Aujourd’hui, plus de 3 mois après ce rapport, les quelques 320 000 victimes attendent toujours une réponse de l’Eglise sur la question principale de ce sujet : que vaut leur préjudice ?
Dans celui-ci, elle a imaginé ce que pourrait être la réparation des innombrables victimes, en proposant une réparation financière individualisée annexée sur différentes catégories telle qu’imaginée en Belgique.
L’idée aurait pu être bonne, mais c’était sans compter le montant maximal proposé par catégorisation belge : cette-dernière considère que les « faits qui, au vu de leur gravité, de leur longue durée ou des circonstances spéciales de l’agressions sexuelles, doivent être considérées comme exceptionnels et qui ont conduit à un dommage extrême et manifeste dont le lien causal avec l’agression est prouvé » (4ème et dernière catégorie) ouvrent droit à une indemnisation d’un montant maximal de 25 000 euros ! Un chiffre tout à fait dérisoire par rapport à ce que la victime pourrait obtenir via la justice pénale ou civile.
La CIASE écarte fort heureusement ce barème qui apparait « comme excessivement centré sur l’acte d’agression, et insuffisamment fonction du préjudice subi ». La CIASE recommande donc d’individualiser le calcul de l’indemnisation due à chaque personne victime, sans pour autant prévoir une réparation intégrale au sens juridique du terme.
En effet, la CIASE a considéré que la réparation « ne peut, en tout état de cause, être intégrale, au sens juridique du terme, le préjudice subi par la victime étant par nature irréparable ». La justification est certes noble mais elle n’enlève pas la fausseté de l’affirmation : la réparation du préjudice subi par la victime peut et doit être intégral ! Ce principe constitue le fondement du droit du dommage corporel et l’on voit mal pourquoi l’Eglise ne devrait pas s’y plier.
Aujourd’hui, plus de 3 mois après ce rapport, les quelques 320 000 victimes attendent toujours une réponse de l’Eglise sur la question principale de ce sujet : que vaut leur préjudice ? En effet, la plupart des victimes souhaitent obtenir réparation, financière ou non, afin d’avoir la reconnaissance de la part de l’Eglise de la réalité de leur souffrance. Or, malgré quelques maigres tentatives de projet de réparation, notamment de la part de la Conférence des Evêques de France (CEF) ou de la Conférence des religieux ou religieuses de France (CORREF), aucune réponse claire et détaillée ne leur a été donnée.
La CORREF a mis en place une Commission Reconnaissance et Réparation (CRR). Ses missions, sur le papier, sont louables : écouter et reconnaitre ; réparer et restaurer ; rechercher. On comprend en lisant sa lettre de mission (cf. Lettre de mission de la Commission Reconnaissance et Réparation du 30 novembre 2021) que la CRR recueillera toutes les plaintes des victimes d’atteintes sexuelles, prescrites ou non, commises par un religieux ou une religieuse relevant de la CORREF. Elle servira également d’intermédiaire entre la victime et son agresseur. Or, en pratique, il ne s’agit que de solutions hypothétiques : quand ? comment ? où ? par qui ? Il n’y a ni chiffre, ni date, ni nom…
Par ailleurs, la CORREF précise que l’indemnisation des victimes ne relèvera pas du budget de la CRR mais « demeurera à la charge de l’institut d’appartenance de l’auteur des abus où, à défaut, du fonds de dotation » subsidiaire créé à cet effet par la CORREF. Deux questions restent en suspens : comment connaître et/ou retrouver l’institut d’appartenance de l’auteur des abus ? De quoi est composé ce mystérieux fonds de dotation ? La CORREF ajoute que pour que la médiation puisse aboutir à une réparation financière, il faut que l’institut dont l’auteur relève ou relevait soit un membre de la CORREF. A défaut, la CORREF devra se coordonner avec l’INIRR (instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation). Pour savoir si notre agresseur relève d’un institut membre de la CORREF, il faudra éplucher l’annuaire des instituts et abbayes membres de la CORREF disponible sur leur site internet [1].
La Conférence des Évêques de France (CEF) s’est elle aussi inscrite dans cette lignée de projet d’indemnisation (cf. Résolutions votées par les évêques de France en Assemblée plénière, le 25 mars 2021 et le 8 novembre 2021). Dans son rapport de mars 2021, elle explique souhaiter indemniser les victimes qui en exprimeraient le besoin : il s’agit donc d’une démarche volontaire de la part de la victime… La CEF est un peu plus précise que la CORREF puisqu’elle indique que la victime devra transmettre sa demande d’indemnisation soit à l’évêque soit à l’INIRR (voir plus loin).
Cette contribution serait « soit fonction des besoins exprimés, soit d’un montant forfaitaire », dans la limite d’un plafond « à déterminer ». En pratique, d’où découle cette contribution ? La CEF choisi de créer une instance nationale indépendante d’assistance (INIA) qui aura pour mission de décider de l’attribution et du montant de la contribution financière versée aux victimes. Elle envisage également de créer un fonds de dotation qui recueillera les dons des évêques, des prêtres et de toute personne voulant y participer.
En novembre 2021, l’INIA est remplacée par l’INIRR (instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation) : on suppose que seul le nom change - sa mission devant rester la même, à défaut de précisions… De plus, la CEF évoque la création d’un fonds « SELAM » (fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs) : s’agit-il du même fonds mentionné en mars 2021 ? Rien n’est moins sûr. En effet, selon les résolutions de novembre, le fonds SELAM est abondé grâce au « dessaisissement de biens immobiliers et mobiliers de la CEF et des diocèses ». Doit-on alors comprendre que les dons des évêques, prêtres et autres personnes s’ajoutent au prix de vente des biens immobiliers et mobiliers ? Aucune explication…
La CEF ajoute enfin qu’un emprunt pourra être souscrit pour anticiper les besoins. Rien n’est précisé sur la nature de ces besoins...
In fine, deux instances de réparation ont été mises en place : la CRR pour les victimes des religieux et religieux ; l’INIRR pour les victimes des prêtres, évêques, ou tout autre agent pastoral (laïque, personne consacrée, clerc…) Ces instances prévoient différents fonds d’indemnisation pour que les victimes puissent obtenir une réparation financière, sans pour autant oser chiffrer cette réparation.
Aujourd’hui, les victimes attendent des réponses concrètent et précisent : sur quels critères vont se baser ces instances pour évaluer leur préjudice ? De combien d’argent parle-t-on ? Dans combien de temps pourront-elles être indemnisées ? Nous attendons une réponse des personnes en charge de la réparation, afin de pouvoir aider et orienter au mieux les victimes.