L’instauration de l’homicide routier : entre consensus juridique et dissensions doctrinales.

Par David Garcia, Doctorant.

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Explorer : # homicide routier # droit pénal # violence routière # responsabilité pénale

Au cours des dernières décennies, la route est devenue un champ où les tragédies humaines se répètent, les uns et les autres meurent en raison de leur propre imprudence ou de la négligence délibérée des autres. Pendant longtemps, les auteurs accidentels de mort étaient légalement classés comme des homicides involontaires, causant ainsi un sentiment d’inadéquation entre la réalité des situations et le droit applicable. Ce fait a donné naissance à un débat juridique et social sur la situation scabreuse. Dans ce contexte, le législateur a introduit en 2024, la culture d’homicide accidenté, ce qui constitue un changement majeur en droit pénal. Cette évolution vise à mieux responsabiliser les auteurs d’infractions tout en proposant une réponse appropriée aux attentes des victimes et de leurs proches.
Cela dit, cette réforme provoque un grand nombre de débats et d’interrogations : quelle est la portée de cette qualification innovante ? Quelles sont ses implications sur le régime pénal qui lui est applicable ? Est-ce un vent de fraîcheur dans la politique pénale de la route ? Ce travail tente de répondre à ces questions dans ses aspects littéraux et symboliques.

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« L’homicide involontaire ne rend pas compte de la gravité morale de certains comportements routiers », Frédéric Desportes, Traité du droit pénal général.

Chaque année en France, un lourd bilan vient frapper les statistiques routières. C’est ainsi qu’en 2024, 3 190 personnes ont perdu la vie sur les routes de l’hexagone selon le site du ministère de l’Intérieur. plusieurs de ces victimes de la route perdent la vie dans des accidents de la circulation provoqués par des conducteurs sous l’emprise de l’alcool, de stupéfiants ou en excès de vitesse. Ces drames sont juridiquement qualifiés d’homicides involontaires, la réponse pénale relative à ces faits suscite une incompréhension et de la colère chez les proches des victimes, qui dénoncent une incohérence entre la qualification juridique, les peines prononcées et la gravité du comportement infractionnel.

Aujourd’hui, ces infractions relèvent de l’article 221-6 du Code pénal, qui punit la mort causée par imprudence, négligence ou violation d’une obligation légale d’un homicide involontaire. Toutefois, cette approche généraliste tend à banaliser des comportements délibérément dangereux qui ne relèvent pas, selon l’opinion publique, de la simple imprudence.

Face à ces constats, plusieurs réflexions doctrinales et jurisprudentielles ont poussé le législateur réfléchir à une infraction autonome qu’est l’homicide routier, avec des sanctions adaptées mais surtout une reconnaissance symbolique pour les victimes.

Cette évolution nous pousse à nous questionner sur le fait de maintenir l’infraction généraliste relative aux infractions non intentionnelles au détriment de la réaction sociale, ou reconnaître une spécificité criminelle des morts sur la route relative aux comportements dangereux ? Cette interrogation soulève des enjeux à la fois pratiques, éthiques et juridiques, dans un contexte où le droit pénal devient de plus en plus réceptif aux demandes du peuple.

I - L’infraction d’homicide involontaire face aux réalités de la violence routière modernes.

L’homicide involontaire fait partie des rares infractions dans lesquelles l’élément moral de commission est non intentionnel. Toutefois peut-on mettre sur le même pied d’égalité un automobiliste causant un accident par inadvertance qu’un « chauffard » aux comportements dangereux sur la route. En effet il appert que l’infraction d’homicide involontaire tend à se montrer trop généraliste face aux comportements de la délinquance routière (I) Faisant naître un sentiment d’iniquité parmi les membres de notre société (II).

A. Une infraction généraliste face à la délinquance routière.

L’article 221-6 du Code pénal définit l’homicide involontaire comme le fait de :

« causer la mort d’autrui par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ».

Bien que le droit pénal soit une matière qui se veut précise et sans interprétation, il appert que cette infraction peut regrouper plusieurs situations allant d’un simple accident de la route à l’accident du travail causant la mort avec la condition que l’animus necandi ne soit pas caractérisé. En d’autres termes, après avoir démontrer les éléments matériels cités in supra, l’élément moral consistera à démontrer un caractère involontaire dans l’acte ayant causé la mort.

Dans le contexte routier, cette infraction permet d’incriminer ayant de manière générale, occasionné un accident mortel de la circulation routière. Bien que son existence soit indispensable elle possède des apories pouvant inquiéter l’opinion publique et acteurs de la sphère politico judiciaire. En effet, cette infraction tend à regrouper les conducteurs ayant causé un accident mortel de la circulation routière par une « faute » sans élément exogène hormis par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité aux conducteurs créant sciemment des situations favorisant la mise en danger d’autrui tels que les conduites addictives ou les grands excès de vitesse. La loi ne semble pas « individualiser » le contexte de l’accident routier au profit d’une certaine neutralité, l’individualisation étant pourtant une valeur importante dans certaines prises de décisions judiciaires telles que les peines.

Cependant, la jurisprudence a progressivement essayé d’indiquer le bon chemin en instaurant le concept de faute délibérée qui s’applique notamment lorsque l’automobiliste enfreint délibérément une règle de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Dans son jugement du 12 juin 2007 [1], la Cour de cassation a réaffirmé que cette infraction intentionnelle pourrait conduire à une sanction plus rigoureuse. Cependant, cette hiérarchisation reste confinée à la catégorie de l’homicide involontaire et n’offre pas une véritable reconnaissance de la particularité de la violence routière. Mais après avoir vu les apories juridiques causées par une infraction un peu trop généraliste, il convient de voir la vision des victimes et de notre société.

B. Une réponse pénale jugée insuffisante par les victimes et la société.

L’article 221-6-1 du Code pénal dispose que l’infraction d’homicide involontaire commis par un automobiliste est puni d’une peine de 5 ans de prison et de 45 000 euros d’amende. Cette infraction peut être aggravée à l’article 221-6-1 du Code de la route et les peines portées à 7 ans et 100 000 euros d’amende dans les cas particuliers en substance :

« 1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;
2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste ou était sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du Code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;
3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le Code de la route destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;
4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;
5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h ;
6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir
 ».

Il convient de préciser que ces quantums de peines représentent les maximums encourus, mais sont en réalité que rarement appliquées. En effet nous constatons de manière générale à des peines de prisons avec sursis voire uniquement des amendes, stages. Cette situation est dénoncée par de nombreuses associations de victimes, qui parlent de « justice de l’accident » et réclament la reconnaissance juridique de la gravité morale des comportements routiers délinquants.

La doctrine a quant à elle largement commenté le sujet en se mettant du côté des associations et des victimes. Qu’il s’agisse de Monsieur Salas, dans la volonté de punir ou de monsieur Desportes, « une opinion commune se dégage comme étant certains comportements bien que non intentionnels s’apparentent à des prises de risques prises sciemment et mériteraient ainsi des traitements spécifiques ».

En définitive, l’homicide involontaire tel qu’il était jusqu’à l’adoption par le Sénat de la loi du 1 juillet 2025, ne semblait pas convenir et convaincre les victimes, leur famille, les associations, mais également les juristes et acteurs de la vie politico juridique.

Cette observation suscite une discussion sur la possibilité de requalifier en homicide routier, qui mettrait en lumière une responsabilité pénale indépendante, plus claire et symbolique, et mieux alignée avec les problématiques de sécurité publique.

II- L’homicide routier : révolution judiciaire ou progrès symbolique.

A. Une réforme portée par des enjeux symboliques, politiques et pratiques.

Face aux limites du cadre de l’homicide involontaire, la proposition de créer une infraction autonome d’homicide routier est apparue comme une réponse à la fois juridique et symbolique. L’objectif principal de cette réforme est de différencier clairement les comportements routiers les plus dangereux des autres formes d’imprudence sanctionnées par l’article 221-6 du Code pénal.

La pression sociale est forte : les associations de familles de victimes, les collectifs de sécurité routière et une partie de l’opinion publique réclament depuis plusieurs années une infraction qui reconnaisse la spécificité des morts sur la route, dans des conditions souvent considérées comme évitables. Cette demande s’est traduite dans le débat parlementaire par plusieurs propositions de loi. La plus notable est la proposition n° 1862 déposée à l’Assemblée nationale en 2023, qui visait à inscrire dans le Code pénal un nouvel article dédié à l’homicide routier, avec des peines distinctes et des circonstances aggravantes clairement définies.

Cette réforme répond également à un besoin de lisibilité du droit : en créant une infraction identifiée, les magistrats pourraient mieux individualiser la qualification selon la gravité morale du comportement du conducteur. La société recevrait en retour un signal fort sur la réprobation collective de ces comportements.

En parallèle, cette infraction permettrait une meilleure reconnaissance des victimes, dont la souffrance est souvent minimisée dans les procédures pénales actuelles. À cet égard, certains auteurs parlent d’un « tournant victimologique » du droit pénal, où le besoin de reconnaissance symbolique l’emporte parfois sur les principes classiques du droit.

B. Les risques d’une infraction autonome : cohérence pénale et égalité devant la loi en question.

Si la création de l’homicide routier semble aller dans le sens d’une meilleure justice sociale, elle n’est pas exempte de critiques juridiques profondes. En premier lieu, elle remet en cause le principe fondamental d’unicité du traitement des infractions non intentionnelles. Jusqu’à présent, le Code pénal adopte une approche transversale de l’imprudence ou de la négligence, quel que soit le contexte ou la victime. Créer une infraction spécifique pour les drames de la route introduit une hiérarchisation des victimes qui peut apparaître arbitraire : pourquoi distinguer la mort causée sur la route d’une mort causée par imprudence en montagne, en entreprise ou à l’hôpital ?

En outre, cette évolution risque d’introduire une forme de justice émotionnelle, sous l’effet de la pression médiatique. Comme le souligne Michel Véron, avocat pénaliste, il s’agit d’une « législation sous le coup de l’émotion », risquant d’affaiblir les principes de cohérence et d’égalité devant la loi, pourtant au cœur de l’État de droit.

Sur le plan théorique, cette réforme pourrait accentuer le glissement du droit pénal vers la dangerosité subjective. En créant une infraction spécifique pour certains comportements routiers, on risque de substituer à la logique de la faute celle de la personnalisation morale du conducteur, ce qui brouille la frontière entre l’infraction non intentionnelle et l’infraction intentionnelle.

La doctrine s’inquiète également d’un phénomène plus large : la fragmentation du droit pénal en micro-infractions sectorielles, chacune répondant à une émotion collective particulière. Ainsi, F. Desportes et L. Lazerges, dans leur Traité de droit pénal, mettent en garde contre l’éclatement des catégories juridiques traditionnelles, qui affaiblit la clarté et la cohérence du droit.

Conclusion.

L’introduction de l’infraction d’homicide routier, par la loi du 21 juin 2024, constitue assurément une innovation majeure du droit pénal français, dans la mesure où elle consacre une distinction symbolique et juridique aux drames de la route. En créant une incrimination autonome, et non seulement qualifiante, de l’homicide involontaire, le législateur répond à une demande sociale forte, notamment des victimes et des victimes collatérales, que sont leurs proches, souvent confrontés à un sentiment d’injustice en regard de la gravité objective des comportements sanctionnés.

D’une part, cette nouvelle infraction vise à une meilleure requalification de la gravité des fautes en causes, notamment l’alcoolémie, les stupéfiants, et la vitesse excessive.

D’autre part, elle ambitionne de renforcer le dispositif de répression, notamment à travers des peines plus lourdes. Enfin, elle entend envoyer un signal fort et clair en matière de prévention à l’ensemble des usagers de la route. Néanmoins, cette réforme suscite des questionnements juridiques. Certains s’inquiètent d’une confusion entre faute délibérée et intention criminelle, ou encore d’une rupture d’égalité devant le juge pénal.

D’autres y perçoivent une adaptation nécessaire du droit, ou encore un signal à l’endroit de la société civile, qui tend à qualifier d’arme laquelle ne l’est que par la négligence de son utilisateur.

L’infraction d’homicide routier répond ainsi à un équilibre subtil entre efficacité répressive, prévention et sanctionnalisation des comportements à risque, et grand principe du droit pénal. Il témoigne également de la faculté du droit à s’adapter au mouvement de la société civile, et à mieux prendre en compte la détresse des victimes, sans trahir ses grands fondements.

David Garcia,
Doctorant en droit et sciences criminelles,
Laboratoire Sjpeg - Université de Lorraine.

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[1Cass. crim., n°06-85.133.

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