Inaptitude et indemnité spéciale de licenciement : la Cour de cassation exclut la durée du préavis de l’ancienneté.

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Explorer : # inaptitude # licenciement # indemnité de licenciement # ancienneté

La Cour de cassation vient de trancher une question importante concernant le mode de calcul de l’indemnité spéciale de licenciement en cas d’inaptitude professionnelle [1].
Elle précise que l’ancienneté à retenir pour cette indemnité ne doit pas intégrer la durée du préavis théorique.

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1. Le régime protecteur applicable en cas d’inaptitude d’origine professionnelle.

Lorsqu’un salarié en contrat à durée indéterminée est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le législateur a mis en place un dispositif d’indemnisation renforcé [2].

Ce régime particulier se justifie par l’origine professionnelle de l’inaptitude constatée.

L’employeur doit alors verser au salarié deux indemnités spécifiques lorsque le licenciement intervient pour impossibilité de reclassement.

La première est l’indemnité spéciale de licenciement, dont le montant correspond au double de l’indemnité légale de licenciement, sauf si des dispositions conventionnelles prévoient un montant plus favorable.

Cette majoration constitue une compensation du préjudice particulier subi par le salarié dont l’inaptitude trouve son origine dans l’exécution de son contrat de travail.

La seconde indemnité est l’indemnité compensatrice, d’un montant égal à l’indemnité de préavis qui aurait été due en cas de licenciement ordinaire.

Cette indemnité se calcule par référence à la durée légale du préavis et non à la durée conventionnelle, même si celle-ci s’avère plus longue [3].

2. La nature juridique particulière de l’indemnité compensatrice.

La jurisprudence a depuis longtemps établi que l’indemnité compensatrice prévue par l’article L. 1226-14 du Code du travail ne constitue pas une véritable indemnité de préavis, malgré son mode de calcul qui s’appuie sur la durée légale de ce préavis.

Cette qualification juridique emporte plusieurs conséquences pratiques importantes.

L’indemnité compensatrice ne repousse pas la date de cessation du contrat de travail, laquelle intervient à la date de notification du licenciement [4].

Par ailleurs, cette indemnité ne génère pas de droits à congés payés, contrairement à une véritable indemnité compensatrice de préavis [5].

Son versement n’a donc pas pour effet de prolonger fictivement la relation de travail au-delà de la rupture effective.

La Cour de cassation a également précisé que cette indemnité possède une nature indemnitaire et non salariale [6].

Cette distinction revêt une importance capitale notamment en matière de régime social et fiscal applicable à cette somme.

3. La question de l’ancienneté à retenir pour le calcul de l’indemnité spéciale.

C’est précisément l’articulation entre la nature juridique de l’indemnité compensatrice et le calcul de l’indemnité spéciale de licenciement qui a donné lieu au litige tranché par l’arrêt du 22 octobre 2025.

Dans cette affaire, une salariée embauchée en décembre 2007 avait été déclarée inapte en octobre 2018 suite à un accident du travail, puis licenciée en janvier 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L’employeur lui avait versé les indemnités prévues par l’article L. 1226-14 du Code du travail, mais un différend est apparu concernant le montant exact de l’indemnité spéciale de licenciement.

La cour d’appel avait estimé que le calcul de cette indemnité devait tenir compte de la durée du préavis, considérant que l’ancienneté de la salariée devait être prolongée de cette durée théorique.

Cette position conduisait à accorder à la salariée une somme supplémentaire de 624,32 euros nets au titre du solde de l’indemnité spéciale.

L’employeur contestait cette interprétation en faisant valoir que l’indemnité compensatrice ne constituant pas une véritable indemnité de préavis et son paiement n’ayant pas pour effet de reculer la date de cessation du contrat, l’ancienneté ne devait pas être prolongée de la durée du préavis pour le calcul de l’indemnité spéciale.

4. La solution retenue par la Cour de cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation donne raison à l’employeur et casse l’arrêt de la cour d’appel.

Elle rappelle d’abord le principe selon lequel l’indemnité compensatrice prévue par l’article L. 1226-14 du Code du travail n’a pas la nature d’une indemnité de préavis.

Elle en tire ensuite la conséquence logique que le paiement de cette indemnité par l’employeur n’a pas pour effet de reculer la date de cessation du contrat de travail.

Dès lors, la Haute juridiction affirme clairement que le préavis ne doit pas être pris en compte pour la détermination de l’ancienneté à retenir dans le calcul de l’indemnité spéciale de licenciement.

Cette solution s’inscrit dans une logique de cohérence jurisprudentielle en tirant toutes les implications de la qualification juridique de l’indemnité compensatrice.

Si cette indemnité ne constitue pas un préavis et ne prolonge pas fictivement la relation contractuelle, il serait en effet incohérent de considérer qu’elle allonge l’ancienneté pour le calcul d’autres indemnités de rupture.

5. Les conséquences pratiques pour le calcul des indemnités.

L’arrêt du 22 octobre 2025 apporte une clarification importante pour les praticiens du droit du travail qui doivent calculer les indemnités dues en cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle.

Pour déterminer le montant de l’indemnité spéciale de licenciement, il convient de retenir l’ancienneté du salarié à la date effective de rupture du contrat, sans y ajouter la durée correspondant au préavis légal qui sert de base au calcul de l’indemnité compensatrice.

Cette ancienneté s’apprécie donc à la date de notification du licenciement, moment auquel le contrat prend fin définitivement.

En revanche, il faut rappeler que la période de suspension du contrat due à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle entre bien dans le calcul de l’ancienneté du salarié [7].

Cette règle découle du principe général selon lequel les périodes de suspension du contrat pour maladie professionnelle ou accident du travail sont assimilées à du temps de travail effectif pour l’acquisition des droits liés à l’ancienneté.

Le salaire de référence pour le calcul des deux indemnités doit être déterminé sur la base du salaire moyen qui aurait été perçu par le salarié au cours des trois derniers mois s’il avait continué à travailler au poste qu’il occupait avant la suspension du contrat [8].

Cette base de calcul inclut l’ensemble des éléments de rémunération tels que le taux personnel, les primes, les avantages en nature, les indemnités et les gratifications qui composent le revenu du salarié.

6. L’articulation avec les autres règles applicables.

L’arrêt commenté s’inscrit dans un ensemble jurisprudentiel cohérent qui définit précisément les droits du salarié licencié pour inaptitude d’origine professionnelle.

Il convient de rappeler que ces indemnités spécifiques sont dues non seulement en cas de licenciement stricto sensu, mais également lorsque la rupture prend la forme d’une mise à la retraite [9].

De même, la jurisprudence a reconnu que le salarié peut prétendre à ces indemnités en cas de résiliation judiciaire du contrat [10].

Le bénéfice de ces indemnités n’est pas subordonné à une condition de durée d’emploi minimale [11].

Cette règle favorable découle du caractère réparateur de ces indemnités, destinées à compenser le préjudice résultant de la perte d’emploi consécutive à un accident ou une maladie d’origine professionnelle.

En revanche, le salarié perd le droit à ces indemnités spécifiques s’il refuse de manière abusive le poste de reclassement qui lui est proposé [12].

Cette exception suppose toutefois que l’employeur démontre le caractère abusif du refus, ce qui n’est notamment pas le cas lorsque la proposition de reclassement entraîne une modification du contrat de travail [13].

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1Cass. soc. 22-10-2025, n° 24-17826 FD.

[2C. trav. art. L. 1226-14.

[3Cass. soc. 12-7-1999, n° 97-43641 ; Cass. soc. 20-11-2024, n° 23-14949 D.

[4Cass. soc. 15-6-1999, n° 97-15328.

[5Cass. soc. 23-11-2016, n° 15-21470.

[6Cass. soc. 4-12-2001, n° 99-44677.

[7Cass. soc. 14-12-2011, n° 10-23008.

[8C. trav. art. L. 1226-16.

[9Cass. soc. 4-6-1998, n° 95-41832.

[10Cass. soc. 20-2-2019, n° 17-17744 ; Cass. soc. 8-9-2021, n° 19-25146.

[11Cass. soc. 10-11-1988, n° 86-41100.

[12C. trav. art. L. 1226-14, al. 2.

[13Cass. soc. 25-4-1990, n° 87-43589.

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