA dans un SaaS soulève d’importants défis de propriété intellectuelle (PI).

D’une part, les modèles d’IA sont entraînés à partir de volumes massifs de données (textes, images, code, etc.) souvent collectées sur Internet. Or ces données contiennent fréquemment des œuvres protégées par le droit d’auteur dont les éditeurs de l’IA n’ont pas obtenu l’autorisation. Cela pose la question de la légalité du data mining réalisé pour l’entraînement. D’autre part, les contenus générés par l’IA (texte, image, musique, code…) peuvent eux-mêmes enfreindre des droits sans que cela soit évident pour l’utilisateur ou le fournisseur du SaaS.

En 2023-2024, plusieurs actions en justice de grande ampleur ont été engagées à travers le monde sur ces questions. Aux États-Unis, des auteurs et artistes ont intenté des recours collectifs contre des fournisseurs d’IA : par exemple, l’affaire Kadrey c. Meta oppose des écrivains à Meta qu’ils accusent d’avoir entraîné le modèle LLaMA sur leurs romans sans autorisation. Un juge californien a déjà écarté certains fondements (œuvre dérivée, etc.) mais a jugé recevable la plainte pour violation du Digital Millennium Copyright Act concernant la suppression des mentions de gestion des droits. De même, OpenAI et Microsoft font face à une plainte du New York Times pour l’utilisation non autorisée des articles du journal afin d’entraîner des IA - en mars 2025, un juge a décidé que le cœur des griefs en contrefaçon pouvait être instruit. En France, fin 2023, trois organisations d’éditeurs et d’auteurs (SNE, SGDL, SNAC) ont lancé la première action judiciaire contre Meta pour utilisation sans autorisation d’œuvres protégées lors de l’entraînement de ses modèles. Ces procédures visent à faire respecter les droits d’auteur et exiger la purge des bases de données utilisées illégalement. Leur issue sera déterminante pour clarifier dans quelle mesure l’entraînement d’une IA sur des données tierces non libres relève de la contrefaçon ou peut être excusé par des exceptions.

Justement, l’Union européenne a récemment ajusté son cadre juridique. La Directive 2019/790 a introduit des exceptions de fouille de texte et de données (text and data mining). L’une est réservée à la recherche scientifique, l’autre autorise la fouille à des fins commerciales sauf opposition expresse des titulaires de droits (système d’opt-out). En septembre 2024, le tribunal régional de Hambourg a rendu la première décision judiciaire sur ce sujet : il a jugé que l’association LAION (fournissant une base d’images utilisée pour entraîner Stable Diffusion) avait pu légalement exploiter des photos protégées sans l’accord de l’auteur, en invoquant l’exception de text/data mining, dès lors que la base de LAION était mise à disposition gratuitement et sans but commercial. Ce jugement (concernant un organisme non lucratif) laisse ouverte la question pour les acteurs commerciaux, mais il montre que les tribunaux européens commencent à se prononcer sur la licéité de l’entraînement des IA au regard du droit d’auteur.

Par ailleurs, le Règlement européen sur l’IA (IA Act) adopté en 2024 intègre des obligations visant à concilier IA et propriété intellectuelle. Les développeurs de modèles d’IA générative devront fournir une documentation détaillée sur les données d’entraînement, y compris indiquer si des œuvres protégées figurent dans le lot. L’AI Act imposera aussi un étiquetage clair des contenus générés par une IA, afin que les utilisateurs (et les ayants droit) sachent qu’un texte ou une image a été produit par machine. Ces mesures de transparence visent à permettre aux créateurs d’identifier l’usage de leurs œuvres et, le cas échéant, de faire valoir leurs droits (demande de retrait, action en contrefaçon…). En somme, un éditeur SaaS incorporant de l’IA devra s’assurer de disposer des droits nécessaires sur les données qu’il utilise (ou à défaut d’être couvert par une exception légale), et informer adéquatement sur les contenus générés par IA. Faute de quoi, il s’expose à des litiges en contrefaçon, en violation de marque (si l’IA génère des logos similaires à des marques existantes) voire en atteinte au droit à l’image ou à la vie privée. L’incertitude juridique reste élevée sur ces sujets en 2024-2025 (“ère Napster” de l’IA générative, selon l’expression de certains), en attendant des jurisprudences consolidées ou une harmonisation législative. La prudence s’impose donc pour limiter les risques PI lors du déploiement d’outils d’IA dans un SaaS.

Responsabilités contractuelles et défaillances logicielles de l’IA.

L’intégration d’une IA dans un logiciel SaaS peut modifier le régime de responsabilité de l’éditeur vis-à-vis de ses clients. En effet, si le module d’IA se trompe, produit un contenu inapproprié ou cause un dommage, le client pourrait rechercher la responsabilité du fournisseur du SaaS pour défaillance du service. Plusieurs angles d’attaque sont envisageables : manquement contractuel (si le résultat escompté n’est pas au rendez-vous), responsabilité délictuelle (si une erreur d’IA cause un préjudice à un tiers, ex. diffusion d’une information diffamatoire générée par l’IA) ou encore, à l’avenir, responsabilité du fait des produits défectueux.

Sur ce dernier point, l’UE a en 2024 modernisé la directive sur la responsabilité du fait des produits pour l’adapter à l’ère numérique. Le nouveau texte (Directive (UE) 2024/ adoptée en octobre 2024) élargit la définition de « produit » aux logiciels, y compris l’IA. Ainsi, un SaaS comportant de l’IA pourra être considéré comme un produit dont le fournisseur est responsable en cas de défaut. La notion de défaut est d’ailleurs adaptée : elle inclut désormais le fait qu’un produit puisse apprendre et évoluer après sa mise en marché. Un comportement imprévu ou dangereux émergent d’une IA intégrée pourra donc être jugé comme un défaut engageant la responsabilité du fabricant, qui est censé avoir conçu le système pour éviter les dérives nuisibles. De même, ne pas fournir les mises à jour de sécurité adéquates pour un logiciel/IA pourra constituer un défaut engageant la responsabilité du fournisseur en cas de dommage. Ce nouveau régime, une fois transposé (horizon 2025-2026), facilitera les recours des victimes : il introduit par exemple des présomptions de causalité ou de défaut dans les cas complexes, et oblige le fournisseur à divulguer certaines informations techniques pour aider la preuve.

En parallèle, la proposition de directive européenne sur la responsabilité de l’IA (AI Liability) visait à alléger la charge de la preuve pour les victimes cherchant à établir une faute (discrimination, etc.) liée à un système d’IA. Ce texte est incertain (il pourrait être abandonné au profit du seul régime produits), mais illustre la tendance générale : renforcer la responsabilisation des concepteurs d’IA.

Dès aujourd’hui, un éditeur SaaS doit donc anticiper qu’il pourrait être tenu contractuellement responsable si son IA intégrée n’est pas à la hauteur des engagements. Par exemple, un SLA (accord de niveau de service) garantissant un certain taux de fiabilité pourrait être mis en défaut par les erreurs d’une fonctionnalité d’IA. Surtout, en l’absence de clauses spécifiques, un client pourrait arguer que le résultat fourni par l’IA était un conseil erroné engageant la responsabilité du prestataire. Imaginons un SaaS comptable qui utiliserait l’IA pour générer des écritures automatiques : si l’IA commet une bourde entraînant une pénalité fiscale pour le client, la question de la prise en charge du préjudice se posera.

De plus, l’éditeur SaaS est susceptible d’hériter des responsabilités du fournisseur tiers d’IA qu’il intègre. Par exemple, en utilisant une API d’IA externe (OpenAI, AWS, etc.), le SaaS passe contrat avec ce fournisseur. Or, les conditions de ces API comportent généralement de larges exclusions de garanties et limitations de responsabilité au bénéfice du fournisseur d’IA : les outils sont fournis « as is » sans garantie de qualité ou d’exactitude, et le fournisseur exclut toute responsabilité pour les contenus générés ou les dommages éventuels. Il n’est pas rare qu’ils imposent même à l’utilisateur (ici le SaaS) une obligation d’indemniser le fournisseur d’IA en cas de réclamation d’un tiers due à l’utilisation de l’outil. En bout de chaîne, le client du SaaS, lui, se retournera contre l’éditeur du SaaS en cas de problème, quelle qu’en soit la source. Faute de clauses de protection dans son propre contrat client, l’éditeur SaaS pourrait donc se retrouver en première ligne pour assumer des dommages causés indirectement par un composant d’IA tiers.

En résumé, l’IA accroît l’exposition des SaaS aux risques de pannes imprévues, d’erreurs métier, de violations de droits ou de dommages aux tiers, et complexifie le partage des responsabilités. D’où l’importance, détaillée ci-après, de mettre à jour les documents contractuels (CGU, contrats, politiques…) afin de se prémunir au mieux contre ces risques.

Nouvelles exigences contractuelles pour encadrer l’usage de l’IA dans un SaaS.

Pour gérer ces risques, les éditeurs de SaaS intégrant de l’IA doivent adapter leurs documents contractuels et légaux. Plusieurs types de documents sont à mettre à jour ou à compléter :

  • Conditions Générales d’Utilisation/Vente (CGU/CGV) : il convient d’y ajouter des clauses spécifiques sur les fonctionnalités d’IA. D’abord, informer l’utilisateur de la présence d’IA (transparence) et de sa finalité. Ensuite, encadrer les usages autorisés : par exemple interdire d’utiliser l’IA intégrée pour générer du contenu illégal, discriminatoire, donner des conseils médicaux ou juridiques, etc. De nombreux services IA prévoient ainsi des politiques d’usage acceptable prohibant la génération de contenu illicite, haineux, trompeur ou violant des droits de tiers. Ces restrictions doivent être reflétées dans les CGU du SaaS et opposables aux utilisateurs finaux. En parallèle, il est recommandé d’intégrer une clause de non-responsabilité spécifique sur les résultats produits par l’IA : préciser que le contenu généré automatiquement l’est à titre informatif ou d’assistance, sans garantie d’exactitude ou d’exhaustivité.

Par exemple, les conditions de services d’IA de Square indiquent que la société « ne garantit pas l’exactitude ou la fiabilité des résultats générés et n’assume aucune responsabilité quant aux contenus produits par l’IA ». De même, on peut exiger que l’utilisateur n’agisse pas aveuglément sur les recommandations de l’IA sans vérification humaine, surtout dans des domaines sensibles, et obtenir qu’il reconnaisse utiliser ces fonctionnalités à ses propres risques. Enfin, si l’IA fournit du contenu, il peut être opportun d’obliger l’utilisateur à mentionner que ce contenu a été généré par une IA (aligné en cela avec les obligations de l’AI Act sur la transparence). En synthèse, les CGU/CGV doivent à la fois limiter la responsabilité de l’éditeur sur l’IA et responsabiliser l’utilisateur dans l’usage qu’il en fait.

  • Contrat de traitement des données (DPA) : en SaaS, l’éditeur agit souvent en sous-traitant (processor) pour le compte de ses clients (qui sont responsables de traitement) lorsqu’il héberge et traite des données personnelles. L’introduction d’une fonctionnalité d’IA peut impliquer de nouveaux traitements de données personnelles, qu’il faut refléter dans l’avenant de traitement (Data Processing Agreement conforme à l’art. 28 RGPD). Il faudra notamment y décrire les traitements automatisés additionnels, leur finalité et leur base légale (souvent l’exécution du contrat, voire le consentement si l’IA fait du profilage marketing). Si l’IA fait appel à un prestataire tiers (par ex. envoie des données à OpenAI, Google Cloud, etc.), ce tiers devient un sous-traitant ultérieur du client : le DPA doit prévoir l’autorisation de ce sous-traitant et idéalement l’identifier nommément. Il faut aussi s’assurer du transfert légal des données vers ce tiers (beaucoup de fournisseurs d’IA sont aux États-Unis : mettre en place des clauses contractuelles type, etc.). Le DPA devra exiger que le fournisseur d’IA offre des garanties suffisantes en matière de sécurité et confidentialité. Par ailleurs, si l’IA traite des données personnelles sensibles (par ex. une IA RH traitant des CV), une analyse d’impact doit être prévue contractuellement ou dans la documentation, et le fournisseur SaaS s’engage à aider le client à la mener. Enfin, le DPA doit aborder la conservation et la suppression : par exemple préciser si les données envoyées à l’IA sont stockées, réutilisées pour son entraînement ou supprimées immédiatement après obtention du résultat (point crucial vis-à-vis de la confidentialité : certains fournisseurs offrent des options “no data retention” pour les clients entreprise). En résumé, le DPA doit être mis à jour pour cadrer précisément l’utilisation de l’IA sur les données, en toute conformité RGPD, et prévoir les responsabilités respectives en cas de violation.
  • Politique de confidentialité : du point de vue des personnes concernées (utilisateurs finaux du SaaS, ou leurs propres clients), la politique de confidentialité doit être actualisée pour décrire les nouveaux traitements automatisés par IA. Il s’agit de respecter les obligations de transparence (articles 13/14 RGPD) : indiquer qu’une IA peut analyser les données de l’utilisateur, générer des contenus à partir de celles-ci, etc., en précisant les finalités (ex. amélioration du service, personnalisation, support virtuel…). Si l’IA effectue un profilage ou une prise de décision automatisée produisant des effets juridiques ou significatifs pour l’utilisateur, cela doit être explicitement mentionné, avec l’indication du droit de demander l’intervention humaine ou de contester la décision (article 22 RGPD). La politique doit également informer sur les destinataires des données : par exemple, préciser que certaines données peuvent être transmises à un prestataire d’IA (nommer le prestataire et renvoyer vers sa documentation si approprié). La question de l’entraînement sur données réelles doit être clarifiée : si l’éditeur utilise les données des clients pour améliorer ses algorithmes (apprentissage continu), cela doit être mentionné et justifié par une base légale (souvent l’intérêt légitime, ce qui suppose que l’utilisateur ait la possibilité de s’y opposer). Enfin, la politique doit rappeler les droits des utilisateurs sur leurs données même dans le contexte de l’IA (accès, rectification, effacement, opposition), tout en restant honnête sur les éventuelles limitations techniques (comme évoqué plus haut, effacer une donnée “apprise” par un modèle peut être complexe - mais l’utilisateur doit au moins pouvoir demander la suppression de ses données d’entraînement dans la mesure du possible). En somme, il s’agit d’assurer une information complète et loyale sur l’usage de l’IA et ses implications en matière de données personnelles, afin que les utilisateurs gardent confiance et que l’éditeur soit couvert en cas de contrôle.
  • Clauses de responsabilité et garanties : les contrats (CGV ou contrat-cadre SaaS) doivent intégrer des clauses limitatives de responsabilité spécifiques à l’IA. Par exemple, exclure explicitement la responsabilité de l’éditeur pour les dommages indirects causés par une recommandation erronée de l’IA, ou fixer un plafond d’indemnisation spécifique pour les fonctionnalités en bêta ou fondées sur l’IA (certains fournisseurs vont jusqu’à limiter la responsabilité à un montant symbolique pour les fonctionnalités expérimentales propulsées par IA). Il est aussi conseillé d’insérer une clause de non-garantie : l’éditeur ne garantit pas que les fonctions d’IA répondront parfaitement aux attentes, ni que les outputs de l’IA seront exempts d’erreurs ou appropriés à un usage particulier - de telles clauses sont désormais courantes dans les Terms of Service des services d’IA. En parallèle, l’éditeur devrait réviser ses clauses d’indemnisation : idéalement, obtenir du client qu’il le garantisse contre toute réclamation d’un tiers liée à l’utilisation qu’il fait de l’IA (par exemple si le client utilise l’IA du SaaS pour générer un contenu contrefaisant le droit d’auteur d’un tiers, que le tiers attaque le fournisseur SaaS, alors le client devra indemniser le SaaS de ce recours). Cette répartition des risques vers l’utilisateur peut se justifier car l’éditeur n’a pas le contrôle sur la manière dont l’utilisateur exploite l’outil (surtout si celui-ci l’utilise pour des finalités non prévues ou en y introduisant des données illicites). En revanche, le SaaS devra lui-même veiller à obtenir des garanties de son fournisseur d’IA : par exemple, certaines entreprises comme OpenAI proposent aux clients professionnels des indemnités en cas de violation de droits de propriété intellectuelle par le modèle. Si le fournisseur d’IA n’offre aucune garantie, cela devra être assumé et répercuté dans la relation client. Enfin, il peut être opportun de prévoir une clause de sortie : si l’évolution légale ou technique de l’IA venait à poser un problème majeur (par ex, une réglementation future interdisant l’usage d’une IA non certifiée), l’éditeur pourrait suspendre ou modifier la fonctionnalité sans engager sa responsabilité contractuelle (clause de force majeure ou de changement de loi).
    En résumé, l’ensemble du cadre contractuel (CGU/CGV, DPA, politiques internes) doit être revu et renforcé afin d’encadrer l’IA de manière transparente tout en protégeant juridiquement l’éditeur SaaS. Cet effort de contractualisation est indispensable pour continuer à innover avec l’IA tout en maîtrisant les risques.

Recommandations pratiques pour les juristes accompagnant les éditeurs SaaS.

Face à ces enjeux, les avocats et juristes conseillant des éditeurs de SaaS intégrant de l’IA devraient adopter une approche proactive et multidisciplinaire. Voici quelques recommandations clés :

1. Réaliser un audit des usages d’IA et des risques associés : commencez par dresser un inventaire des fonctionnalités d’IA envisagées ou déjà intégrées dans le SaaS. Pour chacune, identifiez les données traitées, les décisions automatisées prises, les fournisseurs tiers impliqués. Conduisez une analyse d’impact juridique couvrant à la fois les aspects RGPD (DPIA si nécessaire) et les autres risques (éthique, biais, PI, sécurité…). Cet audit permet de cibler où concentrer les mesures de conformité et les protections contractuelles.

2. Suivre de près l’évolution du cadre légal et réglementaire : le domaine de l’IA est en pleine effervescence normative. Assurez-vous de rester informés des nouvelles obligations : la mise en œuvre du Règlement IA européen (attendu d’ici 2025, avec possiblement des obligations dès 2025 pour certains systèmes), les lignes directrices de la CNIL (qui a publié en 2023-2025 plusieurs recommandations sur l’IA), les décisions jurisprudentielles marquantes en Europe et à l’étranger (ex. décisions à venir dans les procès sur le droit d’auteur, éventuelles jurisprudences sur la responsabilité en cas de préjudice causé par l’IA, etc.). De même, tenez à l’œil les initiatives hors UE si le SaaS est déployé internationalement : par exemple aux USA, les orientations de la FTC ou d’États comme la Californie sur la transparence de l’IA et la lutte contre la discrimination algorithmique. Anticipez : mieux vaut adapter progressivement les pratiques avant d’y être contraint par la loi (par exemple, implémenter dès maintenant des mécanismes d’étiquetage “AI-generated” et de la documentation sur les données d’entraînement, sachant que l’AI Act l’exigera sous peu).

3. Mettre à jour l’ensemble des documents juridiques : comme vu ci-dessus, adaptez les CGU/CGV, contrats clients, DPA, politiques de confidentialité. Insérez-y les clauses spécifiques IA (transparence, limites d’usage, exclusions de garantie, partage de responsabilité…). Vérifiez aussi les contrats fournisseurs : si le SaaS repose sur une API d’IA ou un module externe, examinez les conditions de ce fournisseur et négociez si possible un meilleur engagement (certaines grandes entreprises pourront obtenir des modalités dédiées, par ex. non-utilisation des données client pour réentraîner l’IA, engagement de performance, etc.). Établissez des modèles de clauses pouvant être réutilisés pour les futures intégrations d’IA. N’oubliez pas d’intégrer la conformité IA également dans les politiques internes de l’entreprise (charte éthique de développement, etc.).

4. Renforcer la gouvernance interne et la formation : conseillez à l’éditeur SaaS de mettre en place un comité interne IA associant juristes, techniciens, et éventuellement responsables éthiques, chargé de superviser le développement et le déploiement responsable de l’IA. Ce comité pourra valider les évaluations de risques, suivre les retours des utilisateurs et garantir un pilotage humain approprié des systèmes automatisés. En parallèle, déployez une politique d’utilisation de l’IA en interne : par exemple, former les développeurs et data scientists aux enjeux juridiques (protection des données, biais, copyright) et aux bonnes pratiques (ne pas injecter de données sensibles d’un client dans un modèle sans vérification, respecter les conditions d’utilisation des jeux de données open source, etc.). Les employés doivent aussi être conscients que toute information confidentielle ou personnelle incluse dans un prompt d’IA externe peut potentiellement sortir du périmètre (exposition à d’autres utilisateurs ou à l’entraînement global). Une formation régulière et des guidelines claires sont indispensables pour créer une culture de l’IA responsable au sein de l’éditeur.

5. Mettre en place des garde-fous techniques et procéduraux : le respect du droit ne passe pas que par des textes, il doit se traduire techniquement. Recommandez la mise en œuvre de filtres et de contrôles automatisés pour l’IA intégrée : par exemple, un filtre de contenus pour empêcher que l’IA ne produise des propos illicites (haineux, diffamatoires, etc.), et des limites sur les types de données traitées (ne pas permettre l’analyse de données sensibles sans base légale solide). Concevez l’IA de manière à ce qu’il y ait une supervision humaine pour les cas d’usage critiques : l’utilisateur final doit pouvoir reprendre la main ou demander une confirmation humaine si une décision de l’IA lui semble contestable. Documentez les choix algorithmiques, conservez des logs des décisions de l’IA (pour pouvoir expliquer un résultat et le corriger si besoin). De plus, prévoyez un processus de gestion des incidents IA : que faire si l’IA “dérape” (par ex. propose un conseil dangereux) ? Qui alerter, comment rectifier, comment informer les clients ? Cette préparation opérationnelle est essentielle pour réagir vite et limiter l’impact d’un incident, y compris juridiquement (montrer que l’éditeur a agi diligemment dès la découverte du problème peut limiter sa responsabilité).

6. Adopter une approche contractuelle équilibrée avec les clients : nien que la tentation soit grande de se protéger au maximum via des clauses de non-responsabilité, rappelez à l’éditeur SaaS de rester commercialement raisonnable. Des CGU trop unilatérales pourraient dissuader les clients d’adopter ces nouvelles fonctions d’IA. Il faut donc trouver un équilibre : offrir suffisamment de garanties sur la qualité de l’IA (par ex. assistance technique si l’IA se trompe, engagement d’amélioration continue) tout en fixant des limites claires à la responsabilité. Par exemple, garantir que l’IA ne fera pas volontairement de mal (on peut s’engager sur l’absence de fonctionnalités cachées malveillantes, sur la sécurisation contre le détournement de l’IA à des fins illégales…), mais expliquer que l’éditeur ne peut pas garantir à 100% l’absence d’erreurs et que l’utilisateur doit aussi exercer sa vigilance. Inclure éventuellement une phase pilote ou un label “bêta” pour le déploiement initial de l’IA, ce qui contractuellement permet de tester en conditions réelles tout en modulant temporairement les obligations de résultat.

7. Envisager des assurances spécifiques : le marché de l’assurance commence à proposer des garanties pour les risques liés à l’IA (par exemple, extensions de polices de cyber-responsabilité ou de RC Pro pour couvrir les dommages causés par une défaillance d’algorithme). Il peut être judicieux de conseiller aux éditeurs SaaS d’explorer ces offres d’assurance “IA”, surtout pour des usages critiques. Cela ne remplace pas la gestion en amont des risques, mais constitue un filet de sécurité financier en cas de litige coûteux (par exemple, un recours collectif suite à un biais discriminatoire d’un logiciel RH pourrait engendrer des coûts importants de défense et de réparation).

En conclusion, l’intégration de l’IA dans les solutions SaaS est un formidable accélérateur d’innovation et de croissance, mais elle s’accompagne d’un complexe de risques juridiques qu’il convient d’aborder de manière globale. Le juriste a un rôle clé pour sécuriser cette transformation : il doit articuler les exigences réglementaires (RGPD, IA Act, etc.), les impératifs contractuels et la réalité technique afin de permettre à l’entreprise d’innover en confiance. En 2024-2025, un SaaS “IA-powered” bien préparé contractuellement et conforme aux réglementations aura non seulement réduit son exposition aux litiges et sanctions, mais également renforcé la confiance de ses clients et partenaires. L’IA responsable et maîtrisée peut ainsi devenir un atout concurrentiel pour les éditeurs SaaS, soutenue par un cadre juridique solide et évolutif. Les professionnels du droit doivent plus que jamais être partenaires de cette révolution technologique, pour conjuguer performance et compliance dans l’intérêt de l’entreprise et de ses utilisateurs.

Mustapha Barry
Avocat associé (Barreau de Paris)
Cabinet Barry Avocats
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