Ce n’est pas un fait exprès.
Mais ce qui va suivre peut se lire à la suite de l’écrit précédent paru à l’occasion de l’usage de l’article 49, alinéa 1 de la constitution (Voir l’article De l’usage de l’article 49-1 de la constitution comme voie de sabordage).
C’était à la fin de cet été, cela semble être il y a une éternité.
La pénible constitution du gouvernement de Monsieur Lecornu a tourné court le 6 octobre 2025 qui restera historique de ce point de vue.
La situation étant plus qu’incertaine, on se gardera de jouer les devins sur l’issue d’une crise qui est en cours.
Nos institutions sont solides à condition de savoir s’en servir, ce dont on commence sérieusement à douter.
En attendant, nous vivons ce que nos aînés ont subi et l’on comprend peut-être mieux ce qui a été construit - et volontairement - édifié en 1958.
I - Retour vers le passé.
Les souvenirs douloureux des deux républiques précédentes ont conditionné une volonté de créer un régime, non seulement stable, mais surtout gouvernable.
Rappel de ce qui n’a pas fonctionné naguère.
A - Un régime déréglé sous la IIIᵉ République.
Les trois lois constitutionnelles de 1875 avaient prévu une forte responsabilité politique du gouvernement, assez facilement mobilisable puisqu’elle pouvait venir aussi bien de l’Assemblée nationale que du Sénat, par les mécanismes de l’interpellation et de la question de confiance.
Avec une durée moyenne de gouvernement de 6 mois, pas seulement à la fin du régime, mais tout le long de celui-ci (à l’exception du cabinet Waldeck-Rousseau), on relève une sans doute louable, mais excessive responsabilité politique, dont on ne pouvait se satisfaire.
Ceci a tout de même fonctionné durant presque 65 ans, en partie du fait de la grande stabilité du personnel politique revenant régulièrement au gouvernement, un peu comme depuis cette dernière année.
Cette impasse à pouvoir durer, si on peut le qualifier ainsi, fut aussi la résultante d’un moment très particulier, en la déclaration du président de la République Grévy de renoncer à son pouvoir fondamental de dissolution [1].
On peut faire le parallèle avec la déclaration du premier ministre, promettant, le 3 octobre, de renoncer à l’usage de l’article 49-3 de la constitution.
B- Un régime empêché sous la IVᵉ République.
Tentant de tirer les leçons du régime précédent, la IVᵉ République met en œuvre ce que l’on nomme des mécanismes de rationalisation parlementaire, à travers deux instruments que l’on connait encore de nos jours : la motion de censure et la question de confiance.
En réalité, ces dispositions seront, à la fois détournées, et, difficiles à appliquer, s’agissant tout spécialement du droit de dissolution qui était soumis à de nombreuses restrictions (articles 51 et 52 de la constitution), le faisant tomber en désuétude, de sorte que le déséquilibre institutionnel en vigueur sous le régime précédent ne fut pas déjoué.
Avec des effets plus importants : les crises ministérielles furent plus intenses que sous la République précédente et celle-ci ne put résister aux graves crises que connu le pays à l’époque et qui finirent par l’emporter.
II- Les mécanismes mis en place en 1958.
A- Rapide rappel de l’esprit du texte.
Tirant les leçons de deux régimes précédents, des mécanismes de confortation de la majorité sont mis en place et fonctionnent. Dont, mais pas seulement, le fameux article « 49-3 » de la constitution. Mais aussi toute la procédure budgétaire volontairement contrainte dans le temps.
En un sens et davantage, à la « constitution Grévy » de 1877, répond en quelque sorte le référendum de 1962 qui donne une légitimité élective directe au président de la République, déjà doté de pouvoirs supérieurs à ceux de ses prédécesseurs dans le texte de 1958.
Le mouvement est parachevé en 2000 avec la mise en œuvre du quinquennat, qui jusqu’à présent, a fait disparaître la cohabitation, censée être un facteur d’instabilité, ce qui n’était pas si exact en réalité.
Ces mécanismes ont fonctionné.
B- L’éloignement de l’esprit de la Vᵉ.
En minorant le rôle premier ministre, alors que l’article 21 est très clair quant à sa mission de direction de l’action du gouvernement, lequel gouvernement est bien celui qui « détermine et conduit la politique de la nation » (article 20), versus le président de la République.
En refusant la cohabitation.
En s’appuyant sur un personnel politique désavoué.
Sans doute en synchronisant l’élection présidentielle et les élections législatives.
Et peut-être en refusant de démissionner à la suite des législatives perdues de juillet 2024.
Cette fine construction de nos institutions se trouve à être grippée, conjugaison, à la fois, de la modification des textes [2] et des passions humaines.
III - Les limites à un régime en demi-teinte.
Nos grandes interrogations semblent se poser de nouveau, s’agissant de la tonalité de notre régime avec, une typologie en semi-présidentiel [3], voire d’un double dualisme si l’on veut avoir une vision équilibrée [4]. Mais si la volonté du président, telle qu’elle semble issue de sa pratique, de l’emporter sur les autres institutions, ajouté à l’évolution des textes et à une opposition qui le lui a permis ; persistait à méconnaître celle du souverain qu’est l’électeur, nous nous dirigeons vers une impasse jusqu’au rendez-vous prévu de 2027.
En prenant un peu de recul, il n’est pas moins vrai que nous sommes, en réalité, dans une situation de demi-mesure qui devient paralysante.
Pour le coup, le président peut dissoudre mais doit se conformer à la majorité à l’Assemblée nationale qui en résultera. Sauf qu’il peut toujours continuer de déconnecter le gouvernement de la majorité.
Il peut achever son mandat précocement, ce qui ne changera rien à la composition de cette même assemblée, prévue jusqu’en 2029.
L’assemblée peut renverser des gouvernements, mais elle ne les constitue pas.
Et il est à craindre que les Français s’épuisent à retourner aux urnes et s’en détournent davantage.
Parachevons nos institutions en faisant un véritable choix vers une évolution présidentielle ou parlementaire de notre régime politique puisque le non-choix est une source d’enkystement sur lequel nous butons de plus en plus.
Avec une alerte. Nos Républiques naissent et cessent dans les crises, y compris parfois violentes.
Il devient urgent de mettre fin à la précarité politique que nous connaissons.


