A l’occasion d’un contrôle d’un camion frigorifique, les agents des douanes de Bayonne découvraient dans la remorque deux caisses contenant 870 kilogrammes de résine de cannabis. Le conducteur et le passager étaient poursuivis devant le tribunal correctionnel notamment du chef d’importation en contrebande de marchandises prohibées.
Il convient en effet de rappeler que l’infraction douanière d’importation en contrebande de marchandises prohibées se distingue de l’infraction pénale d’importation de produits stupéfiants et peut être poursuivie indépendamment.
Les premiers juges condamnaient solidairement le conducteur et son passager à une amende douanière de 1 700 000 euros en sus de la confiscation du camion et des marchandises transportées.
Appel de cette décision était interjeté par le passager du camion, arguant ne pas avoir eu connaissance de l’existence des produits stupéfiants transportés dans la remorque.
En ce sens, la Cour d’appel de Bordeaux retenait dans sa décision que le passager avait maintenu lors de ses auditions avoir ignoré la présence de cannabis dans le véhicule, qu’il avait été mis hors de cause par le conducteur, que la sincérité de ses premières déclarations sur les circonstances du voyage était confirmée par l’enquête ainsi que son absence de contacts téléphoniques avec le commanditaire en cours de route, mais également par sa mise à l’écart lors des discussions d’étapes et par le fait que les caisses en bois dissimulant le cannabis avaient été chargées dans la remorque avant la date à laquelle il avait participé au reste du chargement.
Les juges d’appel estimaient dès lors qu’il ne pouvait être reproché au passager, non initié au trafic de stupéfiants, d’avoir manqué de lucidité sur les comportements suspects du conducteur et de son chef, s’agissant d’un unique voyage.
Ils en concluaient que l’intention délictueuse du prévenu n’était pas établie et le relaxaient.
Déboutée de sa demande de paiement de l’amende douanière, la direction générale des douanes formait un pourvoi en cassation.
Dans l’arrêt commenté, la Haute juridiction s’associe au raisonnement des douanes en rappelant que le détenteur de la marchandise prohibée, réputé responsable de la fraude, ne peut combattre la présomption prévue à l’article 392 du code des douanes qu’en rapportant la preuve des diligences effectuées pour s’assurer de la nature de la marchandise transportée afin d’établir sa bonne foi.
Il s’agit ici d’une confirmation d’une jurisprudence établie et encore récemment reprise [1].
Contrairement aux principes du droit pénal prévoyant qu’il appartient à la partie poursuivante de rapporter la preuve de l’élément intentionnel, l’article 392 du code des douanes instaure en effet une présomption de responsabilité à l’encontre du détenteur de marchandises, réputé responsable de la fraude s’il ne parvient à prouver sa bonne foi.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’indiquer qu’en matière douanière, la preuve de la bonne foi du prévenu ne peut se fonder sur le comportement de celui-ci postérieurement aux faits.
Ainsi, la totale collaboration du prévenu lors de la phase d’enquête ou sa présence à l’audience, alors qu’il a été remis en liberté et qu’il habite à l’étranger, sont par exemple indifférentes à démontrer cette bonne foi [2].
Dans l’arrêt commenté, la Chambre Criminelle semble encore renforcer son exigence en considérant que, pour établir sa bonne foi, le passager assimilé au détenteur des marchandises frauduleuses doit démontrer positivement l’ensemble des actes qu’il a accompli pour s’assurer qu’il ne transportait rien d’illicite.
La motivation pourtant détaillée de la Cour d’appel (conformité des déclarations du prévenu aux actes d’enquêtes, absence de téléphonie suspecte, mise hors de cause par le co-prévenu, chronologie des faits concordante et absence lors du chargement des produits frauduleux) est considérée comme une insuffisance de motifs entrainant la cassation.
La démonstration de l’absence d’intention délictueuse est dès lors insuffisante à établir automatiquement la bonne foi au sens de la présomption imposée par le code des douanes.
Il est permis de s’interroger quant à la nature de la démonstration exigée par la chambre criminelle.
En l’espèce, le passager devait-il démontrer qu’il s’était assuré au-delà de tout doute que son coprévenu était insusceptible de transporter une marchandise prohibée ? Devait-il démontrer qu’il avait procédé à la fouille du véhicule qui le transportait avant de monter à bord ? La solution apparait bien délicate et la preuve de cette fouille impossible à démontrer en l’absence de tiers.
Saisie dès 2011 d’une question prioritaire de constitutionnalité quant à l’article 392 du code des douanes, la chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de répondre que cet article n’instituait selon elle qu’une « présomption simple justifiée par la nature particulière des infractions douanières et reposant sur une vraisemblance raisonnable, l’imputabilité des faits étant appréciée, dans chaque cas, par une juridiction » [3].
Si la présomption prévue à l’article 392 du code des douanes n’est certes pas irréfragable en théorie, force est de constater qu’il est des cas d’espèce où elle semble plus que difficile à renverser.
En l’occurrence, il nous apparaît que la Cour d’appel de Bordeaux avait sérieusement apprécié l’imputabilité des faits reprochés à l’aune du degré potentiel de connaissance par le prévenu d’un transport de stupéfiants.
Si la solution retenue semble donc stricte, la portée de cet arrêt peut toutefois être relativisée au regard des considérations d’espèce.
Il est probable que cette solution s’explique notamment par la nature spécifique des marchandises prohibées, à savoir des produits stupéfiants, et surtout de la quantité très importante découverte par les douaniers bayonnais.
Par ailleurs, si l’espace de la démonstration de la bonne foi du prévenu est certes réduit, il demeure existant.
Il est par exemple permis d’imaginer que des explications plus concluantes du conducteur quant aux questions posées et diligences entreprises par son passager avant de monter à bord auraient pu conforter la relaxe prononcée en cause d’appel.
En tout, état de cause le contentieux relatif à la démonstration de la bonne foi en matière douanière apparaît loin d’être achevé, tant sur le plan juridique que factuel.