I. Des dispositions définissant les caractéristiques générales d’un local propre à l’habitation, critiquées par les associations spécialisées du logement.
Le décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023, qui poursuit des objectifs importants, était attendu (a), mais a provoqué l’ire des associations spécialisées du logement quant à son contenu sur la définition des caractéristiques d’un local propre à l’habitation (b).
a) Un décret attendu, aux objectifs importants.
Le décret du 29 juillet 2023, pris en application de l’article L1311-1 du Code de la santé publique, poursuivait principalement deux objectifs :
- Renforcer les sanctions applicables dans les cas d’infraction aux règles d’hygiène et de sécurité ;
- Harmoniser les règles d’hygiène au niveau national en fixant une définition des caractéristiques générales d’un local propre à l’habitation.
L’intervention de l’autorité étatique était particulièrement attendue sur ce second volet dès lors qu’avant l’entrée en vigueur de ce décret, l’état du droit pouvait être source d’inégalité géographique et d’insécurité juridique que ce soit :
- à l’égard des bailleurs, soumis à une obligation de délivrer un logement décent -* dont les caractéristiques sont fixées par les dispositions du décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 - mais aussi salubre, renvoyant ainsi à des dispositions contenues dans les règlements sanitaires départementaux, divergents selon le lieu géographique, et considérées comme opposables par la jurisprudence lorsqu’elles ne sont pas incompatibles avec le décret du 30 janvier 2002 [1].
- qu’à l’égard des autorités préfectorales et municipales dans leur intervention dans la lutte contre l’insalubrité où cette insécurité juridique a été mise en évidence dans un arrêt du Conseil d’Etat en date du 14 février 2018 [2] qui avait annulé un arrêté préfectoral mettant en demeure un propriétaire de mettre un terme à la mise à disposition à fin d’habitation de sous-sols en rappelant que la seule méconnaissance d’une disposition d’un règlement sanitaire départemental [3] ne pouvait conduire à la qualification de local impropre par nature à l’habitation.
La détermination au niveau national des caractéristiques d’un logement propre à l’habitation - pouvant faire l’objet de complément par des arrêtés préfectoraux ou municipaux [4] si des circonstances locales le justifient - était donc nécessaire pour répondre notamment à cette insécurité juridique, mais ces caractéristiques, telles que fixées par le décret précité, ont été vivement critiquées par les associations spécialisées du logement.
b) Une définition des caractéristiques d’un logement propre à l’habitation critiquée par les associations en la matière.
La parution du décret du 23 juillet 2023 au Journal officiel a suscité une vive réaction d’élus et d’associations du logement s’agissant des caractéristiques d’un logement propre à l’habitation fixées aux articles R1331-17 à R1331-23 du Code de la santé publique issus dudit décret [5].
Plus précisément, les critiques portaient sur le fait qu’il résultait de ces dernières dispositions que pouvait être considéré comme propre à l’habitation un local :
- situé en sous-sol si ses caractéristiques ne constituent pas un risque pour la santé de l’occupant et répondent aux exigences des articles R1331-20 à R1331-29 du Code de la santé publique, lesquelles sont relatives à la hauteur sous plafond, à l’ouverture sur l’extérieur, aux conditions d’éclairement, à la configuration, à l’absence de sources de pollution, etc. ;
- dont la hauteur sous plafond était inférieure à 2,20 mètres sous réserve, soit de disposer d’au moins une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit de disposer d’un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes [6].
Dans le cadre du recours pour excès de pouvoir et du référé suspension formés par l’association requérante, soutenue dans l’instance au fond par plusieurs associations intervenantes, celles-ci ont contesté la légalité du décret en faisant notamment valoir que :
- il avait été adopté à l’issue d’une procédure irrégulière dès lors que la version définitive du texte finalement publiée ne correspondait pas à la version soumise pour avis au Haut conseil de la santé publique, alors que ces modifications soulevaient des questions nouvelles ;
- son article 2 était entaché d’une erreur de droit dès lors qu’il méconnaissait les articles L1331-22 et L1331-23 du Code de la santé publique, dont il résulte une interdiction absolue de mettre à disposition des sous-sols à des fins d’habitation ;
- il méconnaissait l’objectif de valeur constitutionnelle relatif à la possibilité pour chacun de disposer d’un logement décent ;
- il était entaché d’erreur manifeste d’appréciation quant à la conformité de locaux dont il permettait l’utilisation à titre d’habitation avec les exigences de la santé publique.
Si le juge administratif a rejeté le référé suspension pour défaut d’urgence [7], il a néanmoins retenu, dans l’instance au fond, le moyen de légalité externe tiré du vice de procédure pour annuler les dispositions contestées du décret litigieux.
II. Une annulation pour vice de procédure, source d’insécurité juridique.
L’annulation partielle par le Conseil d’Etat du décret pour vice de procédure - constituant une illustration de la jurisprudence « Danthony » (a) - est susceptible de causer une insécurité juridique (b).
a) Une annulation partielle pour vice de procédure : une illustration de la jurisprudence Danthony.
Pour faire droit au moyen tiré du vice de procédure soulevé par l’association requérante et annuler les dispositions critiquées du décret du 29 juillet 2023, le Conseil d’Etat a fait application de sa jurisprudence « Danthony ».
En application de cette jurisprudence, un vice de procédure affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, obligatoire ou facultative, n’est de nature à entacher d’illégalité un acte administratif que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie [8].
Plus précisément, lors d’une procédure administrative préalable nécessitant la consultation d’un organisme, s’il existe une divergence entre la version soumise à ce dernier et la version finale, le Conseil d’Etat vérifie si les modifications portent sur des points essentiels quant à la règlementation concernée et soulèvent des questions nouvelles, de sorte que dans l’affirmative, il considère que l’omission d’une consultation est susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision administrative [9].
Tel a été le cas, s’agissant du décret du 29 juillet 2023 dont la version finale posait nécessairement des questions nouvelles par rapport à sa version soumise au Haut Conseil de la santé publique [10].
En effet, le Conseil d’Etat a constaté, en comparant le projet de décret ayant fait l’objet de la consultation du Haut Conseil de la santé publique [11] et le décret attaqué, que sa version définitive différait :
- en ce qu’il ne comporte plus de condition relative à la proportion d’enfouissement dans le sol au-delà de laquelle des locaux ne peuvent être regardés comme à usage d’habitation ;
- en ce qu’il retient comme suffisante pour un usage d’habitation une hauteur sous plafond des pièces de vie et de service égale ou supérieure à 2,20 mètres, susceptible d’être ramenée, par renvoi à l’article 4 du décret du 30 janvier 2002, à 1,80 mètres pour les locaux disposant au moins d’une pièce principale ayant un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes, alors que le projet soumis au Haut Conseil retenait qu’une hauteur sous plafond comprise entre 2,20 mètres et 2,50 mètres pouvait contribuer à qualifier une situation d’insalubrité et excluait les locaux d’une hauteur inférieure à 2,20 mètres.
Pour le juge administratif, ces modifications portent donc sur des critères essentiels et « doivent être regardées comme posant, eu égard à l’objet de ce décret, une question nouvelle qui imposait une nouvelle consultation de cet organisme ».
S’il ne peut être anticipé la teneur des dispositions qui seront adoptées à la suite de cette annulation partielle, celle-ci cause d’ores et déjà une situation d’insécurité juridique.
b) Une annulation source d’insécurité juridique.
L’annulation contentieuse de ce décret est susceptible de constituer une source d’insécurité juridique pour les autorités administratives et des bailleurs, outre celle déjà identifiée avant l’adoption dudit décret et rappelée ci-avant.
D’une part, l’illégalité des dispositions annulées du décret pourrait retentir sur la légalité des actes administratifs pris sur le fondement de ces dispositions, comme un arrêté préfectoral mettant en demeure un propriétaire de mettre fin à la mise à disposition d’un local d’habitation.
En effet, l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif emporte l’annulation par voie de conséquences des décisions administratives consécutives qui n’auraient pu légalement être prises en l’absence d’un acte annulé ou qui sont intervenues en raison de l’acte annulé ; il en va précisément ainsi des décisions qui ont été prises en application de l’acte annulé et de celles dont l’acte annulé constitue la base légale [12].
Dans cette hypothèse, et dans un cadre contentieux, l’autorité administrative devra nécessairement rechercher des fondements juridiques issus des règlements sanitaires départementaux, et remis partiellement en vigueur par cette annulation, pour demander une substitution de base légale [13] ou de rechercher d’autres motifs d’insalubrité en vue d’une substitution de motif [14].
D’autre part, cette annulation contentieuse crée également une insécurité juridique à l’égard des bailleurs ayant mis à disposition des locaux respectant les exigences prévues par les dispositions annulées lorsqu’elles étaient en vigueur, mais méconnaissant d’éventuelles dispositions plus strictes d’un règlement sanitaire départemental.
En effet, et comme rappelé précédemment, les bailleurs sont à la fois soumis à une obligation de décence des locaux qu’ils mettent à disposition, mais aussi à une obligation de salubrité dont les dispositions se combinent, lorsqu’elles ne sont pas incompatibles avec celles de la décence.
Il existe donc une impérieuse nécessité d’adopter un nouveau décret fixant les caractéristiques générales d’un local propre à l’habitation, ce qui ne manquera pas de donner lieu à de nouveaux débats et une forte mobilisation des associations spécialisées du logement.