Le grand chantier de la réforme de la justice impose la mise en place d’un cadre réglementaire pour encadrer la relation entre les différentes parties du système judiciaire et pour définir les champs d’intervention de l’administration judiciaire dans ce nouveau cadre institutionnel. C’est le cas de la loi n°38.21 relative à l’inspection générale des affaires judiciaires a été publié au bulletin officiel n°7009 daté du 2 août 2021. Pour rappel, ce nouveau texte fixe la composition de l’inspection générale des affaires judiciaires, ses prérogatives et ses réglementations, ainsi que les droits et les obligations de ses membres. Il intervient ainsi, en application des dispositions du paragraphe premier de l’article 53 de la loi organique n°100.13 relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), au sujet de la création d’une inspection générale des affaires judiciaires qui lui est affiliée.
Dans le même contexte, la loi 38.15 portant l’organisation judiciaire qui a connu tout un long parcours avant son entrée en vigueur le 15 janvier 2023, s’inscrit dans le cadre de la réforme de la justice marocaine. Tant que l’organisation judiciaire du royaume décrit le degré d’efficacité et de transparence du système judiciaire marocain, la nouvelle loi a apporté plusieurs nouveautés en vue de faciliter l’accès à la justice aux justiciables. En effet, cette nouvelle loi consacre dans son troisième titre à la supervision et l’inspection judiciaire, il comprend deux chapitres ; le premier relatif à l’inspection administrative et financière, quant au deuxième, il concerne la supervision judiciaire sur les tribunaux.
Avant de dresser brièvement les grandes nouveautés de la loi n°38.21, il nous parait utile de rappeler le fonctionnement de l’inspection des juridictions et des magistrats avant ladite loi.
D’abord, l’inspection judiciaire est connue, comme étant une autorité d’enquêtes et de contrôle complète qui permet d’évaluer le fonctionnement des tribunaux et la manière de leurs performances, leurs méthodes de pratique et la standardisation de leurs méthodes de travail, de suivre les problèmes et difficultés rencontrés afin de détecter les violations, de travailler à les corriger, et suggérer des moyens pour assurer l’amélioration des performances judiciaires, ainsi que mener des enquêtes sur des incidents spécifiques Il est à rappeler, que juste avant l’adoption de la nouvelle loi n°38.21 ; l’inspection judiciaire trouvait sa base légale aux articles 13 et 14 du Dahir relatif à l’organisation judiciaire du 15 juillet 1974.
En l’absence de cadre spécifique pour les compétences de l’inspecteur, l’inspection générale a travaillé à l’élaboration des règles d’organisation de l’inspection judiciaire, dans le but de déterminer le domaine de l’inspection générale, de l’inspection en série et de l’inspection spéciale et ses objectifs, ainsi que les cas dans lesquels se concentrent chaque inspection susmentionnée.
En vertu, de l’article 13 du dahir 1974 relatif à l’organisation judiciaire du pays, l’inspection des juridictions est destinée notamment, à apprécier leur fonctionnement ainsi que celui des services qui en dépendent, les méthodes utilisées et la manière de servir les personnels magistrats et greffiers. C’est au ministre de la Justice qu’il appartient la mission de désigner un ou plusieurs magistrats appartenant à la Cour de cassation (C.C) ou en fonctions à l’administration centrale de son département, pour procéder à l’inspection des juridictions autres que la (C.C) ou pour enquêter sur des faits déterminés.
Par ailleurs, par la lecture de l’article 13 évoqué ci-dessus, et compte tenu de l’absence de texte explicite définissant le statut du ministre de la Justice dans le déplacement de l’inspection judiciaire. Et étant donné que ledit ministre n’est plus le président délégué du CSPJ en vertu de l’article 115 de la constitution 2011 et de l’article 6 de la loi n°100-13. La disposition de l’article 13 cité porte à notre avis atteint au principe de l’indépendance de la justice. Ce qui implique une révision urgente de notre loi relative à l’organisation judiciaire conformément aux dispositions de la norme fondamentale.
Pour remédier à cet état de lieux, l’article 21 alinéa 1 de la loi n°38-15 relatif à l’organisation judiciaire prévoit que : « le Ministre de la Justice exerce la supervision administrative et financière des juridictions en coordination et en coopération avec les responsables judiciaires sans porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire ».
En outre, les inspecteurs disposent d’un pouvoir général d’investigations, de vérification et de contrôle. Ils peuvent notamment convoquer et entendre les magistrats et fonctionnaires des juridictions et se faire communiquer tous les documents utiles. Sinon, lorsque les recherches portent sur un magistrat, l’inspecteur qui en est chargé doit être d’un grade égal ou supérieur à celui du magistrat inspecté.
Dans le même contexte, l’article 14 dudit dahir précise que : « Les premiers présidents des cours d’appel et les procureurs généraux du Roi près ces cours, les premiers présidents des cours d’appel administratives, les premiers présidents des cours d’appel de commerce et les procureurs généraux du Roi près lesdites cours procèdent personnellement à l’inspection des juridictions de leur ressort et sans possibilité de délégation à l’inspection des juridictions de leur ressort dans la limite de leurs attributions respectives chaque fois qu’ils le jugent utile et au moins une fois par an. Ils rendent compte au ministre de la Justice des constatations qu’ils ont faites ».
Dans les faits, cette entité est dirigée depuis 2017 par Abdellah Hammoud, nommé par le roi en tant qu’inspecteur général. Mais depuis, son organigramme attend toujours un renforcement qui sied à son caractère stratégique.
Toutefois, ce sont ses rapports qui amorcent, entre autres, des procédures disciplinaires à l’encontre des magistrats. Il est utile de rappeler que se doter d’une loi relative à l’inspection judiciaire a toujours été l’une des principales revendications du Club des magistrats marocain, afin de légaliser ses différentes dispositions comme citées précédemment.
Dans ce contexte, le Club des magistrats marocain avait critiqué cette situation dans un communiqué à l’issue de la réunion de son bureau exécutif le 10/02/2018, sous-titre suivant : « le fonctionnement de l’institution d’inspection judiciaire en l’absence d’un cadre légal régissant son organisation comme prévu par l’article 53 de la loi 100-13 relatif au CSPJ ».
En 2020 par exemple, cinq magistrats ont été épinglés par le Conseil, révélé par le ministre de justice marocain Mohamed Ben Abdelkader, lors de son exposé le 28 octobre 2020 devant la commission de la Justice à la Chambre des représentants, sans préciser ni la nature des sanctions ni la nature des manquements. La même année, l’Inspection générale des affaires judiciaires a diagnostiqué la situation de 11 tribunaux et de cinq cours d’appel. Il s’agissait d’examiner l’activité générale de ces juridictions, mais aussi l’activité individuelle des magistrats. Le ministère public a également été soumis à examen.
Considérée comme une composante essentielle, l’inspection judiciaire joue un rôle indéniable pour l’avancement du secteur de la justice, dans le cadre de l’engagement strict de respecter la loi et de la volonté de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Il est utile de rappeler, qu’après la publication de la loi n°100-13 relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire CSPJ en 2016 et son entrée en vigueur en 2018 suite à l’inauguration du conseil par SM le Roi Mohamed VI, l’inspection judiciaire est devenue soumise à l’inspection générale des affaires judiciaires.
Par contre, la composition, les compétences, les règles d’organisation du conseil, ainsi que les droits et devoirs de ses membres seront fixés par une loi, chose qui vient de se réaliser enfin, avec l’adoption de la nouvelle loi n°38.21 relative à l’Inspection Générale des Affaires Judiciaires (I.G.A.J).
En fait, le texte adopté par les deux Chambres du Parlement vient de paraître au Bulletin officiel datant du 2 août 2021. En réalité, le législateur vient de prendre conscience de la nécessité de publier cette loi conjointement avec la loi relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire afin que cette institution importante du système judiciaire puisse fonctionner dans les meilleures conditions.
Ainsi, suite à une demande du Conseil, cette inspection a ouvert 44 nouveaux dossiers d’enquête et d’investigation. Dans le même cadre, 45 dossiers (déjà ouverts) ont été bouclés et ont fait l’objet de rapports soumis au Conseil. Enfin, 1.687 plaintes ont été traitées sur les 1.748 enregistrées dans la première moitié de l’année en cours.
D’autre part, l’inspection doit établir également un plan annuel d’inspection, et ce, pour fixer les juridictions du premier et du deuxième degré qui feront l’objet des inspections.
Pour finir, c’est une condition nécessaire à la protection des droits de toute personne, à un meilleur respect des exigences de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et à la confiance des justiciables dans l’État de droit. Pour cela, cette inspection à travers la nouvelle loi n °38 .21 doit apporter par sa composition, sa compétence et ses modalités d’intervention, les garanties nécessaires quant au respect de l’indépendance de la justice, et d’autre part renforcer l’efficacité des juridictions et du système judiciaire.
C’est une innovation qui s’inscrit sur le plan de la consécration du principe de l’indépendance de la justice. En fait, le ministère de la Justice ne dirige plus le Parquet général et l’Inspection générale. Le premier est devenu autonome depuis le 7 octobre 2017, la seconde institution relève dorénavant du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.
En se référant à l’article 53, de la loi 100-13 relative au CSJP, ledit conseil dispose d’une inspection générale des affaires judiciaires. Plus que cela, le même article prévoit que l’inspection générale des affaires judiciaires est dirigée par un inspecteur général, nommé par Dahir sur proposition du président-délégué, bien sûr après consultation des membres du conseil pour une période de cinq ans renouvelable.
D’un autre côté, ce texte vient pour mettre en œuvre les recommandations de la charte nationale pour la réforme du système judiciaire de 2013 : est qui de faire naitre une inspection chargée des missions « d’investigation, de vérification et de contrôle […] de façon à permettre l’évaluation du fonctionnement des juridictions et de leurs méthodes de travail, uniformiser les méthodes de travail en leur sein, détecter les dysfonctionnements professionnels en vue de les redresser, proposer les mesures et les moyens permettant d’accroitre l’efficacité judiciaire, enquêter dans des faits précis et élaborer des rapports à ce sujet et les soumettre au Conseil ».
En effet, cette instance judiciaire et en vertu de l’article 4 de la nouvelle loi n°38.21 relative l’Inspection Générale des Affaires Judiciaires (I.G.A.J), est composée d’un inspecteur général, d’un vice-inspecteur général, d’inspecteurs et d’inspecteurs adjoints. Le même article, prévoit que le CSPJ doit mettre à sa disposition toutes les ressources humaines, financières et les programmes de formation et enfin tous les moyens techniques afin d’atteindre sa mission.
Outre, sa compétence d’inspection générale au niveau des tribunaux du Royaume, l’instance est chargée, par le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, d’assurer le suivi du patrimoine des magistrats et d’estimer leurs fortunes ainsi que celles de leurs conjoints et descendants après l’aval du Conseil.