Les salariés intermittents se serait vus proposer une « rupture amiable » de leur CDD. A défaut de consentement de leur part, la Direction pourrait « choisir de passer en force sans attendre » en invoquant « un cas de force majeure » constitué par l’épidémie de Covid-19 [1].
Un tel raisonnement peut-il prospérer ?
1. Un CDD peut être rompu pour force majeure.
Le contrat de travail à durée déterminée peut, en principe, être rompu en cas de force majeure.
En effet, l’article L. 1243-1 du Code du travail prescrit que le contrat de travail à durée déterminée peut être rompu dans un nombre limité de cas de figure : « Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail […]." [2].
Parmi les cas de figure envisagés par le Code du travail figure donc la rupture d’un commun accord. C’est effectivement l’hypothèse que souhaitait privilégier la Direction de Disneyland, en demandant aux salariés intermittents de consentir à la rupture de leur contrat [3].
Cette hypothèse étant exclue du fait du refus « massivement » [4] exprimé par les salariés concernés, le recours à la force majeure est envisagé.
2. La définition de la force majeure.
La force majeure est caractérisée, selon l’article 1218 du Code civil « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » [5].
Le 16 mai 2012 (n° 10-17.726), la chambre sociale de la Cour de cassation a, dans son premier attendu, retenu que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » [6].
A propos de l’imprévisibilité de l’évènement, c’est dans ce même arrêt que les juges de la Haute Cour ont eu l’occasion de se prononcer. La rupture du contrat était fondée sur « la décision du président de la Polynésie française de mettre fin aux fonctions de M. X ».
Or, l’hypothèse même que cette décision survienne était envisagée par le contrat.
Ainsi, la Cour de cassation en a déduit que l’imprévisibilité de l’évènement n’était pas constituée puisque précisément il était prévu dans le contrat.
Sur le caractère insurmontable de l’évènement, la chambre sociale de la Cour de cassation a pu considérer que le départ d’un membre d’un membre du groupe de musique ne constituait pas un cas de force majeure justifiant la rupture du contrat d’exclusivité conclu avec l’ensemble des membres du groupe [7].
En définitive, en matière sociale, il ressort que la reconnaissance de l’existence de la force majeure par les juges est rare. A titre d’illustration, la « liquidation judiciaire de l’employeur » [8] ou encore « la fermeture administrative d’un établissement » [9] ne constituent pas des cas de force majeure selon la Cour de cassation.
Hors contentieux social, mais dans le registre des épidémies, les juges du fond ont plus souvent refusé de reconnaître la force majeure que l’inverse.
La première chambre civile de la Cour d’appel de Nancy n’a pas fait droit au raisonnement selon lequel une épidémie du virus de la dengue revêt les caractéristiques de la force majeure [10].
La Cour d’appel de Besançon concluait identiquement à l’absence de force majeure dans son arrêt du 8 janvier 2018, concernant l’épidémie du virus H1N1 [11].
3. L’épidémie de Covid -19 , un cas de force majeure ?
Quid de l’épidémie de Covid-19 ? Quel sera le raisonnement des juges ?
Le 12 mars dernier, la Cour d’appel de Colmar a eu l’occasion de se positionner sur la question de savoir si l’épidémie de Covid-19 qui sévit actuellement réunit les critères de la force majeure. Elle a considéré que « l’appelant, M. Victor G., n’[avait] pu être conduit à l’audience à la Cour d’appel, en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l’épidémie en cours de Covid-19 ». Pour ce faire, elle a notamment relevé que « il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire M. G. à l’audience » [12].
Or, il convient de préciser que cet arrêt n’a pas été rendu concernant des faits relevant du droit du travail.
Comme le laisse entrevoir l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy, se posera éventuellement la question de l’importance du moment auquel le contrat de travail a été conclu. En effet, si celui-ci a été conclu alors que des cas Covid-19 existaient déjà, les juges pourront-ils conclure à la prévisibilité de l’épidémie, et ainsi, écarter la force majeure ?
Différents travaux – a fortiori scientifiques – seront sans doute nécessaires afin de fixer une date de commencement de l’épidémie ; ces différents travaux seront ensuite invoqués par les parties devant le juge afin d’obtenir la reconnaissance (ou l’exclusion) de ladite prévisibilité de l’épidémie.
Par ailleurs, pourrait être pointée du doigt la contradiction qui ressortirait entre la gestion de crise actuelle de l’exécutif d’une part, et la réaction des juges qui reconnaîtrait la force majeure, d’autre part.
Et pour cause, d’une part, nous aurions des salariés que le Ministère du travail encourage à aller travailler en les dissuadant de faire usage de leur droit de retrait sous prétexte que les employeurs auraient mis en place les mesures de sécurité nécessaires à la préservation de leur santé [13].
D’autre part, se trouveraient d’autres salariés à qui les juges expliqueraient qu’il est justifié que leur contrat soit rompu au motif que l’épidémie était « insurmontable ».
Pour les uns, la crise sanitaire serait « surmontable » par des « gestes barrières » ou des protocoles de nettoyage, en revanche, pour d’autres, elle ne le serait pas de sorte que ceux-ci devraient accepter de perdre leur emploi.
Si la contradiction est édifiante, il faut tout de même garder à l’esprit que pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire s’exercent indépendamment, et ce, même en temps de crise.
Devant toutes ces interrogations, la prudence est donc de mise.
Le juge seul, à l’aide des éléments versés par les parties, tranchera cette question.